Palestine : La responsabilité canadienne

2023/10/20 | Par Pierre Dubuc

Six jours après le début de son offensive, Tsahal annonçait avoir déjà largué 6 000 bombes, soit 4 000 tonnes d’explosifs sur l’une des zones les plus densément peuplées au monde. 2,3 millions de Gazaouis sont privés d’eau, de nourriture, de médicaments, d’électricité, de pétrole et de gaz. Un million d’entre eux ont été forcés de se déplacer. Selon un bilan provisoire donné par les autorités de Gaza, plus de 3 400 Gazaouis dont plus d’un millier d’enfants ont été tués depuis le début de la guerre et 12 000 ont été blessés.

Et tout cela n’est pas suffisant pour que le gouvernement de Justin Trudeau réclame sur-le-champ un cessez-le-feu!

Le premier ministre déclare appuyer le droit d’Israël à se défendre « conformément au droit international », alors que l’Organisation des Nations unies affirme, selon le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Volker Türk, que « l’imposition de sièges qui mettent en danger la vie des civils en les privant de biens essentiels à leur survie est interdite par le droit international humanitaire ».

Rappelons que l’an dernier, le premier ministre déclarait au sujet des attaques de la Russie contre l’Ukraine que « les attaques aveugles contre des innocents sont un crime de guerre ».

Bien évidemment, le massacre d’Israéliens par le Hamas est condamnable. Nous y reviendrons plus loin. Mais le Canada porte une lourde responsabilité dans la situation actuelle que les grands médias omettent de souligner.

Le rôle du Canada dans la partition de la Palestine

Dans les discussions qui ont mené à la création de l’État d’Israël, Lester B. Pearson présidait le premier comité sur la Palestine de l’ONU ayant pour mission de développer des propositions pour un règlement politique et qui sera à l’origine du Comité spécial des Nations unies sur la Palestine créé en mai 1947. Le Canada faisait partie des onze pays « neutres » siégeant au comité boycotté par les pays arabes.

Le représentant du Canada sur ce comité était le juge de la Cour suprême Ivan C. Rand – célèbre pour son jugement qui reconnaissait aux syndicats le droit de prélever des cotisations (formule Rand) – lequel était sympathique au sionisme.

Dans son livre The Black Book of Canadian Foreign Policy (Red Publishing), le journaliste Yves Engler soutient que le juge Rand a été un des principaux promoteurs de la partition et un opposant à la solution d’un État unitaire juif-arabe.

Après que le Comité eût produit des rapports majoritaire et minoritaire, on mit sur pied un comité ad hoc spécial pour trouver une solution sous la présidence de Lester B. Pearson, alors sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères.

Ce dernier joua un rôle central pour imposer la solution de la partition, si bien que des groupes sionistes le surnommèrent le « Lord Balfour du Canada » ou encore le « rabbin Pearson ».

Dans State in the Making, cité par Yves Engler, David Horowitz, premier gouverneur de la Banque d’Israël, écrit : « Lester B. Pearson a été la force dynamique, celui qui a montré le chemin. Son appui aux forces pro-partition a été un moment décisif. Son influence, en tant qu’une des personnalités les plus prestigieuses de l’ONU, a été considérable. On peut affirmer que le Canada plus que tout autre pays a joué un rôle décisif lors des différentes étapes des débats sur la Palestine. »

Le 17 octobre 1947, le Canada fait effectivement partie du groupe de 14 pays qui approuvent le principe de la partition, alors que 13 autres pays s’y opposent. Le Canada appuie un plan qui accorde au nouvel État juif la majeure partie de la Palestine bien que la population juive ne possédait que 6% du territoire et ne représentait que le tiers de la population.

Une décision guidée par l’antisémitisme

Yves Engler explique dans son livre que ce n’est pas une soudaine sympathie pour le peuple juif qui amène le gouvernement canadien à adopter une telle position. Ce n’est pas non plus, comme on l’a affirmé dans certains milieux, la force du lobby juif qui aurait forcé la main du gouvernement canadien.

Dans le livre None Is Too Many: Canada and the Jews of Europe, 1933-1948 de Irving Abella et Harold Troper (Lester & Orpen Dennys, 1983), cité par Yves Engler, on relate l’inhabilité de la communauté juive à renverser les politiques d’immigration antisémites du Canada avant, durant et immédiatement après la Deuxième Guerre mondiale. Entre 1933 et 1945, le Canada a accepté moins de 5 000 réfugiés juifs.

En fait, c’est l’antisémitisme de la classe dirigeante canadienne qui explique en partie le soutien à la création d’Israël. À Ottawa, tout comme à Washington et dans d’autres capitales, la création de l’État d’Israël permettait de rediriger vers cette partie du monde le flot de réfugiés qui frappaient à leurs portes.

La géopolitique

Mais, selon Engler, plus encore que la question de l’immigration, ce sont des considérations géopolitiques qui expliquent le mieux la position canadienne. Le Canada était très préoccupé par la mésentente entre la Grande-Bretagne et les États-Unis à propos de la Palestine, qui risquait de favoriser l’URSS, un des premiers pays à reconnaître l’existence d’Israël, précisément pour profiter de la dissension entre les deux pays anglo-saxons et l’accentuer si possible.

