À Sherbrooke : « Pour les logements additionnels, allez dans les avenues ! »

2023/09/06 | Par Paul Lavoie

L’auteur habite Sherbrooke
 
Sherbrooke est en voie d’autoriser le logement additionnel : il s’agit d’un logement supplémentaire de petite taille, réalisé à même la construction ou le terrain d’une maison unifamiliale existante. Sherbrooke n’innove pas en la matière. Au Québec, quelques autres villes donnent déjà cette autorisation. Ailleurs au Canada, ce sont plutôt des centaines de villes qui l’autorisent selon la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL), qui en dénombrait 292 en 2014.

Même dans le reste du Canada où il est plus fréquent, le phénomène reste relativement marginal. On retrouve ce type de logement surtout dans les très grandes villes, là où le coût de l’habitation est démesuré : à Vancouver, il en existerait quelques dizaines de milliers. En Ontario, c’est à Toronto où ils sont les plus nombreux : 15 % des propriétés avec une entrée privée possèdent un tel logement, construit dans la moitié des cas au sous-sol. Ailleurs qu’à Toronto, le phénomène est peu important et touche à peine une propriété sur 20.

Il est intéressant de lire la documentation de la SCHL sur le phénomène. Elle est consciente qu’aménager un tel logement n’est pas une décision facile à prendre ni courante, impliquant une certaine forme de générosité et des tracas par rapport au confort de la vie individuelle. La SCHL explique néanmoins, à partir d’études de cas et de statistiques, pourquoi on doit l’encourager : il réduit l’étalement urbain, il permet de rester chez soi plus longtemps, il donne des moyens aux familles de s’occuper de leurs aînés ou de leurs enfants, les villes disposent de revenus supplémentaires sans créer des infrastructures nouvelles, des propriétaires réduisent le coût de financement de leur propriété, le parc de logements disponibles augmente, on crée de l’emploi dans la construction, on augmente la valeur des propriétés possédant un tel ajout…

Lorsque le projet est discuté le 4 avril dernier par le Conseil municipal de Sherbrooke, il est adopté à l’unanimité. Il aurait en effet été difficile de s’opposer à une mesure aussi banale, accompagnée d’une réglementation appropriée et pouvant faire l’affaire de quelques concitoyens. Une rencontre d’information sur le sujet, tenue le soir du 28 août, permet toutefois de réaliser que la conseillère d’un district de la ville n’avait rien compris le 4 avril et avait entre-temps changé son fusil d’épaule : elle était maintenant farouchement opposée au projet, partant en croisade contre sa mise en vigueur.

Avant la réunion de lundi, cette conseillère avait distribué dans son quartier une feuille présentant le projet comme une menace apocalyptique. À la lire, on comprenait que tout le monde dans sa rue allait rajouter un logement ou une deuxième maison sur son terrain. « Dorénavant, les propriétaires de maisons unifamiliales pourront ajouter un logement à leur maison ou encore construire une deuxième maison sur leur terrain. Ainsi, les quartiers de maisons unifamiliales ne comptant qu’une seule maison par terrain n’existeront plus en termes de zonage dans le périmètre urbain de la ville de Sherbrooke. Sur la plupart des terrains, une deuxième unité (logement) pourra être construite, faisant passer le secteur d’une zone de maisons unifamiliales à une zone de deux logements, qui s’apparentera à la dynamique des secteurs de duplex. »

Lundi soir, les opposants au projet étaient là pour la soutenir. Ils étaient faciles à identifier : lorsqu’ils prenaient la parole, on les sentait proches de l’apoplexie. Il faut dire qu’à les écouter, on pouvait aussi prendre peur devant la menace que présentaient ces hordes de citoyens barbares. On comprenait qu’ils parlaient de ces immigrants et de ces étudiants qui allaient déferler sur leur quartier si calme et s’installer dans le logement que le voisin ne manquerait pas de construire pour eux. Une autre conseillère, renversée par un tel défoulement, a bien dénoncé leur « manque de respect » et leur « intolérance », mais l’a-t-on écoutée ?

Certes, la conseillère nouvellement opposante au projet a marqué quelques points. L’assistance a bien compris le fond de sa pensée lorsqu’elle s’est mise à dire que ceux voulant ces logements n’avaient qu’à les faire ailleurs que dans son quartier. Ailleurs, comme « dans les avenues », a-t-elle précisé. Tout le monde avait compris son message : à Sherbrooke, les « avenues », ce sont là où habitent les moins que rien, ceux qui ne sont même pas capables de s’offrir une maison individuelle.