Gaza : Les nationalistes inconséquents

2024/01/05 | Par Christian Neuvillette

François Legault se croit bon nationaliste tout comme, d’une autre manière, Mathieu Bock-Côté. Et tous deux ont pris parti dans le même sens à propos des faits consécutifs aux terribles évènements du 7 octobre, ayant eu pour épicentre la bande Gaza ; lambeau des territoires palestiniens tels que définis par les accords d’Oslo et les résolutions de l’ONU. Ils ont pris parti en faveur des forces israéliennes. Les forces israéliennes sont occupantes dans les territoires palestiniens. Elles le sont en Cisjordanie. Personne n’en disconvient, sauf les illuminés qui appellent ce secteur Judée-Samarie en pensant que l’Ancien Testament est un acte notarié. Mais Gaza est aussi occupée. Ses eaux, ses frontières, tout est contrôlé ou bloqué depuis 2006. Vous me direz, en 2006 les Palestiniens, radicalisés, ont voté pour le Hamas qui a pris le pouvoir dans la bande de Gaza. On répondra qu’il a tiré sa popularité d’une occupation sans fin et d’une stratégie de la puissance coloniale, depuis 1967, pour favoriser le pire.

Tout cela est lointain me direz-vous. Nous devrions nous occuper des « vraies affaires ». C’est une position qui pourrait se tenir. Après tout, les Québécois, et le nationalisme québécois, auraient pu se passer de ces deux héraults. Mais il a parlé à travers eux, bien malgré lui. Il a, sur la base des évènements du 7, condamné toute la population de Gaza à un bain de sang punitif au terme incertain. Pensez donc, c’est l’équivalent d'un tiers des Canadiens tués en 1914-1918, de 50% de ceux tués en 1939-1945 qui ont déjà péri à Gaza, agglomération de deux millions d’habitants, de la taille de l’île de Montréal, en deux mois.

François Legault n’a pas voulu appeler à un cessez-le-feu et a fait savoir qu’il était contre. De son côté, Mathieu Bock Côté s’est scandalisé d’une manifestation perturbant les soldes de lendemain de Noël à Laval. Des gens, parlant certes trop anglais —mais est-ce ici la question ? —, ont gâché la quiétude des sujets-consommateurs du Québec parce qu’à Gaza on tue. C’est terrible. Le drame, ce n’est plus un peuple qu’on écrase, c’est un magasinage qu’on perturbe. On entend Pierre Falardeau éclatant de rire depuis les cieux en écoutant ces deux gros messieurs boudinés dans leur costume, ces deux Gratton encravatés.

Ces nationalistes provinciaux embourgeoisés, parvenus, oublient ce qu’est une nation soumise à la violence frontale de l’impérialisme. Que faisaient les anciens Canadiens à Schenectady en 1690 au côté de leurs frères autochtones qui subissaient un nettoyage ethnique dans ce qui devenait la Nouvelle-Angleterre ? Voulez vous lire les témoignages des Anglais ? Ils ne vous évoqueraient que trop le 7 octobre. Nos autres ancêtres, les Acadiens, et les Autochtones méritaient-ils donc le Grand Dérangement et le refoulement dans les réserves ? Et les Canadiens les deux mois de bombardement de Québec ? Quelques prêtres et civils scalpés par les rangers et des villages brulés ? Après tout, c’était peu de chose par rapport à ce qui se passe à Gaza ! CQFD : la Conquête était légitime comme tout ce qui en découle depuis. L’occidentalisme est un grattonisme.

L’occidentalisme, version actuelle de l’Empire auquel nous appartenons, est la maladie du nationalisme, notamment québécois. Nous sommes un peuple conquis et en lutte pour se prolonger dans son être. Et au côté de qui nous place-t-on par ces propos autorisés ? Du côté d’un colonisateur, agissant alors même que sa vie, garantie par l’arme nucléaire, l’armée américaine, une des meilleures armées du monde, n’est pas en jeu ! Qui défendons nous ? C’est le virus impérial qui nous fait voir le monde par les yeux des dominants. On nous réprimait hier, et on nous réprimera peut-être demain, pour les mêmes motifs que les Palestiniens : arriérés, fermés d’esprits, intolérants, fanatiques… et nos nationalistes ne voient pas la parenté ? Ils excusent les sympathies franquistes, salazaristes, mussoliniennes ou pétainistes de Lionnel Groulx, mais ils se pâment lorsqu’un Gazaoui, né en enfer, après son père, après son grand-père, sent monter en lui les saintes fureurs de l’Algonquin avec qui les anciens Canadiens guerroyaient jadis ?

Je vais prendre une référence que nos deux nationalistes égarés ne révoqueront pas : le général de Gaulle. Ce qu’il a dit en 1967 sur le Québec et la Palestine raisonne encore. Mais, avant cela, le 18 juin 1940, il donnait trois axiomes à son action « l’honneur, le bon sens, l’intérêt supérieur de la patrie ». L’honneur : il s’agit d’affirmer nos valeurs et donc d’exister en fuyant cette fausse conscience qui nous fait regarder le monde par les yeux du dominant et le singer avec zèle, comme ces évêques bellicistes de 1914 qui surjouaient l’amour de l’Empire britannique.

Le bon sens : il s’agit surtout d’être politiquement intelligent. Quel plus beau moyen de rallier des nouveaux arrivants à notre cause que de dire que nous comprenons celle qui les fait vibrer, et qu’elles s’accordent. Notre histoire nous le dit. C’est, en bonne part, la libération des peuples des empires européens après 1945 qui a donné aux Québécois la force morale pour s’affirmer. L’intérêt supérieur de la patrie : alors que l’occidentalisme s’avère une impasse géopolitique tragique il va falloir avoir l’intelligence d’évoluer dans un monde où le Québec devra voir grand, plus grands que ne le peuvent nos nationalistes inconséquents.

Un dernier point à mes amis de gauche, souverainistes ou pas, qui manifestent à bon droit et pour notre honneur. Ne pensez vous pas, un instant, qu’une république québécoise, indépendante et neutre, comme l’Irlande, qui parle si haut ces jours-ci ; qu’une telle république, avec sa diplomatie, sa souveraineté, ne serait pas plus utile que notre petite province pour le bien du monde ? N’est-ce pas en nous aidant à devenir un peuple majeur que nous aiderons les autres, en prêchant l’émancipation par l’exemple ? Et n’est-ce pas aussi ce que voulait nous dire le vieux patriote Ludger Duvernay lorsqu’il introduisit cette belle formule politique au Bas-Canada : « Aide-toi, et le ciel t’aidera? »