Alexandre Boulerice prêche la mobilisation syndicale

Des pétitions, du piquetage et des manifs

L’année 2012 s’est conclue avec l’adoption in extremis de la Loi C-377 par le gouvernement conservateur. 2013 a débuté avec l’entrée en vigueur de la réforme de l’assurance-emploi. À quoi s’attendre au cours des prochains mois ? C’est ce que l’aut’journal a demandé à Alexandre Boulerice, le député de Rosemont- La Petite-Patrie et critique officiel du NPD en matière de travail.

Impossible d’aborder la question des droits des travailleurs sans revenir sur les intrusions du gouvernement Harper dans des conflits de travail, notamment par le biais de lois spéciales forçant le retour au travail des employés, comme ce fut le cas chez Postes Canada, Air Canada et au Canadien Pacifique.

On sent qu’il y a un réflexe chez les conservateurs de nier le droit à la négociation et à l’exercice légitime des moyens de pression. De leur point de vue, les droits des travailleurs et des travailleuses viennent en deuxième, après les intérêts des entreprises, qui sont présentés généralement comme les intérêts de l’économie canadienne.

Invoquer l’urgence et brimer le droit d’exercer des moyens de pression et la grève, c’est faire des présuppositions quant aux impacts.

L’impact d’un arrêt de travail sur l’économie ne se fait pas sentir dans les trois ou six premières heures, ou même les trois premiers jours. Quand tu mets un terme à la grève aussi rapidement, tu ne laisses pas le temps aux parties d’exercer leur rapport de force. C’est changer les règles du jeu.

Est-ce dire que les interventions du gouvernement chez Postes Canada et Air Canada n’étaient qu’annonciatrices des véritables intentions des conservateurs ?

Oui. Ça mettait la table pour l’attitude d’un gouvernement conservateur maintenant majoritaire. Au bout de la ligne, il va toujours gagner ses votes en Chambre. Mais les batailles importantes ne sont pas toujours en Chambre, mais à l’extérieur. Il faut sensibiliser et mobiliser les gens, accompagner les forces vives de la société civile et pousser tous ensemble dans la même direction. On ne gagnera pas de vote en Chambre, mais à l’extérieur, on peut gagner des votes, ceux des citoyens et des citoyennes pour qu’ils appuient l’alternative progressiste.

La réforme de l’assurance-emploi fait couler beaucoup d’encre ces jours-ci. Quelles seront les suites dans ce dossier ?

Il faut maintenir le sujet dans l’actualité. On devrait voir des actions et de nouvelles initiatives sous peu. Le mouvement syndical s’organise, la société civile aussi.

Il faut maintenir la pression sur le gouvernement conservateur pour les semaines et les mois à venir. Que ce soit en Chambre ou à l’extérieur : des pétitions, du piquetage, des manifestations. Ça touche tellement de milliers de personnes, les travailleurs des industries saisonnières au premier chef, mais le travail saisonnier, ce n’est pas juste le crabe et la pêche, c’est considérablement plus que ça. Télévision, cinéma, construction, tourisme, hôtellerie.

J’ai rencontré un pilote d’avion qui combat des feux de forêt. C’est un travail saisonnier. L’hiver, ça ne brûle pas trop avec la neige. Quelle autre option a-t-il ?

L’argument des conservateurs, c’est qu’il y a des emplois disponibles. Mais, souvent, il n’y a personne de formé pour les occuper. On ne s’improvise pas opérateur de machinerie lourde. Ça nécessite une formation, mais ça, ce n’est pas sur la table, pas dans le discours.

Pour nous, une vraie réforme, une perspective intelligente pour faire travailler les gens et combler les besoins des entreprises, ça serait plutôt un programme où on va former des gens.

On sait que, pour chaque emploi disponible, il y a cinq chômeurs. Même si on trouve un chômeur au bon endroit avec les qualifications requises pour occuper ces emplois, il reste quand même quatre chômeurs. Ce n’est pas seulement en les informant des emplois disponibles qu’on va les aider.

Est-il vraiment possible que le gouvernement fasse marche ­arrière ?

Il y a toujours moyen de faire reculer un gouvernement. Mais ce n’est pas un gouvernement particulièrement à l’écoute. Mais Harper a fini par accepter de rencontrer les chefs autochtones.

