Argentine : Grande mobilisation syndicale contre des réformes ultralibérales

2024/01/17 | Par Luc Allaire

Il n’aura fallu que quelques semaines après l’élection du président Javier Milei, le 19 novembre dernier, pour que les syndicats argentins se mobilisent pour bloquer les réformes ultralibérales que souhaite mettre en place très rapidement ce président qui se décrit comme un ultralibéral anarcho-capitaliste.

Ces mobilisations visent notamment à dénoncer le contenu du décret de nécessité et d’urgence (DNU) que le président a signé le 27 décembre 2023. Ce décret vise à modifier ou à abroger plus de 300 normes, en affaiblissant la protection des travailleurs, en supprimant l’encadrement des loyers et l’intervention de l’État pour protéger le prix de produits essentiels, en habilitant des privatisations, en permettant la vente de médicaments dans n’importe quel commerce sans la présence obligatoire d’un pharmacien, etc.

Pour le président Milei, l’intérêt d’un décret d’urgence est qu’il est d’abord appliqué, et ensuite débattu au parlement, où le président ne détient pas la majorité. Ainsi ce DNU est techniquement entré en vigueur le 29 décembre, mais sous réserve d’être ultérieurement approuvé par le Parlement.
 

Une cour de justice suspend le décret

Le mouvement syndical a remporté une première victoire en cour de justice le 3 janvier contre ce décret. La Chambre nationale du Travail, qui avait été saisie par la plus grande centrale syndicale argentine, la CGT, a pris « une mesure conservatoire suspendant l’applicabilité » des dispositions du chapitre touchant les lois du travail.

Les aspects les plus polémiques de cette réforme du droit du travail portent, pour la CGT, sur l’extension de la période d’essai de 3 à 8 mois, la baisse des indemnisations en cas de licenciement, des limites au droit de grève, la possibilité de licenciement en cas de blocage ou occupation du lieu de travail.

La mobilisation syndicale vise également à dénoncer un « mégaprojet de loi » de 664 articles qui visent à déréguler totalement l’économie et à transformer la structure de l’État. Le projet prévoit par exemple des sanctions pénales pour entrave lors de manifestations (les gens n’auraient le droit de manifester que sur les trottoirs, sans bloquer la circulation dans les rues), une réforme des retraites prévoyant un mode de calcul automatique économiquement viable, l’extension de la légitime défense, en particulier en faveur des forces de l’ordre, ainsi que la privatisation de 41 entreprises publiques, dont le géant pétrolier YPF, la compagnie aérienne Aerolineas Argentinas et la société ferroviaire Ferrocarriles Argentinos.

De plus, la dévaluation de plus de 50 % du peso, la devise nationale, et la baisse des subventions aux transports et à l’énergie affectent grandement le quotidien de millions d’Argentins aux prises avec un taux d’inflation de plus de 200 %.
 

Des projets de loi anticonstitutionnels

La Centrale des travailleurs de l’éducation de la République argentine (CTERA) a répudié et rejeté l’asservissement brutal de toutes les conquêtes historiques du peuple argentin. « Nous mettons en garde contre la gravité institutionnelle, démocratique et l’esprit anticonstitutionnel que ces mesures néolibérales de ce décret d’urgence entendent mettre en œuvre à travers l’abrogation de lois essentielles garanties historiquement. L’approbation de ce décret signifie l’octroi à l’exécutif de pouvoirs extraordinaires interdits par la Constitution de l’Argentine », a déclaré la secrétaire générale de CTERA, Sonia Alesso.

« Cet assujettissement menace les travailleurs, en restreignant notre droit du travail, nos conventions collectives, le droit de grève et toutes les libertés légales et syndicales. Nous ne tolérerons pas l’attaque contre les droits du travail, les droits sociaux et les droits de sécurité sociale. Nous dénonçons un revers féroce pour les enseignantes et enseignants retraités dans les fonds provinciaux et nationaux », a-t-elle poursuivi.

La CTERA répudie la déclaration selon laquelle l’éducation est un service essentiel parce qu’elle limite, interdit et restreint le droit de grève. L’éducation est un droit social inaliénable, pas une marchandise. Comme toujours, cette centrale syndicale défend l’école publique, qui est l’étendard de l’histoire collective argentine. Les situations d’urgence dictées sont fallacieuses et ont pour seul objectif de détruire les droits sociaux de tous les Argentins. Son inconstitutionnalité est manifeste.

Lors de la grande manifestation du 27 décembre qui a eu lieu à Buenos Aires, les slogans scandés par les membres de la CTERA portaient sur la défense de la démocratie, la séparation des pouvoirs dans la République et la défense de l’État de droit.

« Nous déclarons l’état d’ALERTE ET DE MOBILISATION », a lancé Sonia Alesso, appelant les organisations syndicales, sociales et de défense des droits humains à construire l’unité la plus large possible contre le décret d’urgence pour défendre les droits que nous avons conquis au cours de nombreuses années de lutte. « Pas un ajustement de plus ! Pas un droit de moins ! »
 

Appel à la grève générale

De son côté, la CGT appelle à une grève générale le 24 janvier pour protester contre les décrets et les projets de loi néolibéraux. C’est la première fois en 40 ans de démocratie qu’un président argentin doit faire face à une grève générale un mois et demi après son arrivée au pouvoir.

Hector Daer, secrétaire général de la CGT, qui représente sept millions d’affiliés, a annoncé que la grève et la mobilisation prévue devant le parlement visent à dénoncer le caractère illégal et inconstitutionnel du décret de nécessité et d’urgence. « Ce décret s’en prend aux droits individuels et collectifs des travailleurs, au système de santé universel et solidaire, et à un nombre incalculable de sujets qui constituent notre pays », a dénoncé Hector Daer.