Un maquignonnage qui débouche sur une guerre commerciale

2018/06/08 | Par Jacques B. Gélinas

Tout ça pour ça ! Neuf longs mois de maquignonnage pour renipper l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) au goût de Donald Trump. Mission impossible qui a mobilisé, côté canadien, une armée de hauts fonctionnaires, d’experts et de ministres, dirigée par l’intrépide ministre des relations internationales, Chrystia Freeland. Mais le commandant en chef de cette troupe d’élite, c’est Justin Trudeau animé d’une foi naïve et inébranlable dans le néolibre-échange.

Tout ça pour aboutir à un affrontement qui a finalement dégénéré en une guerre commerciale qui s’annonce dévastatrice. Tout le monde va y perdre, surtout les travailleuses et les travailleurs et la classe moyenne, contrairement à ce que prêchait et prêche encore le premier ministre canadien.

 

Bernie Sanders, un politicien qui ose rejeter le credo libre-échangiste

En de telles circonstances, il est rafraîchissant d’écouter Bernie Sanders : ce qu’il pense des politiques commerciales de son pays et particulièrement de l’ALENA et du néolibre-échange en général.

Dans son livre Notre révolution, il raconte sa course à la chefferie du Parti démocrate, en vue de l’élection présidentielle de novembre 2016. Une véritable épopée. Comme il le souligne en introduction, «l’enjeu, n’était pas seulement l’élection d’un président des États-Unis… mais la transformation de l’Amérique». Libérer les États-Unis de l’emprise du conservatisme néolibéral.

Bernie Sanders n’a pas gagné l’investiture, mais il a ébranlé les colonnes du temple de l’establishment du Parti démocrate. Et il a enclenché un mouvement progressiste inédit, qui a toute les chances de se répercuter aux élections de mi-mandat, en novembre prochain.

Tout au long de cette campagne historique, il a fait porter «le débat sur des questions que l’establishment cachait sous le tapis depuis trop longtemps» : l’inégalité de revenus et de richesses, les changements climatiques, l’appauvrissement de la classe moyenne, le déni des soins de santé pour les pauvres et, surtout, «les politiques commerciales désastreuses» pour le monde ouvrier, la classe moyenne… et les États-Unis.

L’actualité nous invite à relever et commenter cette question des politiques commerciales désastreuses,  alors que la renégociation rocambolesque de l’ALENA débouche sur une guerre commerciale mondiale.

Dans sa dénonciation des politiques commerciales, promues et signées par les États-Unis depuis les années 1980, Sanders étrille particulièrement l’ALENA et le PTP, l’Accord de partenariat transPacifique.

Il cite le président Clinton qui, en 1993, «promettait que l’accord commercial avec le Mexique et le Canada créerait un million d’emplois dans les cinq premières années» (p. 333).

Au lieu de cela, en 24 ans, l’accord a contribué à la perte «de 4,8 millions d’emplois industriels correctement payés». Près de 60 000 compagnies états-uniennes ont déménagé au Mexique, en Chine, au Bangladesh ou dans d’autres pays «où le travail coûte le moins cher, où les impôts sont les plus bas, et les protections de l’environnement les plus faibles» (p.326).

On appelle ça la délocalisation. C’est le nœud du problème. Qu’est-ce qui permet et facilite la délocalisation des entreprises ? La dérèglementation – ou non-réglementation – considérée comme la première règle disciplinaire du néolibre-échange. L’objectif : un marché mondial libre de toute réglementation.

 

Donald Trump, le libre-échangiste schismatique

Donald Trump croit dans le libre-échange, mais un libre-échange apprêté à la sauce USA.

On dit de ce président qu’il est imprévisible, versatile, erratique, inconstant…  Mais il est un point sur lequel il n’a jamais varié : America first ! Les États-Unis premiers envers et contre tous. Qu’il s’agisse de voisins, d’alliés ou d’ennemis, Trump veut des relations commerciales toujours à l’avantage des Etats-Unis.

