Négos à Radio-Canada : Harper en appel

2013/03/14 | Par Maude Messier

Les employés de bureau et les professionnels de Radio-Canada affrontent le gouvernement Harper devant les tribunaux pour défendre leur droit à la négociation collective et pour obtenir le versement des hausses salariales prévues à leur convention collective pour la période 2009-2011.

Le gouvernement fédéral porte en appel une décision de la Cour supérieure du Québec qui déclarait inconstitutionnelles certaines dispositions de la Loi sur le contrôle des dépenses.

La Loi sur le contrôle des dépenses, adoptée en mars 2009 par le gouvernement conservateur, partie intégrante de la Loi sur le budget (Loi C-10), limitait les hausses salariales à 1,5 % par année à compter de 2009 alors que la convention collective négociée entre la section locale 675 du SCFP et Radio-Canada prévoyait des hausses salariales de 2,5 % pour la période 2009-2011.

En d’autres mots, le gouvernement conservateur fait fi du contrat de travail légitimement négocié entre le syndicat et Radio-Canada et limite à son gré les hausses salariales qui pourront être accordées.

Plus encore, depuis l’adoption de C-10, la partie du budget de Radio-Canada attribuée aux augmentations de salaires n’est plus versée par le gouvernement. Radio-Canada doit désormais puiser à même ses budgets de fonctionnement pour payer ces hausses.

« Tout le monde est perdant. Sans compter les coupures de 171 millions de dollars qui ont coûté 800 postes en 2009 et les 450 postes équivalents temps plein en 2012 », de souligner la présidente du syndicat, Isabelle Doyon, en entrevue à l’aut’journal.


D’un grief à… la Cour suprême?

Le 27 avril 2009, Radio-Canada annonce au syndicat par écrit que les hausses salariales de 2,5 % prévues dans la convention collective et devant être versées en septembre seront limitées à 1,5 % pour les trois prochaines années. La société d’État réfère à la Loi C-10.

Le 20 mai 2009, le SCFP-675 dépose un grief contre Radio-Canada pour contester cette décision. Le syndicat estime que les dispositions de la Loi sur le contrôle des dépenses sont inconstitutionnelles et violent la Charte canadienne des droits et libertés en compromettant notamment « l’intégrité du processus de négociation ».

Le syndicat, de même que l’Association des réalisateurs, adressent donc une requête conjointe aux tribunaux pour faire reconnaître l’inconstitutionnalité de la loi.

Le 11 juillet 2012, la juge Lise Matteau de la Cour Supérieure rend un jugement favorable aux syndicats.

Elle déclare notamment « invalides, inapplicables constitutionnellement ou inopérants plusieurs articles de la Loi sur le contrôle des dépenses (…) contraires à l’article 2 d) de la Charte canadienne des droits et libertés ». L’article 2 d) réfère à la liberté d’association.

La juge déclare que la convention collective dûment négociée couvrant la période 2007-2010 doit être respectée par la SRC et que les hausses de salaires prévues doivent être versées.

Sans surprise, le gouvernement conservateur a décidé de porter en appel cette décision. Les parties se présenteront en Cour d’appel à l’automne prochain.

Pour la présidente du SCFP-675, les assises juridiques du dossier sont solides. « Nous sommes prêts à aller jusqu’en Cour Suprême pour défendre notre droit d’association et de négociation. C’est fondamental. »

Elle cite un dossier similaire dans le secteur de la santé en Colombie-Britannique (Health Services and Support – Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique), pour lequel une décision favorables à la partie syndicale a été rendue.

Des syndicats contestaient en partie la constitutionnalité de la Health and Social Services Delivery Improvement Act, qui limitait notamment le droit à la négociation collective.



Conséquences futures…

« C-10 a aussi des répercussions au-delà de la période visée de trois ans pour laquelle on est en cour actuellement. Alors qu’on était en plein cœur des procédures, on entamait aussi une nouvelle négo pour 2010-2015. Que pensez-vous que l’employeur nous a proposé dans ce contexte-là? », explique Mme Doyon.

Compte tenu du contexte budgétaire austère à Radio-Canada, impossible de négocier plus haut que le 1,5 % par année fixé par C-10. « L’employeur est contraint par la loi. Avant, on négociait autour de l’IPC, plus vers 2,3 % - 2,5 %. Là, on ne négocie pas. On n’a pas de rapport de force. »

Elle rappelle pourtant qu’en période de difficultés financières, les parties négocient en tenant comptes des contraintes. Le contexte économique ne doit pas servir d’excuse pour bafouer les droits des travailleurs. « Nous n’avons même pas eu la possibilité de négocier des mesures pour atténuer les impacts pour nos membres. »

Mme Doyon insiste : « Ces hausses que nous n’avons pas, ce sont non seulement des pertes directes de salaires, mais elles ont aussi un impact sur la retraite de plusieurs d’entre-nous, parce que ce sont les cinq meilleures années des dix dernières années sur lesquelles les calculs sont basés. On est donc pénalisés là-dessus aussi. »

Elle affirme qu’elle recommande à tous qui quittent pour la retraite depuis le début du litige de signer leur quittance de travail sous réserve d’un éventuel règlement au dossier. « Pour ne pas complètement couper le lien d’emploi pour qu’ils puissent se prévaloir d’un remboursement éventuel. Ce serait tellement injuste sinon. »

Le SCFP-675 représente quelque 600 salariés dans environ 70 départements de la Société Radio-Canada, au Québec et à Moncton. 70 % de ces employés sont des femmes.