Il est important de rappeler que les relations étaient à ce point tendues entre la Grande-Bretagne et les États-Unis au lendemain de la guerre, qu’un courant au sein de la direction soviétique spéculait sur le déclenchement d’un conflit armé entre les deux pays. L’Angleterre voyait son empire lui échapper, alors que les États-Unis essayaient de la remplacer comme puissance impériale dans les anciennes colonies.

Au Moyen-Orient, l’Angleterre, bien qu’elle ait approuvé la création d’un État israélien dès 1917 avec la Déclaration Balfour et qu’elle s’était vue confier par la Société des Nations un mandat en ce sens, se faisait maintenant tirer l’oreille de crainte de s’aliéner les pays arabes et de compromettre son approvisionnement en pétrole. Dans cette passation des pouvoirs entre la Grande-Bretagne et les États-Unis, dans ce changement d’empire, le Canada, et plus particulièrement Lester B. Pearson allait jouer un rôle clef.

Le lobby juif

Depuis, le lobby juif est devenu un acteur important dans la politique canadienne et a ses entrées au Parti Libéral. Rappelons qu’en 2013, Justin Trudeau a recruté son ami Stephen Bronfman pour financer sa course à la direction du Parti libéral. Ce dernier a rapidement recueilli 2 millions $, ce qui lui a valu d’être nommé, par la suite, à la tête du comité chargé des finances du Parti Libéral. En un an, Bronfman avait déjà récolté près de 16 millions $, soit plus que le Parti Libéral n’en avait jamais récolté au cours de chacune des années de la décennie précédente. Stephen Bronfman a été récompensé. Il a été la seule personne qui n’était pas de la famille du premier ministre, membre du gouvernement ou du personnel politique à être invitée à la Maison-Blanche pour la réception offerte par Barack Obama à Justin Trudeau.

 

Québec-Palestine

Le Québec a longtemps exprimé son soutien au peuple palestinien. On se souviendra d’une photo célèbre de Michel Chartrand avec Yasser Arafat. C’était du temps de l’Organisation pour la libération de la Palestine (OLP). L’OLP était une organisation laïque, regroupant différentes tendances politiques du peuple palestinien, dotée d’un programme démocratique réclamant l’autodétermination du peuple palestinien et d’inspiration socialiste.

Puis le monde a changé. En 1991, l’Union soviétique s’écroule. Le capitalisme est triomphant. L’impérialisme américain domine. Les idées socialistes sont discréditées, le néolibéralisme s’impose comme idéologie dominante.

Mais un autre événement politique majeur a eu lieu douze ans auparavant : la Révolution iranienne, qui s’oppose, au nom de l’islam, à l’impérialisme américain. Dans le vide idéologique résultant de la quasi-disparition des idées socialistes, l’islam radical émerge, particulièrement dans les pays arabes.

Une des plus importantes transformations qui en résulte est le remplacement du facteur national par le facteur religieux. Progressivement, les populations du Moyen-Orient et du Maghreb ne seront plus identifiées par leur caractère national (Algérie, Marocain, Tunisien, Palestinien, etc.), mais leur religion, même si dans ces pays d’autres religions sont présentes. C’est une extraordinaire régression historique, idéologique et politique.

Des groupes politiques se formeront avec pour programme, non plus l’autodétermination des peuples et le socialisme, mais le programme de l’islam politique, la création du califat à l’échelle mondiale.

L’histoire de cette émergence de l’islam politique est trop complexe pour être résumée ici, mais il est avéré qu’elle a bénéficié du soutien de l’Iran, mais aussi de l’Arabie saoudite, du Qatar et même de pays non musulmans.

On souligne, par exemple, ces jours-ci qu’Israël a financé et favorisé la montée du Hamas pour contrer l’Autorité palestinienne. On se souviendra que les États-Unis ont armé les talibans pour chasser l’Union soviétique de l’Afghanistan, avec le soutien financier de l’Arabie saoudite, pour voir par la suite des Saoudiens, avec à leur tête Oussama Ben Laden, attaquer les tours du World Trade Center, un certain 11 septembre 2001. Nous sommes témoins d’un revirement semblable avec l’attaque du Hamas.

Dans ce nouveau paysage politique, il est évidemment impossible pour des progressistes d’apporter leur soutien aux combattants du Hamas qui égorgent des civils et tuent des enfants aux cris de « Allah est le plus grand ! »

Mais cela ne nous empêche évidemment pas, au contraire, de dénoncer les bombardements israéliens sur Gaza, le nettoyage ethnique pratiqué par Israël depuis sa création et qui se poursuit activement aujourd’hui avec les colons fascistes appuyés par l’armée en Cisjordanie et dont on devine l’intention avec l’ordre d’évacuation du nord de Gaza.

Il est de notre devoir de dénoncer l’appui du gouvernement Trudeau à l’actuel gouvernement israélien et son alignement avec la politique américaine. De soutenir avec force le droit à l’autodétermination de la Palestine et d’apporter notre soutien aux forces palestiniennes démocratiques.

Pour approfondir la question, nous recommandons la lecture des deux articles suivants :
Canada et Palestine, une profonde illusion
Par Rachad Antonius

Un seul État démocratique et laïque pour la Palestine/Israël
Une entrevue avec le regretté Palestinien Rezeq Faraj par André Le Corre