La CAQ veut changer le droit syndical en droit personnel

2023/11/24 | Par Simon Rainville

Le gouvernement répète depuis des semaines qu’elle s’attend à « quelque chose en échange » de la part du Front commun. Comme la CAQ n’est jamais capable d’honnêteté ni d’assumer ce qu’elle est, le doute persistait sur le contenu de ce « quelque chose » et sur le sens de « l’échange ». Jamais les ministres n’osaient dire ce à quoi ils s’attendaient de la part des syndiqués outre le nouveau mot à la monde « flexibilité ». Le même utilisé par les « experts de la gestion » du privé qui sont en fait des experts de la coupe de salaires et de la « rationalisation des effectifs ».

Mais voilà que le ministre Dubé a repris son ton pandémique qui se veut ferme mais jovial : « On doit changer le droit syndical en droit personnel ». Le ton du « gros bon sens ». Le ton du papa qui sait. Le ton patronal. Le ton du mépris.

Au moins, nous sommes enfin devant un peu d’honnêteté de la part de la CAQ. Ce qu’elle demande, c’est en fait un affaiblissement des syndicats au profit d’un « droit personnel ». La CAQ nous habitue depuis ses débuts à une imprécision digne d’un mauvais travail de niveau collégial. Le ministre aurait besoin d’un cours de science politique et de droit 101 : les droits syndicaux sont des droits personnels. J’imagine que ce qu’il voulait dire est que les droits collectifs des travailleurs ne devraient plus primer sur les droits individuels.

Une rengaine vieille comme la révolution industrielle

Or, la régression d’un droit collectif au profit de la « flexibilité » du patron porte un nom : une doctrine (néo)libérale. Il s’agit d’une vision selon laquelle la personne serait brimée dans son individualité par un groupe. Les méchants syndicats brimeraient la liberté des travailleurs. Cette rengaine est vieille comme la révolution industrielle.

Mais c’est précisément ce pour quoi les syndicats sont nés : protéger le travailleur « libre » de « négocier » ses conditions de travail individuellement. « Notre personnel, a affirmé Dubé, doit avoir le choix de faire ce qu’il veut faire au moment où il veut le faire. Ceux qui veulent faire des horaires de 12 heures, ils doivent pouvoir le faire. Ça ne doit pas être bloqué par le syndicat. » Même syndiquées, même regroupées, les infirmières doivent faire du « temps supplémentaire obligatoire » (TSO). Imaginez leurs conditions de travail sans syndicat.

Quelle liberté peut avoir une personne devant une institution monstre comme le système de santé ou le système de l’éducation? La force du nombre, c’est tout ce que possèdent les travailleurs pour faire pencher la balance en leur faveur.

Une négociation sur la société future tout entière

Mais il y a davantage. C’est à beaucoup plus qu’à une simple négociation sur les salaires que nous convie la CAQ : c’est à une négociation sur la société future tout entière. Le gouvernement martèle dans les médias que chaque hausse de 1% de son offre salariale coûte 600 millions au budget de l’État. Comme si un gouvernement ne contrôlait que les dépenses, qu’il n’avait aucun contrôle sur les entrées d’argent. J’aimerais l’entendre nous dire combien rapporterait au Québec la hausse de chaque point de pourcentage des taux d’imposition de multinationales.

J’aimerais l’entendre nous dire combien coûtent à l’État chaque élève du secondaire qui décroche, chaque cancer dépisté trop tard qui demande des traitements plus longs, chaque enseignante qui part en burn out, chaque erreur administrative faute de personnel, chaque enfant du primaire qui ne reçoit pas les services dont ils auraient besoin, chaque infirmière qui part dans le secteur privé. Le Québec n’a pas les moyens de se priver d’un système public fort.

Les syndicats ont certainement un rôle à jouer dans la modernisation des structures du travail. Et si tout n’est pas parfait, ils relèvent ce défi depuis des années. Prétendre que le cœur du problème est l’intransigeance des centrales est méprisant. Quand le ministre Drainville affirme sans rire que les enseignants ont le devoir de demander à leurs chefs syndicaux de « revenir avec une contre-offre sur les enjeux de la négo », on peut voir que le mépris ne s’adresse pas qu’aux syndicats, mais qu’il est dirigé vers l’intelligence de ses membres.