Il faut les mettre dans une position intenable, avec des cas précis. Par exemple, devoir accepter un travail à une heure de route, si tu es à l’extérieur de Montréal et qu’il n’y a pas de transport en commun. Tu ne vas pas t’acheter une voiture pour aller travailler loin de chez vous à 70 % de ton salaire !

Peut-être, dans un an, verra-t-on que ces mesures n’ont pas eu les effets escomptés et que les besoins ne sont pas comblés. Mais à quel prix ? Entre-temps, il y a des drames humains qui se vivent, des familles qui écopent. C’est anti-travailleur comme perspective.

Quelles seront les suites du projet de loi C-377 sur la « transparence syndicale » au cours des prochains mois??

C-377 est dangereux et sera coûteux pour les citoyens. C’est un monstre bureaucratique. 25?000 organisations syndicales qui vont devoir rendre des rapports extrêmement détaillés sur leurs finances, leurs investissements, leurs placements, les salaires, les contrats donnés à des fournisseurs externes. Ça va prendre du temps pour entrer ces données. Attendez de voir la facture !

C’était clair, même en comité parlementaire, que les conservateurs se moquent qu’un syndicat soit bien géré ou pas. Ce qu’ils veulent savoir, c’est combien d’argent est dépensé dans l’action politique. C’est ça qui les dérange.

Les syndicats doivent-ils se préparer à faire face à une législation de type « right to work », comme aux États-Unis ?

Peut-être. C’est un danger réel. Comment serait-elle exprimée ou libellée?? Ça reste encore à voir. Mais C-377 était la pierre d’assise nécessaire pour que les gens de droite aient l’information et les données sur ce que les syndicats consacrent à des campagnes d’information et de sensibilisation.

Il fallait les forcer à ouvrir leurs livres pour avoir accès à ce qu’ils ont dépensé en représentation, en publicité, en frais d’avocat, en libérations syndicales, pour l’organisation de campagnes.

Ma crainte, c’est que les médias et les journaux populistes de droite utilisent ça pour mener des campagnes de salissage sur le dos des organisations ouvrières. Puis, comme le député Poilievre l’a fait à plusieurs reprises, laisser entendre que les travailleurs qui le souhaitent n'aient plus à payer de cotisations syndicales.

Au travailleur qui ne s’informe pas trop, on envoie dans les médias le message suivant : « Pourquoi les syndicats ne dévoileraient pas leurs états financiers comme les organismes de charité ? » Mais, c’est bien plus compliqué que ça.

Un projet de loi privé en ce sens, qui s’attaquerait à l’action politique des syndicats et aux cotisations syndicales, pourrait donc être amené par la bande, comme C-377, pour prendre la température de l’eau et plonger si elle est bonne ?

Mon sentiment, c’est que c’est ça. Mais C-377 n’est pas en application. Il doit passer par le Sénat, ce qui pourrait être long, particulièrement s’il y a un peu de travail d’obstruction.

On sait que ça va passer, mais on ne sait pas quand. S’ajoute aussi au délai la mise en application de cette loi. Le délai pourrait donc nous amener près des prochaines élections et faire en sorte que les conservateurs n’aient pas le temps nécessaire pour bénéficier des données et mener un travail de propagande antisyndicale.

Ça pourrait donc aussi retarder l’arrivée d’une sorte de « right to work legislation?» qui serait une version peut-être un peu édulcorée de ce qu’on connaît aux États-Unis.

Personne ne craint une attaque frontale à la formule Rand ?

On ne dit pas qu’ils ne le feront jamais ! Mais je pense que le contrecoup serait, pour l’instant, au Canada et au Québec, tellement grand. Ce serait une bataille épique. Les organisations syndicales lutteraient pratiquement pour leur survie. Je ne suis pas convaincu que Harper veut, à ce moment-ci, se lancer là-dedans.

C’est la stratégie du gouvernement Harper d’opérer de profonds changements, petit à petit, en jouant les bonnes cartes au bon moment. Mais, au final, il y a un changement fondamental.

S’ils étaient réélus, ils pourraient frapper fort, vraiment fort.