Un professeur indigné

2012/05/23 | Par Nicolas Bourdon

Monsieur Charest, lorsqu’on lit votre projet de loi, on est surpris, on écarquille les yeux, on se dit qu’on rêve et puis, ensuite, quand on analyse votre attitude depuis le début du conflit, on se dit : « Hé bien, oui, ça devait arriver. »

Vous n’avez jamais accordé une grande importance aux étudiants. Pendant la crise, vous avez préféré voyager au Brésil et joué avec votre joujou préféré, votre obsession personnelle : le plan Nord.

Le mouvement étudiant ? Hé bien, il s’essoufflera de lui-même sinon, c’est tout simple, les tribunaux s’en occuperont.

Dès la mi-avril, Line Beauchamp, ex-ministre de l’Éducation, a encouragé le recours aux injonctions pour contrer les votes de grève qui avaient été pris dans les cégeps et les universités.

S’il faut absolument se souvenir d’une chose, une seule chose, de cette crise : c’est l’infime nombre d’heures que votre gouvernement a consacrées à la négociation; on ne peut pas laisser pourrir une chose et ensuite s’étonner qu’elle pourrisse.

Et maintenant, pour couronner le tout, cette loi spéciale inique… Une loi spéciale improvisée et adoptée sous bâillon, une procédure qui limite grandement les débats à l’Assemblée nationale. Une loi qui jette de l’huile sur le feu, alors que nous souhaitons tous ardemment que le conflit se règle sans violence.

Ma journée d’hier a été passée à écouter les débats à l’Assemblée nationale. Au début, le nombre de manifestants maximum était de 10, ensuite il est passé à 25, puis à 50.

À un moment, je me suis dit : « Hé bien, encore un petit effort; dans quelques heures, nous en serons à cent ! Ça serait déjà ça de pris. » Quand même ! Quelle improvisation !

Aujourd’hui, je lis et je relis ce fameux article 16, celui qui interdit toute manifestation spontanée. Si les policiers l’appliquent à toutes les manifestations, ils devront arrêter les fans du Canadien lorsqu’ils célèbrent une victoire de leur équipe chérie et, advenant une victoire de votre parti aux prochaines élections, vos partisans qui voudraient manifester spontanément leur joie n’en auraient pas le droit.

À moins qu’ils ne soient que 49… À moins que les policiers n’appliquent la loi que pour les étudiants. On assisterait alors à une discrimination immonde.

Même vos alliés, des gens qui ont pourtant pris position pour la hausse, vous désavouent. Laurent Proulx, porte-parole des carrés verts, a lancé un salutaire appel au dialogue jeudi dernier, avant que la loi ne soit adoptée et le président de la chambre de commerce de Gatineau a envoyé une lettre au service de police dans laquelle il tourne en dérision l’absurdité de vos mesures.

Je crois que même vos partisans ont compris que le débat dépassait maintenant l’enjeu des frais de scolarité; ils voient bien que des libertés individuelles sont maintenant en danger.

Une loi qui exacerbe les tensions

Loi permettant aux étudiants de recevoir l’enseignement dispensé par les établissements de niveau postsecondaire qu’ils fréquentent, c’est ainsi que vous osez intituler votre projet de loi 78. Il faudrait plutôt l’intituler ainsi : Loi obligeant les étudiants à étudier et les professeurs à enseigner sous la menace de la matraque.

Depuis le début, vous avez eu comme position de ne jamais donner aucune légitimité à la grève étudiante. Vous préférez parler de boycott, le mot est habilement choisi : il s’intègre parfaitement à votre logique individualiste.

Vous considérez le gréviste comme un individu atomisé qui décide de boycotter son éducation, ravalée au rang de vulgaire marchandise; vous niez le caractère collectif du mouvement étudiant.

Sachez que, dans le courriel qu’elle nous envoie à tous les matins pour nous avertir de la levée des cours, la direction du collège où j’enseigne, le Collège de Bois-de-Boulogne, parle de grève, et qu’elle reconnaît une légitimité à ce mouvement puisqu’elle a décide de lever les cours si elle constate une ligne de piquetage devant l’institution.

À l’heure actuelle, cette mesure est toujours en place, sauf pour les quelques étudiants demandeurs d’injonction.

Nos étudiants votent à chaque semaine et, à chaque semaine, une majorité claire (environ 60% des étudiants présents à l’assemblée) votent pour la reconduction de la grève.

Votre projet de loi empêche carrément les étudiants de faire la grève; à leur prochaine assemblée, vous ne leur laissez qu’un choix : revenir en classe maintenant ou revenir en classe en août.

Vous ne leur permettez plus de se poser de questions sur les droits de scolarité et sur l’accessibilité aux études; vous tentez de déterminer l’agenda de leurs assemblées générales.

Vous faites pire encore. Vous laissez un pouvoir discrétionnaire abusif aux policiers pour qu’ils puissent sanctionner les manifestants et les organisateurs de manifestations et, lors de manifestations, vous demandez aux associations étudiantes, et ce, même si elles ne sont pas les organisatrices principales d’une manifestation, de surveiller leurs membres pour qu’ils ne dévient pas d’un iota par rapport aux règles absurdes que vous leur avez imposées.

Vous demandez aussi aux étudiants de dénoncer ceux de leurs confrères qui ne respectent pas la loi et qui établissent des lignes de piquetage devant les établissements scolaires.

Vous nous imposez, à nous aussi professeurs, non seulement de ne plus reconnaître les votes de grève des assemblées étudiantes, mais encore de dénoncer ceux de nos étudiants qui refuseraient de soumettre à votre projet de loi.

Monsieur Charest, n’avez-vous pas honte de dresser les étudiants contre les étudiants et les professeurs contre les étudiants ? N’avez-vous pas honte d’exacerber les tensions ? Comment voulez-vous que l’on enseigne dans ce climat pourri ?

Monsieur Charest, vous êtes responsable de la dégradation de nos institutions démocratiques. Vous avez sali deux institutions assurant l’exercice de la justice dans notre société : la police et les tribunaux.

Aux yeux des étudiants, elles ne sont malheureusement plus que la passive courroie de transmission de vos désirs.

Comme beaucoup de professeurs, je veux moi-même suivre la règle de droit, je veux suivre les lois qui émanent de l’Assemblée nationale, mais cette loi est si abjecte - je sais par exemple qu’elle sera peut-être rendue inconstitutionnelle par le plus haut tribunal du pays - que, comme beaucoup de professeurs, je suis un être écartelé entre sa conscience morale et la règle de droit.

On ne peut pas demander à un être écartelé d’enseigner; ce climat est intenable. Abrogez cette loi pendant qu’il est encore temps, c’est la seule chose que vous puissiez faire pour regagner un peu de respect aux yeux des professeurs et des étudiants.


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