La Récup

2008/04/27 | Par Michel Rioux

Tout le monde sait qu’un des piliers de la lutte à la pollution et de l’utilisation rationnelle des ressources, c’est la récupération. Communément appelée « récup » en vernaculaire militant…

Il s’en est fait pas mal, de la récup, lors du passage de Al Gore à Montréal où, à l’invitation de La Presse et sous les auspices de Power Corporation, une grosse soirée mondaine en queues de pie et robes à traîne a marqué l’événement à lui consacré à la Place des Arts.

Ce qui a donné, dans le quotidien des Desmarais père et fils et belles-filles, plusieurs pages d’articles et de photos où les grandes et les grands de ce monde rivalisaient d’aménités et de sourires satisfaits à l’endroit de celui à qui le frère de l’autre, Jeb Bush, a volé son élection à la présidence des États-Unis, en 2000, grâce aux trois voix du collège électoral de Floride livrées par fraude à W. On sait dans quelle catastrophe planétaire cette fraude électorale a plongé non seulement les USA, mais l’univers tout entier.

Cependant, force est d’admettre que le monsieur, même s’il a été oscarisé et nobellisé, n’est pas nécessairement touché par la science infuse. Quand il s’est fendu de fleurs plus odorantes les unes que les autres à l’endroit des politiques environnementales de Jean Charest et de son gouvernement, j’ai ressenti comme une petite gêne.

Je me suis rappelé la visite du révérend Jesse Jackson lors de la crise d’Oka et de la conférence de presse qu’il avait faite sur place. Il y dénonçait avec tout le pathos qu’on lui connaît la mord d’un Mohawk aux mains de la Sûreté du Québec. La tête qu’il avait quand un journaliste lui avait glissé à l’oreille que c’était plutôt un policier qui avait été descendu par une balle amérindienne…Visiblement, il avait été fort mal informé.

Même chose pour Gore. Se peut-il que personne ne lui ait glissé un mot sur les hauts faits libéraux en matière de protection de l’environnement ? Que personne ne lui ait parlé de Rabaska, ce port méthanier qu’on veut installer en face de l’Île d’Orléans parce qu’aux États-Unis, personne n’en veut sur la côte Est ? Que personne n’ait fait allusion au scandale du mont Orford ? Que personne n’ait rappelé le projet du Suroît, de triste mémoire ? Que personne n’ait attiré son attention sur ce pont qu’on s’empresse de construire à Montréal sur l’autoroute 25 sans attendre que toutes les étapes visant à juger des dangers sur l’environnement ne soient franchies ?

Fallait pas compter sur Junior Desmarais pour faire la job. Gaz de France, privatisé par les bons soins de Nicolas Sarkozy au bénéfice de Suez, dont les principaux actionnaires sont Paul Desmarais et son copain de toujours Albert Frère, est l’une des entreprises engagées dans le projet Rabaska. Il y a tellement de retours d’ascenseur dans ces opérations qu’on en attrape le tournis.

Et les sables bitumineux en Alberta ? Un organisme réputé dans la défense de l’environnement a déjà déclaré qu’il s’agit là du projet le plus dommageable et le plus toxique dans le monde actuellement. Quand même curieux que M. Gore n’ait pas une petite idée là-dessus.

C’est vrai qu’en présence de Junior Desmarais, c’était un peu embêtant de donner son opinion. Pourquoi ? Total, autre entreprise française dans laquelle les Desmarais ont des intérêts, est engagée jusqu’aux oreilles dans les sables bitumineux. Le fils Desmarais en disait d’ailleurs ceci : « Nous sommes très heureux de notre investissement dans Total, il n’y a rien d’autre à dire. »

Le grand environnementaliste canadien David Suzuki, qui a déjà soutenu qu’un politicien qui ne s’engage pas à lutter contre le réchauffement climatique devrait être mis en prison, souriait béatement au bras de Gore et d’André Desmarais.

C’est ce même Suzuki qui avait déclaré il y a quelques années que Lucien Bouchard avait fait « a crazy thing » en militant pour la souveraineté du Québec plutôt que pour l’environnement … Comme si les deux étaient incompatibles. De ce côté-ci de la rivière Outaouais, on prétend pouvoir marcher et mâcher en même temps !

Gore, Suzuki, Desmarais, Lemire, Guilbault, Charest et autres m’as-tu vu présents ce soir-là à la Place des Arts ont tous, à leur manière, donné raison à La Rochefoucauld, qui a écrit, il y a trois siècles : « Les vertus se perdent dans l’intérêt comme les fleuves dans la mer… » Une autre face de la récupération, en somme.

Cet article paraît dans l'édition de mai du journal Le Couac