Les syndicats ont gagné la bataille de l’opinion publique

2024/01/26 | Par Sylvain Martin

L’auteur est syndicaliste

Le processus de renouvellement des conventions collectives du secteur public tire à sa fin avec le vote sur les ententes de principe conclues durant le temps des Fêtes.

Je ne qualifierai pas le contenu de ces ententes. J’ai assez d’expérience en négociation collective pour savoir que quiconque qualifie le contenu d’une entente de principe sans avoir participé à sa négociation joue au gérant d’estrade et parle à travers son chapeau. 

Le déroulement de cette négociation a été – on peut le dire maintenant – sans précédent. Entre autres, par l’ampleur du Front commun (quatre grandes centrales syndicales réunies qui représentent 420 000 membres), des mouvements de grève historiques avec une grève de 22 jours de la FAE et, surtout, un appui sans réserve de la population aux revendications des travailleuses et travailleurs du secteur public. Et ce – il faut bien le dire – malgré tous les efforts de notre bon gouvernement pour qu’il en soit autrement.

La bataille de l’opinion publique

Même les commentateurs et analystes politiques ont dû changer leur fusil d’épaule. Ils avaient, pour la plupart, l’habitude de dire et d’écrire que « les syndicats en demandent trop », « ne sont pas réalistes », « sont déconnectés de la réalité », que « ce sont les contribuables qui paieront la note » et le traditionnel « les travailleuses et travailleurs de l’État sont grassement payés et ont de meilleures conditions de travail que la plupart des contribuables ».

Cette fois-ci, ils ont dû dire et écrire que « les syndicats avaient gagné la bataille de l’opinion publique ». Sans évidemment admettre que les syndicats et leurs membres étaient justifiés de réclamer des changements dans l’organisation du travail pour offrir des services publics de qualité. Cependant, dès que les ententes de principe ont été conclues et la fin des grèves annoncée, le naturel est revenu au galop.

Ils se sont proclamés « experts » sur la meilleure façon de réparer les torts causés aux élèves par les grèves. Pour ces commentateurs, la dégradation des services publics et les dommages causés à ses usagers ne proviennent pas de décennies de désinvestissements de l’État, mais des quelques jours de grève du Front commun et, surtout, des 22 jours de grève de la FAE.

En réalité, des problèmes majeurs existaient bien avant le déclenchement des grèves. Les grèves n’en sont pas la cause. Elles sont plutôt une conséquence de l’inaction gouvernementale et un cri d’alarme lancé à un gouvernement qui fait la sourde oreille depuis des années.

Feu sur la démocratie syndicale

Des analystes ont contesté le résultat des votes de grève. Selon eux, dans certains cas, le taux de participation aux assemblées était trop faible et cela remettait en cause la légitimité du vote de grève. Certains sont même allés jusqu’à prétendre qu’il fallait revoir la démocratie syndicale.

Il ne faut pas connaitre comment se tient un vote de grève pour faire ce genre de commentaires. D’abord, le processus est encadré par le Code du travail et le syndicat doit le suivre à la lettre sous peine de voir la grève déclarée illégale.

Ensuite, l’obtention d’un vote de grève fort est un tour de force pour n’importe quel syndicat. Tous les milieux de travail se ressemblent. Une partie des personnes qui le composent sont sympathiques à la cause syndicale et s’intéressent activement aux affaires syndicales.

Puis, il y a les personnes qui sont contre le syndicat. Habituellement, elles participent aux assemblées syndicales et y sont très vocales, surtout lorsqu’il s’agit d’un vote de grève. Enfin, il y a les autres, qui constituent la grande majorité du groupe. Elles demandent à être convaincues avant de voter pour ou contre une recommandation de leur exécutif syndical.

C’est ce groupe qui fait la différence dans les assemblées syndicales. Si le Front commun et la FAE ont réussi une mobilisation sans précédent, c’est parce ce groupe majoritaire a été convaincu du bien-fondé des revendications et des moyens de pression proposés.

Il ne suffit pas aux dirigeants syndicaux de proposer pour que leurs membres agissent sans poser de questions. Penser le contraire serait prendre les membres des syndicats pour des imbéciles.

Les vraies questions escamotées

J’aimerais bien que certains commentateurs et analystes politiques se demandent pourquoi il a fallu près d’un an, des grèves et la demande d’un conciliateur pour que le gouvernement Legault daigne donner le mandat à ses équipes de négocier sérieusement.

Autre question : Pourquoi le gouvernement de la CAQ a-t-il jugé qu’il était préférable de s’engager dans « la bataille de l’opinion publique » plutôt que de négocier de bonne foi?

Pourquoi le gouvernement de la CAQ a-t-il constamment essayé de faire porter le chapeau des conséquences de son inaction sur le dos des syndicats et de leurs membres?

Donnons quelques exemples : un ministre de la Santé qui souligne à grands traits que chaque jour de grève aura comme conséquence le report de centaines de chirurgies ; « papa » Legault qui déclare qu’il faut mettre fin à la grève parce que ça va nuire à nos enfants ; la présidente du Conseil du trésor qui affirme qu’il faudrait plus de flexibilité de la part des syndicats afin qu’elle puisse négocier des ententes directement avec les travailleuses et travailleurs ; notre « bon » ministre de l’Éducation qui soutient – faussement! – qu’il ne peut pas changer le calendrier scolaire sans le consentement des syndicats. Ha ! Oui ! J’oubliais. C'est la méthode de la gouvernance Legault de toujours faire porter le chapeau de ses échecs aux autres.

Pour ma part, le véritable drame de nos services publics, c’est le désengagement de l’État depuis des années. C'est un gouvernement, au pouvoir depuis plus de cinq ans avec une forte majorité, qui persiste à croire qu’il a toujours raison et qui n’a rien fait de concret, bien qu’il ait proclamé que l’éducation était une priorité. Même chose en santé.

Le drame, c’est que les travailleuses et travailleurs de l’État ont dû recourir à la grève pour se faire entendre et tenter d’améliorer les services publics. Les travailleuses et travailleurs de l’État méritent nos félicitations pour leur combat. Nous devons les soutenir et continuer à lutter avec eux pour des services publics de qualité.