Pendant la campagne présidentielle, il a dénoncé lui aussi les effets néfastes de l’ALÉNA et du PTP pour la classe ouvrière et la classe moyenne de son pays. On comprend cependant que Trump n’est pas contre le néolibre-échange, ni contre le néolibéralisme. S’il a exigé la renégociation de l’ALENA, c’était pour signer un autre accord du même acabit, mais à l’avantage des États-Unis. En clair, il veut un accord prédateur, qui prend aux pauvres et à la petite classe moyenne du Mexique et du Canada, pour donner aux riches et aux compagnies transnationales des États-Unis.

En fait, ce qui intéresse Trump, c’est la multiplication d’accords commerciaux bilatéraux, avec un seul pays à la fois, afin de profiter de plus faibles que les États-Unis.

Cela étant, les négociations commerciales qu’il poursuit avec la Chine le contrarient et l’étourdissent. Il a rencontré plus fort et plus malin que lui dans l’instrumentalisation des accords de néolibre-échange.

 

La perversion des consciences

Ainsi donc, les coups portés contre le néolibre-échange viennent aussi bien de la droite que de la gauche, quoique pour des raisons différentes. Peu à peu la croyance dans le néolibre-échange s’effrite. Mais comme toutes les croyances, celle-ci peut résister à l’évidence.

Les effets pervers du néolibre-échange sont aujourd’hui bien connus et reconnus : dégradation de l’environnement, creusement des inégalités, démolition insidieuse de la démocratie.

Comment ne pas être accablé par l’irresponsabilité de nos dirigeants politiques qui endossent et défendent ce système délétère, fondé sur la compétition, l’affrontement et la destruction de l’environnement, plutôt que sur la coopération, la solidarité et la protection de notre habitat terrestre ? Comment l’idéologie néolibérale a-t-elle pu pervertir à ce point la conscience des élites économiques et politiques qui président aujourd’hui aux destins des peuples ?

Dans un livre récent intitulé Le totalitarisme pervers, Alain Deneault montre comment s’est opérée de façon voulue et systématique la corruption des consciences permettant à la pétrolière Total de poursuivre ses pratiques totalitaires.

 

Vivement, remettre le monde à l’endroit

Y a-t-il une alternative réaliste et réalisable à ces politiques commerciales désastreuses? Sanders a indiqué la voie : la réponse ne peut venir que de la base.

En ce sens, les principes énoncés par les organisations de la société civile du Québec, regroupées sous le Réseau québécois d’intégration continentale (RQIC), visent à remettre le monde à l’endroit.   

  • Premier principe : extirper des accords commerciaux internationaux les règles disciplinaires du néolibéralisme : dérèglementation, privatisation, ouverture débridées des frontières, flexibilité du travail, primauté du marché sur le politique.
     
  • Deuxième principe : considérer tout accord économique comme un outil de complémentarité et de coopération, plutôt qu’une vaste entreprise de mise en compétition de tous contre tous, ce qui, on le voit, mène infailliblement à la guerre économique.
     
  • Troisième principe : porter secours aux nations en voie de développement ou sous-développées, toutes anciennes colonies pendant longtemps pillées et dépossédées de leurs ressources matérielles et humaines, comme ce fut le cas particulièrement en Afrique.
     
  • Quatrième principe : promouvoir et favoriser la souveraineté alimentaire dans tous les pays ; conséquemment, interdire que les pays en surproduction agroalimentaire ne déversent leurs surplus dans les pays pauvres.
     
  • Cinquième principe : favoriser la production locale, l’achat chez nous et les circuits commerciaux courts, seule façon de protéger l’environnement, les ressources et la biodiversité.

Rien de ce que signalent ces cinq balises ne se situe hors du faisable. Il n’y manque que la volonté politique qui ne pourra être infléchie dans le sens indiqué que par une forte et persistante mobilisation de la société civile.

  1. L’ALENA entré en vigueur le 1er janvier 1994 a été signé en décembre 1992 par Bush père, Mulroney et de Gortari. - Le PTP, qui réunissait 12 pays du Bassin du Pacifique, dont les États-Unis et le Canada, a été signé le 4 février 2016. Déchiré par le président Trump, dès son arrivée au pouvoir, il a été renégocié par les 11 autres pays membres, puis re-signé le 8 mars 2018, sous un nouveau nom tape-à-l’œil : Accord de partenariat transpacifique, global et progressiste (PTPGP).

 

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