L’aut’journal présente son modèle d’affaires

Le militantisme et le soutien militant demeurent notre principal capital


C’est devenu un lieu commun que d’affirmer que les journaux sont à la recherche d’un nouveau modèle d’affaires. L’aut’journal ne fait pas exception.

Mais, avant de présenter notre modèle d’affaires, examinons la situation du côté des médias traditionnels.

La publicité, qui représentait 70 % des revenus des journaux, n’est plus au rendez-vous. Elle a poursuivi à un rythme accéléré, avec l’arrivée d’Internet, la migration entreprise lors de la création de la radio, puis de la télévision.

La publicité cherche à joindre son public au moyen de sites spécialisés et sa présence sur les sites Internet des grands médias est loin de compenser le recul enregistré dans les pages des journaux papier. Même si le NY Times comptabilise plus d’un million d’abonnés à son journal en ligne, il ne fait pas ses frais.

Le lectorat des journaux de papier est en chute libre. Les jeunes s’informent plutôt à l’aide de leur ordinateur,  de leur tablette ou, de plus en plus, leur téléphone intelligent. Le lectorat des grands journaux vieillit donc.

Élizabeth Plank, une Québécoise établie à New York, rédactrice principale du magazine en ligne Mic.com, interviewée dans le cadre du livre De quels médias le Québec a-t-il besoin ? 1 affirme, sur la foi d’informations transmises par des amis travaillant au New York Times que l’âge moyen des lecteurs de ce journal « tourne autour de 63-64 ans ».

Non seulement les jeunes ne souscrivent pas à un abonnement à un journal papier et ne l’achètent pas en kiosque, mais ils refusent également de s’abonner à un journal en ligne sous prétexte que « l’information est gratuite ». « Je ne connais personne qui paye pour avoir accès aux contenus du NY Times », affirme Élizabeth Plank.

Les journaux sont donc à la recherche d’un nouveau modèle d’affaires. En fait, ce modèle existe, mais il n’est pas accessible à tous les journaux. Avant de le décrire, rappelons les caractéristiques de l’ancien modèle.

Historiquement, le modèle d’affaires des journaux était l’intégration verticale, de la forêt jusqu’à la distribution, en passant par la papetière et l’imprimerie. Power Corporation était propriétaire de la papetière Consolidated Bathurst et imprimait La Presse et ses autres quotidiens sur ses presses.

En 1987, Québecor s’est porté acquéreur de la papetière Donohue et possédait déjà, à l’époque, de nombreuses imprimeries. Quebecor World deviendra même le plus important imprimeur commercial au monde. Ces grands journaux avaient également leur propre service de distribution.

Ce modèle en imposait et constituait une formidable barrière à l’entrée de nouveaux médias, comme le souligne l’analyste et consultant en média Claude Thibodeau dans De quels médias le Québec a-t-il besoin ?

« Quand vous vous appeliez La Presse, que vous débarquiez dans un dépanneur d’Hochelaga-Maisonneuve et que vous catapultiez sur une tablette une pile de cinquante exemplaires de votre grosse édition du samedi, je vous garantis que pour vous faire compétition, il fallait se lever de bonne heure en pas pour rire. Parce que l’infrastructure nécessaire pour arriver à faire comme vous coûtait une véritable fortune : presse, salle des nouvelles, papier, camions, livraison. »

Au cours des dernières décennies, le modèle d’affaires s’est considérablement transformé. Power Corporation et Québecor ont vendu ou liquidé leurs papetières et leurs imprimeries. Avec la concentration et la convergence des journaux et des médias électroniques, un nouveau modèle s’est imposé.

Québecor en est l’illustration parfaite. En plus de ses journaux, le groupe est propriétaire de médias électroniques, d’entreprises de câblodistribution et fournisseur de services Internet. Aujourd’hui, même si ses journaux sont déficitaires, alors que sa télévision généraliste (TVA) perd de l’argent et que les canaux spécialisés ne doivent leur rentabilité qu’à la diffusion d’événements sportifs, l’empire peut engranger des profits à même la distribution de services Internet et de téléphonie sans fil. Vidéotron est la vache à lait de Québecor.

