L’État se doit de respecter son obligation de neutralité

Jugement de la Cour suprême sur les prières municipales

C’est maintenant établi : les prières dans les conseils municipaux portent atteinte à la liberté de conscience des citoyens et contreviennent à l’obligation de neutralité religieuse de l’État. Ainsi en a statué la Cour suprême du Canada dans son jugement unanime sur la plainte concernant la prière municipale à Saguenay.

Cette cause a retenu l’attention de diverses instances juridiques depuis pas moins de neuf ans ! Le plaignant, Alain Simoneau, un ex-résidant de Saguenay soutenu par le Mouvement laïque québécois, a tenu à rappeler qu’il avait, dès le début, proposé au maire de Saguenay, Jean Tremblay, de remplacer la prière par une minute de silence.

Cet accommodement aurait évité toute cette saga judiciaire, mais le maire l’a refusé et la situation se retourne aujourd’hui contre lui. Le maire Tremblay avait également promis de ne pas engager de fonds publics pour défendre sa cause, une promesse qu’il n’a pas tenue.

Pour la Cour, le fait de demander aux citoyens qui ne veulent pas participer à la prière de quitter la salle lors de sa lecture ne fait qu’« exacerber la ­discrimination ».

Le fait que la prière soit supposément œcuménique, selon ce qu’a fait valoir la ville de Saguenay, n’a pas été retenu par la Cour. Selon les juges, le caractère non confessionnel de la prière n’a pas été établi et « même si on la qualifiait d’inclusive, elle risque néanmoins d’exclure les incroyants ».

Le préambule de la Constitution canadienne, qui reconnaît la « suprématie de Dieu », est quant à lui réduit à une « thèse politique » qui n’a aucune portée juridique.

Ce préambule, qui était un autre argument avancé par Saguenay, « ne saurait entraîner une interprétation de la liberté de conscience et de religion qui autoriserait l’État à professer sciemment une foi théiste », peut-on lire.

La Cour suprême invalide en fait la totalité du jugement de la Cour d’appel du Québec, qui avait donné raison au maire Jean Tremblay, et elle rétablit l’entièreté du jugement du Tribunal des droits de la personne qui avait donné raison au Mouvement laïque québécois.

Certains ont fait remarquer que la Cour suprême n’invoque pas la laïcité, mais plutôt la neutralité de l’État. C’est un fait et il y a une différence entre les deux concepts.

La neutralité pourrait être interprétée comme le fait d’accorder à toutes les religions les mêmes privilèges, comme par exemple réciter diverses prières afin que toutes les religions en soient satisfaites. C’est ce qu’a retenu le parlement de l’Ontario où pas moins de huit prières sont récitées par alternance.

La laïcité consiste plutôt à exclure toute forme d’expression religieuse des affaires de l’État et de ses institutions.

Nous ne pouvions invoquer la laïcité à l’encontre des prières municipales puisque ce concept n’est établi dans aucune loi, alors que celui de la neutralité a été reconnu dans plusieurs jugements de la Cour suprême.

Cela dit, il reste que l’argumentation et le résultat de ce dernier jugement sont en droite ligne avec le concept de laïcité. En reconnaissant que les incroyants sont nécessairement exclus de toute forme de prière et en statuant que cela va à l’encontre de la neutralité, la Cour abonde dans le sens de la laïcité.

Elle invalide d’ailleurs le concept de « neutralité bienveillante » qu’avait retenu la Cour d’appel. « L’obligation de l’État de demeurer neutre en matière religieuse n’est pas conciliable avec une bienveillance qui lui permettrait d’adhérer à une croyance religieuse », écrivent les juges.

La neutralité bienveillante est une notion empruntée à la psychothérapie et qui commande au psychothérapeute d’être neutre et bienveillant à l’égard de son client. Cette notion n’a pas sa place en droit et surtout pas en matière de laïcité.

Il peut s’agir ici d’une brèche dans le mur de la « laïcité ouverte », puisque la neutralité bienveillante est tout simplement une autre façon de nommer la « laïcité ouverte ».

Contrairement à ce qu’avait ordonné le Tribunal des droits de la personne, la Cour suprême n’a pas demandé le retrait du crucifix et de la statue du Sacré-Cœur qui se trouvent dans les salles des assemblées municipales de Saguenay.

Cela est dû au fait que la Commission des droits de la personne n’avait pas accepté d’enquêter sur cet aspect de la plainte. Toutefois, on peut trouver dans le jugement des arguments pour réclamer le retrait de ces signes religieux, dont le crucifix de l’Assemblée nationale.

La Cour affirme en effet que « si, sous le couvert d’une réalité culturelle, historique ou patrimoniale, l’État adhère à une forme d’expression religieuse, il ne respecte pas son obligation de neutralité. »

On peut aisément soutenir que, lorsque le président de l’Assemblée nationale siège sous un crucifix, il s’agit là d’une adhésion à une forme d’expression religieuse. Le supposé caractère patrimonial ou historique attribué à ce crucifix ne lui enlève pas son caractère religieux.

La Cour suprême invalide du même coup les témoignages des experts de la ville de Saguenay, la théologienne Solange Lefebvre et l’ethnologue Gilles Bibeau, qui ont soutenu, contre tout bon sens et au prix de se discréditer intellectuellement, que la prière n’était pas une prière et que les symboles religieux n’étaient pas religieux.

« Le Tribunal [des droits de la personne] pouvait raisonnablement conclure que la prière de la Ville est en réalité une pratique dont le caractère est religieux », écrit la Cour suprême.

Elle rétablit ainsi entièrement mon témoignage à titre d’anthropologue et qui avait été retenu par le Tribunal des droits de la personne, mais écarté par la Cour d appel sous prétexte que je suis une figure du Mouvement laïque québécois. « Le lien entre un expert et une partie ne le rend pas automatiquement inhabile » statue la Cour.

*Conseiller au Mouvement laïque québécois

 Mise à jour d’un texte publié sur le blogue Raison et laïcité (voir.ca/daniel-baril).