Faute de mieux, proposons le pire

Les propositions de M. Lisée sur la langue n’auront aucun effet structurant

2017/03/08

Jean-François Lisée, chef du Parti Québécois, a fait connaître ses propositions concernant la langue française. M. Lisée parle de choisir ses combats afin de ne pas « diviser la population ». Par ce choix de vocabulaire, il rejoint symboliquement les adversaires de la législation linguistique québécoise, qui instrumentalisent le concept de « division » depuis des lustres.

Est-ce nécessaire de répéter que le concept de « langue commune » qui est au cœur de la Charte de la langue française est l’exact contraire de la « division » ? M. Lisée, qui a répudié le concept rassembleur de « langue commune » pour celui beaucoup plus problématique de « prédominance du français », tombe ainsi dans le piège tendu par les ennemis de la loi 101.

Sur le fond, les propositions se distinguent surtout par ce qu’il ne souhaite pas faire. M. Lisée ne souhaite donc pas :

1) Enlever le statut « bilingue » aux municipalités ne comptant pas une majorité d’anglophones. 

M. Lisée soutient que ce statut « bilingue » n’est qu’un « symbole », entendons « vide ». M. Charles Castonguay, spécialiste bien connu en démolinguistique, avait étudié la question en 2013 pour conclure que lesdites municipalités « bilingues » constituent les principaux foyers d’anglicisation au Québec.

Ce statut, loin d’être un « symbole vide », est d’une grande importance et leur permet d’établir un environnement local où l’anglais règne en maître et leur permet d’assimiler massivement les jeunes francophones et allophones (21 et 32 % respectivement chez les 25-44 ans en 2011 !). Ces villes « bilingues » sont des territoires perdus à la loi 101.

2) « Retirer aux militaires francophones basés au Québec le privilège d’envoyer leurs enfants à l’école anglaise ». 

Cette exception dans la loi 101 illustre à quel point l’armée canadienne est une organisation anglicisante : Ceux qui en font partie ne voient point de salut hors de la langue anglaise (bon 150e du Canada, en passant !).

Il est vrai que cette mesure ne concerne que quelque 800 personnes actuellement. Mais il ne faut pas oublier que le droit d’aller à l’école anglaise se transmet à toute la descendance. L’effet au cours du temps suit donc une progression exponentielle.

Le statut de militaire au Québec agit ainsi comme les écoles passerelles qui servaient à acheter le droit aux écoles anglaises publiques pour les familles fortunées. Le Québec a cru bon de fermer ces passerelles (que la Cour suprême du Canada a rouvertes avec un jugement unilingue anglais, mais ceci est une autre histoire). Pourquoi les militaires feraient-ils exception ?

3) Imposer la loi 101 au cégep. Voilà un gros morceau. Rappelons les faits. 

Environ la moitié des allophones scolarisés en français poursuivent leurs études collégiales en anglais. Une étude de l’IRFA (que M. Lisée avait applaudie sur son blogue en 2010) indiquait que le passage au collégial anglais a un effet anglicisant important chez les non-anglophones au niveau de la langue d’usage privée et publique si on compare avec le comportement linguistique des allophones et des francophones qui fréquentent le collégial français.

L’utilisation du français baissait de façon draconienne au plan de la langue de travail, de la langue de consommation des biens culturels, de la langue que l’on utilise comme consommateur et surtout de la langue utilisée avec les amis chez ceux qui étudient dans un environnement anglophone.

Qui plus est, les réponses obtenues quant aux questions posées sur les projets de vie venaient réfuter l’argument selon lequel le cégep anglais ne représente qu’une expérience temporaire permettant de perfectionner sa connaissance de la langue anglaise avant de réintégrer un environnement plus francophone.

En fait, le passage au collégial anglais est plutôt un tremplin vers des études universitaires en anglais et une intégration au marché du travail anglophone. Ce n’est pas l’exigence de passer un examen de français au cégep anglais, comme le propose M. Lisée, qui viendra infléchir cette tendance lourde.

Doit-on rappeler que Dawson College à Montréal est de loin le plus gros cégep au Québec et recrute plus de 10 000 étudiants ? Est-ce normal dans un État qui a le français comme langue officielle ?

De plus, dans la « proposition principale » qui doit être votée au congrès du PQ en 2017, M. Lisée parle de « rendre les cégeps francophones plus attractifs, notamment dans leur offre linguistique ». M. Lisée est-il en train de proposer d’angliciser les cégeps français ?

On croit halluciner en lisant cela. Imaginons M. Camille Laurin en 1976 qui propose de mettre sur pied des écoles bilingues pour attirer les allophones qui choisissaient à plus de 85 % les écoles anglaises ! Quel visage aurait le Québec aujourd’hui ? Un gros Nouveau-Brunswick ? Un gros Lowell ? Les clauses scolaires de la loi 101 ont permis de hausser le taux d’assimilation linguistique des allophones de 10 % environ pré-loi 101 à environ 50 % aujourd’hui. M. Lisée propose-t-il maintenant d’inverser la logique du « français langue commune » au collégial ?

M. Lisée parle aussi de « maintenir les familles » sur l’île de Montréal afin « d’assurer le maintien d’une nette majorité de francophones ». 

Voilà une lubie que M. Lisée agite depuis 20 ans, à la grande exaspération des experts. Doit-on lui rappeler que l’anglais progresse tandis que le français régresse maintenant dans toute la couronne de Montréal et non plus seulement sur l’ile même ?

L’idée de franciser la langue de travail est bonne. Excellente, sublime même. Le problème réside dans l’application. 

Comment imposer une langue de travail dans un milieu privé ? Il faut savoir que la loi 101 est appliquée aux grandes entreprises depuis 1977 et que  cela n’empêche nullement que la langue commune du travail dans ces grandes entreprises à Montréal soit majoritairement l’anglais, même dans les entreprises inscrites au processus de francisation ! La francisation des PME est donc un tigre de papier : bonne idée en théorie, difficilement applicable en pratique.

Quant à la francisation de l’immigration, tout le monde est bien sûr pour la vertu. La francisation obligatoire est une bonne idée. 

Est-ce cela que M. Lisée propose ? Si oui, c’est là sa proposition la plus intéressante. J’applaudis. Cependant la francisation obligatoire ne suffira pas à inverser les effets structurants de l’accès sans limites aux institutions anglaises à Montréal et d’un marché du travail qui survalorise l’anglais.

M. Charles Castonguay concluait au sujet de la francisation de l’immigration : « Cela ne démontre pas seulement à quel point le libre choix au cégep renverse l’effet de la loi 101 au primaire et au secondaire : cela démontre aussi à quel point on se leurre quand on confond la francisation des immigrants complétée à l’étranger avec ce qui se passe sur le terrain au Québec. »

Les propositions de M. Lisée sur la langue n’auront pas d’effets structurants significatifs et n’enrayeront pas le déclin du français au Québec. Le recensement de 2011 avait montré que le pourcentage de francophones au Québec en 2011 était à son plus bas depuis le début de la confédération (bon 150e du Canada, en passant !). Celui de 2016 démontrera sans doute que la situation s’aggrave. La date de péremption du Québec français approche à grands pas. Il faut agir.