Nulle part où vous cacher dorénavant !

Une vie peut changer à partir d’un seul courriel

Nous sommes en 2014 et le groupe de pays nommés les « Cinq Yeux » ou Echelon collectent tout ce qu’ils peuvent sur vos communications personnelles et celles de l’ensemble de leur population. Lorsque cela est possible et ce l’est de plus en plus, ils collectent aussi celles des politiciens, des gens d’affaires et la population d’autres pays.

Les « Cinq Yeux », ce sont le Canada, l’Australie, la Grande-Bretagne, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis. Ce dernier parraine le programme de surveillance des populations. Ces pays sont liés par un traité multilatéral de coopération dans la collecte de signaux de surveillance du nom d’UKUSA Agreement.

Quel est ce projet ? Il s’agit de collecter en temps réel ou à partir des archives de toutes les entreprises de communications – Internet, téléphone traditionnel, cellulaire ou satellitaire – le contenu de toutes les communications pour les stocker et y avoir accès par des logiciels spécialisés dans la lecture et le décryptage de leur contenu et de leurs métadonnées

Les membres du groupe « Five Eyes » – les « Cinq Yeux » – aussi appelé Echelon, se partagent entre eux presque toutes leurs activités de surveillance et se rencontrent chaque année lors de la conférence Signals Development, où ils font étalage de leur expansion et de leurs succès de l’année écoulée.

Le directeur adjoint de l’Agence nationale de la sécurité des États-Unis (NSA), John Inglis, dit des membres de l’alliance qu’à bien des égards, ils pratiquent le renseignement de manière combinée « essentiellement en nous assurant de tirer parti de nos capacités respectives pour notre bénéfice mutuel ».

Quantité de programmes de surveillance parmi les plus invasifs de votre vie privée sont gérés par des partenaires des Five Eyes. Par exemple, vos transactions bancaires par Internet, vos discussions sur Skype et, oui !, votre belle page Facebook.

Quant au Canada, c’est un participant aussi secret que les autres et aussi invasif de la vie privée de sa population. Il est vu comme un partenaire très actif de la NSA et un des protagonistes les plus convaincus de cette surveillance. Lors de la Conférence SigDev de 2012, le Centre de la sécurité des télécommunications du Canada (SCTC) se vanta d’avoir ciblé le ministère brésilien des Mines et de l’Énergie, département qui réglemente une industrie du plus haut intérêt pour les entreprises canadiennes.

Tout démontre une vaste coopération avec la NSA, y compris les efforts du Canada destinés à monter des relais d’espionnage pour la surveillance des communications dans le monde entier et l’espionnage de partenaires commerciaux ciblés par l’agence états-unienne.

Au sein des « Cinq Yeux », les relations sont si étroites que les gouvernements membres placent les souhaits de la NSA au-dessus du respect de la vie privée de leurs propres citoyens. C’est le cas du Canada.

À tel point qu’à la fin de 2013, Richard Mosley, un juge de la Cour fédérale canadienne a dénoncé le CSIS pour avoir sous-traité sa surveillance de Canadiens à des pays partenaires des « Five Eyes ».

Une décision de 51 pages affirme que le CSIS et d’autres agences canadiennes ont posé des gestes illégaux en faisant espionner la population canadienne sans avoir l’autorisation des tribunaux et en cachant même des renseignements aux tribunaux.

Comment affirmer que tout ceci est vrai, surtout que les politiciens canadiens de tous bords et tous côtés minimisent la situation. Quant aux politiciens québécois, ils n’existent pas sur le radar et se font espionner comme tout le monde.

Peut-être que Philippe Couillard connaît quelques éléments de ce complot, puisqu’il a siégé, de juin 2010 au 1er octobre 2012, au Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS).

Voici comment nous savons que cette attaque à la démocratie est réelle. Laura Poitras, cinéaste-documentariste et journaliste, fut la première personne à qui l’alerteur états-unien Edward Snowden a fait confiance lorsqu’il a voulu faire connaître aux populations du monde entier, les programmes de surveillance de leur vie privée et le niveau de performance de ces programmes.

En janvier 2013, Laura Poitras a reçu un drôle de courriel d’un étranger anonyme lui demandant son code d’encryptage de courriel sécurisé. Depuis près de deux ans, Poitras travaillait à un film documentaire à propos de la surveillance de la vie privée des populations par les gouvernements et elle recevait occasionnellement des requêtes d’étrangers.

Elle lui répondit et donna son code public permettant de lui envoyer un courriel encrypté qu’elle seule pouvait ouvrir, sans s’attendre à grand’chose...

L’étranger répondit en donnant des instructions pour créer un système d’échange encore plus sécurisé. Promettant des informations névralgiques, il suggéra à Poitras de choisir une longue phrase en tant que mot de passe qui pourrait résister à une attaque brutale par un réseau d’ordinateurs. « Imagine que ton adversaire a la capacité de tester des trillions de mots de passe à la seconde », lui écrit-il.

Peu après, Poitras reçut un message encrypté présentant le contour de plusieurs programmes de surveillance opérés par le gouvernement états-unien. Elle avait entendu parler d’un seul de ces programmes. Après lui avoir décrit chacun des programmes, l’étranger écrivit plusieurs versions de la phrase, « Je peux prouver ceci ».

Quelques secondes après qu’elle eut décrypté et lu le courriel, Poitras a débranché son ordinateur de l’Internet. « J’ai pensé, bon, si tout cela est vrai, ma vie vient de changer ».

« Ce qu’il disait connaître et pouvoir fournir, c’était époustouflant. Je savais dès lors que je devais tout changer ». Poitras demeura circonspecte au sujet de l’identité de l’inconnu avec qui elle communiquait. Elle s’inquiétait spécialement qu’un agent du gouvernement soit peut-être en train de la manipuler pour qu’elle dévoile de l’information provenant des personnes qu’elle avait interviewées pour son documentaire, dont Julian Assange, l’éditeur de WikiLeaks.

« J’ai téléphoné à mon inconnu », se rappelle Poitras. « Je lui ai dit : ou tu as vraiment cette information et tu prends un gros risque, ou tu essaies de me piéger, moi et les gens que je connais, ou tu es fou. »

Les réponses étaient rassurantes, mais pas définitives. Poitras ne connaissait pas le nom de son étranger, ni son sexe, son âge, ni même le nom de son employeur (CIA ? NSA ? Penta­gone ?).

Au début de juin 2013, elle obtint finalement des réponses. Avec son partenaire de reportage, Glenn Greenwald, un ex-avocat et chroniqueur pour le journal The Guardian d’Angleterre, Poitras s’envola pour Hong Kong et rencontra le sous-traitant de la NSA, Edward J. Snowden, qui leur remit des milliers de documents classifiés par le gouvernement états-unien, lançant une controverse majeure à propos de l’étendue et de la légalité de la surveillance gouvernementale.

Poitras avait eu raison. Sa vie ne serait plus jamais pareille. La nôtre non plus.

À partir du livre « Nulle part où se cacher » de Glenn Greenwald, de textes de Peter Mass du New York Times et des recherches de JosPublic sur MétéoPolitique.com