Le cas de Gesca, propriété de Power Corporation, est assez particulier. Ses journaux régionaux ont été cédés au Groupe Capital Médias, dirigé par Martin Cauchon, dans une transaction nébuleuse. L’édition papier est abandonnée au profit de La Presse +, rayant ainsi des dépenses de l’entreprise les frais d’impression et de distribution.

Le modèle sera-t-il rentable ? Guy Crevier, le président et éditeur de La Presse, a évité de répondre clairement à la question, se contentant de dire que l’expérience est « viable » !

Power Corporation ayant toujours refusé de publier les états financiers séparés du journal La Presse, malgré les demandes répétées de certains actionnaires, plusieurs croient que le journal est déficitaire, mais que la famille Desmarais assume les pertes pour des raisons politiques, c’est-à-dire contrôler un grand média fédéraliste au Québec.

Une rumeur veut que La Presse soit éventuellement cédée à Bell, principal concurrent de Vidéotron dans le marché des télécommunications (téléphone, Internet, câblodistribution, téléphonie mobile).

La Presse +, dont l’accès est accessible sans frais si vous possédez un iPad, illustre bien la nouvelle barrière à l’entrée de nouveaux médias : la gratuité !

Claude Thibodeau le résumait ainsi : « Les médias sont bien sûr aux prises avec les attentes de leurs clientèles, particulièrement celle des moins de 35 ans, pour laquelle tout doit être disponible tout de suite et doit impérativement ne pas coûter un traître sou : c’est incontournable, il faut que s’informer ne coûte rien. »
En fait, cette gratuité n’est qu’apparente. Les jeunes de moins de 35 ans, auxquels fait référence Thibodeau, mais également leurs aînés, paient, sans trop rechigner, des frais exorbitants, parmi les plus élevés des pays occidentaux, à des entreprises comme Bell, Vidéotron, Rogers et Telus pour leur abonnement à un service de téléphonie mobile.

Selon le Rapport 2015 de surveillance des communications du CRTC, 84,9 % des Canadiens ont aujourd’hui des téléphones mobiles. Les ménages canadiens ont payé en moyenne 203,04 $ par mois pour leurs services de communication. La répartition est la suivante : 79,08 $ pour la téléphonie mobile, 53,95 $ pour la distribution de radiodiffusion, 38,91 $ en services Internet, et 31,10 $ en services téléphoniques filaires. Dans ce marché, les grandes entités de radiodiffusion et de télécommunication, intégrées verticalement et horizontalement que sont Bell, Rogers, Telus, Québecor et Shaw, maintiennent une position dominante et s’accaparent quelque 84 % des revenus de l’industrie.

Le nouveau modèle d’affaires est donc le suivant : l’accès gratuit à l’information, de plus en plus par le téléphone intelligent, mais avec un abonnement à fort prix à un service de téléphonie, propriété d’un conglomérat qui reproduit, sur de nouvelles bases technologiques, le bon vieux système de contrôle de l’information.

1. De quels médias le Québec a-t-il besoin ? Recueil d’entretiens. Collectif sous la direction de Marie-France Bazzo, Nathalie Collard et René-Daniel Dubois. Leméac. 2015.

L’aut’journal existe depuis 31 ans. Son vieux modèle d’affaires n’était pas celui des grands médias. Il n’a jamais ouvert ses pages à la publicité commerciale et n’a bénéficié d’aucune subvention gouvernementale.
Son nouveau modèle d’affaires ne repose évidemment pas sur la propriété de distributeur Internet, de même qu’il n’a jamais possédé, par le passé, de papetières ou d’imprimeries.
Aujourd’hui, pour maintenir un journal papier, avec un tirage de 20 000 exemplaires, dont 15 000 sont distribués gratuitement au moyen de présentoirs sur l’ensemble du territoire québécois ; pour développer un site Internet, mis à jour quotidiennement, qui vient d’être optimisé, à grands frais, pour les téléphones intelligents et les tablettes, l’aut’journal a toujours le même bon vieux modèle d’affaires.
Il repose, premièrement, sur le militantisme de ses collaboratrices et collaborateurs, dont aucun n’est rémunéré pour ses articles et, deuxièmement, dans le soutien également militant et généreux de ses lectrices et de ses lecteurs. 
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