Avec des taux de votes historiques en faveur de la grève (qui pourrait aller jusqu’à la grève générale illimitée pour le Front commun aussi), cette « tactique » pour désolidariser les membres de leur syndicat est risible et monte bien l’écart entre ce parti et la population. Après la bévue des Kings de Los Angeles, les chiffres sont pourtant clairs : alors qu’ils étaient moins de 40% à être assurément en accord (1/3 refusait de se prononcer) avec les revendications des fonctionnaires, c’est maintenant 70% des salariés du Québec qui se rangent derrière le Front commun. Ce chiffre monte à 79% chez les parents ayant des enfants dans le système scolaire.

L’appui à la CAQ a chuté de près de la moitié en moins d’une année. Mais le mépris de ce parti de plus en plus déconnecté de la population est idéologique. C’est pourquoi le gouvernement ne flanchera pas de sitôt. La pression doit être maintenue.

Une vidéo loufoque de Gabriel Nadeau-Dubois

Sans rien enlever au Parti Québécois de Paul St-Pierre-Plamondon, force est de constater qu’il s’agit d’abord d’un désaveu du gouvernement plus que d’une approbation profonde du programme du parti indépendantiste. Et pendant que le PQ n’a même pas à agir pour récolter les voix contestataires, Québec solidaire doit de se demander comment ces intentions de vote peuvent lui échapper si facilement.

C’est probablement ce qui explique les actions de plus en plus populistes de QS, au premier rang desquelles se trouve cette vidéo loufoque de Gabriel Nadeau-Dubois qui circule sur les réseaux sociaux. On le voit en train de demander à des orthophonistes qui manifestent devant l’Assemblée nationale quelle question elles aimeraient que le chef solidaire pose à François Legault.

Comme si « donner » son tour de parole à trois employés de l’État était une action politique. Comme si cela avait un poids. Comme si cela allait servir à autre chose qu’à faire une belle vidéo « drôle » pour les réseaux sociaux. QS devrait pourtant se demander ce qu’il peut faire pour porter réellement la voix de la majorité. Une surprise de taille pourrait les attendre : la politique se fait aussi avec les préoccupations socio-économiques de la classe moyenne, d’ailleurs de moins en moins « moyenne » sur l’échelon économique.

Mais c’est surtout à la CAQ que cette même question doit se poser : peut-elle encore prétendre porter la voix de la majorité, elle qui a pourtant obtenu l’un des scores électoraux les plus élevés de l’histoire du Québec, il y a à peine un an? Faut-il le rappeler, le mépris du gouvernement est aussi dirigé vers ceux et celles qui ont voté pour la CAQ.

Un appui sans précédent de la population

Au mépris d’un parti de riches, il faut opposer la solidarité des classes moyennes. En 15 ans de vie professionnelle auxquels s’ajoutent des années de militantisme universitaire, je n’ai jamais vu un appui quotidien de la population aussi important. Sur les lignes de piquetage, les camions d’entreprises privées et de sociétés d’État, les voitures électriques comme les camions des ouvriers de la construction, les conducteurs à tête blanche comme les conductrices au volant de voitures familiales klaxonnent à relais.

Des étudiants viennent porter du café à leurs professeurs, des mères viennent marcher avec leurs filles qui ont choisi de faire la même profession, des grands-pères viennent piqueter avec leurs fils et leurs petits-fils. Il y a des réflexions nourries sur les lignes de piquetage, mais aussi au dépanneur du coin, au match de hockey du plus jeune et à l’arrêt d’autobus. Il y a quelque chose de beau qui peut naître de cette solidarité. 600 000 personnes en grève. Votée par 90% des membres. Avec 70% d’appui populaire. Quantitativement, il s’agit du plus gros mouvement syndical de l’histoire du Québec. Le gouvernement prendra-t-il enfin part à la discussion à laquelle son peuple le convie?