La stratégie du mépris contre le Front commun

2023/11/22 | Par Simon Rainville

L’insipide Bernard Drainville se dépasse dans les inepties. Coup sur coup, il a demandé aux enseignants et enseignantes de préparer des travaux pour les élèves durant la grève du Front commun, puis il nous a fait endurer son karaoké loufoque sur Toune d’automne, des Cowboys fringants. Du populisme de haut niveau.

Récupérer la mort de Karl Tremblay est en soi dégueulasse. Mais nous servir à boire sa voix cassée, à l’image de sa carrière, relève du manque de jugement le plus élémentaire. À moins que ce ne soit une façon de préparer les membres du Front commun à la platitude des propositions de la CAQ : une version cheap. Heureusement pour lui, il n’est pas seul sur la patinoire des inepties. Son équipe de bien nantis est bien nantie en matière de bavures.
 

Les Kings du Québec

Cet ancien péquiste pourrait peut-être aller chanter l’hymne national canadien lors du match des Kings de Los Angeles à Québec et ainsi faire une profession de foi fédéraliste afin d’avoir les bonnes grâces de la ligue dirigée à partir de Toronto?

Son gouvernement a cinq à sept millions de bonnes raisons de se féliciter de la venue de l’équipe américaine en terre de Québec. Comme si l’on ne voyait pas qu’il s’agit d’une autre crise de panique de la CAQ afin de chercher à regagner la ville de Québec. Pourtant, le dernier sondage Léger montre que, non seulement l’appui au Front commun est deux fois plus élevé que l’appui au gouvernement, mais c’est à Québec, ville où se trouvent plusieurs fonctionnaires, que cet appui est le plus fort. La CAQ joue un drôle de jeu politique.

Le ministre pourrait même pleurer comme il l’a fait lorsque son gouvernement a abandonné son 3e lien. À moins qu’il ne soit en train de ramener encore une fois l’idée. Ou pas. Ou peut-être. On ne sait plus. La valse-hésitation est devenue une marque de commerce de la CAQ. Malheureusement, elle valse comme Drainville chante, c’est-à-dire mal.

« C’est important d’investir dans le loisir, que ce soit les sports, que ce soit la culture ». C’est ainsi que François Legault a justifié son « investissement » dans la venue des Kings. Comme si la culture n’était qu’un « loisir ». Comme si l’école publique, qu’il devrait adéquatement financer, ne serait pas un meilleur «investissement» dans la culture, la vraie, celle qui compte, celle d’ici, loin des millionnaires de la rondelle. Comme si le sport amateur, en manque de budget lui aussi, allait profiter de la venue de l’équipe californienne.

Voilà le mépris ordinaire du gouvernement qui a osé tenir ce genre de propos à la veille d’une grève du Front commun, qui a tout pour devenir historique et dont le cœur de la mésentente tient principalement au sous-financement chronique des services publics. Une équipe de « Kings » pour un gouvernement de roitelets, ça tombe sous le sens.
 

« Pas les mêmes montants »

On apprend d’ailleurs que les fonds pour cet « investissement » seront retirés de programmes venant en aide à des entreprises régionales et à des organismes locaux à but non lucratif. Tout ça au moment où le gouvernement Legault offre des milliards aux multinationales comme Northvolt. Si seulement le Front commun représentait les puissants, peut-être serait-il mieux considéré?

Devant la levée de boucliers de la part des centrales syndicales qui ont rappelé que ces cinq à sept millions $ pourraient être utilisés ailleurs, notamment dans les négociations pour les conventions collectives, Legault a rétorqué, de son air de papa frustré par l’impertinence de ses enfants : « on ne parle pas des mêmes montants ». Il faut être un gouvernement de millionnaires déconnectés de la réalité pour offrir une telle réponse.

Sept millions $, c’est peu dans le budget du Québec et dans le budget de roulement d’une équipe de hockey de milliardaires. Bien sûr, mais pour les organismes qui perdront ces sommes, il s’agit d’une (autre) coupure importante. Mais à quoi s’attendre d’un premier ministre qui affirmait il y a deux ans qu’on pouvait louer un appartement à Montréal pour « 500, 600$ par mois »?
 

Être ses propres briseurs de grève

Cette bévue a presque fait oublier l’autre bêtise du gouvernement Legault. Il faut dire que la CAQ n’est jamais à court de manque de jugement. Si seulement elle pouvait être aussi bien nantie en matière de bonne foi et de respect de ses employés.

Le ministre Drainville a franchi un autre pas en demandant aux enseignants du niveau primaire et secondaire de préparer des travaux pour « les pauvres élèves tenus en otage par les méchants syndicats ». Il demande essentiellement aux enseignants de faire une tâche supplémentaire avant de faire la grève, eux qui sont déjà débordés. Il demande aux employés de l’État d’être leurs propres briseurs de grève. Il faut le faire. Nous voilà de retour dans le monde pré-1960 : rien ne devrait arrêter la marche du temps productif.

Or, la grève vise précisément à créer une brèche dans le temps, à arrêter le cours « normal » des choses, à forcer les discussions, à arrêter ce qui allait de soi jusqu’à présent. C’est ce que font les 420 000 membres du Front commun et les syndiqués de la FAE et de la FIQ : rompre le temps. C’est bien ce dont notre époque a le plus besoin : du temps. Et en brisant le temps, on favorise des rencontres, des solidarités, des discussions. Le Québec doit avoir une réflexion collective sur son avenir et sur son système public.
 

« Quelque chose en échange »

Mais ce n’est pas ce que prépare la CAQ. Faute de s’occuper des tables de négociation avec le Front commun, la table de la gestion des gaffes médiatiques méprisantes de la part de ses ministres déborde. La suffisante ministre Sonia Lebel demande ad nauseam aux employés de l’État «quelque chose en échange» de concessions gouvernementales dans les négociations, sans d’ailleurs préciser ce « quelque chose ». Un vrai discours paternaliste patronal. Comme si ce n’était pas ce que faisaient les fonctionnaires tous les jours, « donner quelque chose en échange » à la société.

Comme si l’infirmière qui fait du « temps supplémentaire obligatoire » (communément appelé TSO) ne donnait pas quelque chose au Québec en mettant sa vie de famille et de couple de côté. Comme si l’enseignante du primaire, qui achète souvent le matériel pour sa classe avec son propre argent et qui compose quotidiennement avec des classes de plus en plus grosses aux cas de plus en plus complexes, ne donnait pas quelque chose au Québec.

Comme si l’enseignant du secondaire, en acceptant d’avoir des classes de plus en plus ingérables, en pataugeant dans le bordel qu’est devenu notre système à trois vitesses (public, privé et semi-privé dans le public), ne donnait pas quelque chose au Québec. Comme si l’employé d’entretien ménagé, qui doit accepter un travail sous-payé aux horaires peu alléchants et dont la pénurie de main-d’œuvre rend la tâche gargantuesque, ne donnait pas quelque chose en échange au Québec. La liste pourrait se poursuivre longuement.

Vraiment, à la CAQ, le mépris n’aura pas qu’un temps. Les fonctionnaires, faut-il le rappeler, soignent, éduquent et soutiennent de mille façons les autres travailleurs et travailleuses du Québec. Ils permettent aussi de maintenir le Québec pour ce qu’il est, une nation francophone coincée dans un grand tout anglophone, en étant un rempart au fédéralisme conquérant. C’est ce Québec qui se veut juste que les employés de l’État permettent d’espérer. Je poserai la question à la ministre Lebel : que faites-vous « en échange » du travail des fonctionnaires pour le Québec?