Bains de siège

2024/05/08 | Par Michel Rioux

Après avoir remporté ben des sièges aux élections de 2022, François Legault en était maintenant réduit à devoir subir, chaque jour, plusieurs bains de siège.

Pour cet homme qui avait toujours soutenu que « toutte fitte dans toutte », comme dans les blocs LEGO, la chute avait été brutale. Ce qui avait fini d’achever cet homme qu’on avait qualifié de caribou – parce qu’il était, à l’époque, ce qu’on appelait un séparatiste pressé – c’est qu’il n’arrivait pas à se sentir à l’aise dans le costume de Captain Canada que lui disputait Denis Coderre.

Un proche conseiller avait cru bien faire en lui faisant lire le Discours sur la présence de la race française en Amérique, prononcé en 1889 par Sir Wilfrid Laurier. Ce n’avait pas été une très bonne idée, visiblement.

Son état ne s’était pas amélioré, loin de là. Les médecins avaient diagnostiqué une crise d’apoplexie. Il tenait dans sa main une copie du discours de Laurier; il avait souligné le passage suivant : « Nous sommes canadiens-français, mais notre patrie n’est pas confinée au territoire ombragé par la citadelle de Québec : notre patrie, c’est le Canada, c’est tout ce que couvre le drapeau britannique sur le continent américain, les terres fertiles qui bordent la baie de Fundy, la vallée du Saint-Laurent, la région des Grands Lacs, les prairies de l’Ouest, les montagnes Rocheuses… »

Ce n’est pas qu’il n’avait pas fait d’efforts pour s’en convaincre. Mais il n’était jamais arrivé à se trouver des affinités avec Fundy, les Grands Lacs et même les Rocheuses, dont il avait gardé un très mauvais souvenir depuis le référendum de 1980, alors que les fédéralistes pur jus nous menaçaient de les perdre en cas de séparation.

Il avait eu beau se lever à l’Assemblée nationale, s’agiter, se cambrer, bomber le torse, gonfler des pectoraux, ce ne sont toujours que des mots pesants, mais sans aucun poids réel, qui sortaient de sa bouche. Le fédéral l’envoyait promener deux fois par semaine, minimum !

En février, il s’était surpassé. « À quoi ça sert, le Bloc québécois à Ottawa? Ça sert à quoi? Ça sert à quoi? » Répété trois fois. L’ancien séparatiste pressé s’était comporté comme l’apôtre Pierre qui, par trois fois, avait renié Jésus sur le mont des Oliviers. « Je ne connais pas cet homme! », avait-il dit aux soldats romains qui l’interrogeaient.

C’est lors de la visite du premier ministre français, Gabriel Attal, que les choses avaient vraiment dégénéré.

Dans une tentative d’expliquer au visiteur comment il se définissait sur la scène politique, il avait terminé sa tirade avec des mots bien connus. « Moé, j’t’un Canadien québécois; un Français, canadien-français; un Américain du Nord, français; un francophone québécois-canadien; un Québécois d’expression canadienne-française, française. »

Dans le Salon bleu, ses proches collaborateurs l’avaient aussitôt retiré de la circulation. À part le premier ministre français, tout le monde, députés, journalistes, invités de marque avaient reconnu les efforts pathétiques d’Elvis Gratton tentant de trouver où il se situait personnellement.

Depuis, il passait ses jours dans une maison de repos.

Visiblement, il n’était pas dans son assiette. Il était plutôt assis dans une bassine, prenant un bain de siège. Les médecins avaient en effet diagnostiqué, dans son cas, un transfert psychosomatique, lequel avait commencé à se manifester le soir de la défaite lors de l’élection partielle de Jean-Talon, remportée par le Parti Québécois.

À cette déconvenue s’ajoutaient tous ces coups de pied au cul assénés par le fédéral qui ne guérissaient pas, avait glissé un loustic. Difficile en effet d’éteindre un feu au passage, quand ce feu est constamment rallumé.

Le ministre de l’Économie avait failli faire une crise cardiaque quand il avait entendu le premier ministre annoncer la création d’un Cartel avec ALCOA pour la construction d’une gigantesque usine de fabrication de boutons à quatre trous, en aluminium. Le bunker en avait tremblé.

Des recherches supplémentaires avaient conduit les médecins à découvrir un trouble psychologique s’apparentant à un dédoublement de la personnalité tel que décrit dans le roman de Robert Louis Stevenson, Dr Jekyll and Mr Hyde. À force de refouler ses convictions les plus profondes, il avait fini par ne plus savoir qui il était réellement.

Il avait toujours le siège dans la bassine quand il fut pris d’un étourdissement soudain qui le fit piquer du nez, ce qui lui causa au front quelques ecchymoses. Les médecins avaient conclu qu’il avait dû subir un choc, ne sachant pas lequel toutefois. Par contre, son fidèle chef de cabinet avait découvert que dans un rare moment de lucidité, il était à relire le roman de Maxence van der Meersh, Un homme se penche sur son passé…

____________

P.S : Politique fiction, bien sûr. Mais sait-on jamais…