La juridiction du Canada sur les territoires du Grand Nord a été redéfinie à la suite de l’accord militaire intervenu en avril 2002 entre Ottawa et Washington. L’accord permet le déploiement de troupes américaines partout au Canada et la présence de navires de guerre américains dans les eaux territoriales canadiennes.
À la suite de la création du US Northern Command (NORTHCOM) américain en avril 2002, Washington a décrété unilatéralement que la juridiction du nouveau commandement s’étendait désormais sur un vaste territoire (terre, mer, air) allant du bassin des Caraïbes jusqu’à l’Arctique canadien.
L’ancien secrétaire de la Défense Donald Rumsfeld se vantait que « le NORTHCOM – avec l’ensemble de l’Amérique du Nord sous son commandement – fait partie de la plus grande transformation du Plan de commandement unifié depuis sa création en 1947. »
(sur la photo: le président George W. Bush, en août, au Sommet de Montebello)
Le Canada et le US Northen Command
En décembre 2002, après le refus du premier ministre Jean Chrétien que le Canada se joigne à NORTHCOM, une autorité militaire bi-nationale par intérim fut mise en place sous le nom de Groupe de planification binational (Binational Planning Group - BPG).
Alors que la participation canadienne au NORTHCOM aurait signifié l’intégration des structures de commandement militaire canadien à celles des États-Unis, la création du BPG repoussait temporairement cette intégration. Le BPG élargissait la juridiction du traité canado-américain de défense de l’espace aérien de l’Amérique du Nord (NORAD) pour y inclure dorénavant les mers, les territoires et les « forces civiles ».
Bien que cela n’ait jamais été reconnu officiellement dans les documents publiés, le BPG a été créé pour préparer la fusion du NORAD et du NORTHCOM, créant ainsi les conditions pour l’intégration du Canada sous le Commandement militaire américain du Nord.
Dès le départ, le BPG, bien que décrit comme une autorité militaire « indépendante », était intégré aux structures de commandement de NORAD et de NORTHCOM, les deux opérant à partir des mêmes quartiers généraux à la base de Paterson au Colorado. En pratique, le BPG opérait sous la juridiction du NORTHCOM, qui est dirigé par le Département américain de la Défense.
Lors de la visite du président Bush à Ottawa en décembre 2004, il a été convenu de prolonger le mandat du BPG jusqu’en mai 2006, dans le but de préparer la participation du Canada au NORTHCOM. En mars 2006, deux mois avant l’échéance, le BPG publiait un document d’un groupe de travail sur les enjeux sécuritaires en Amérique du Nord. Selon le document, « une approche continentale pour les questions de défense et de sécurité faciliterait la mise en place d’un système d’alerte maritime binational et une réponse conjointe aux menaces potentielles qui transcendent les frontières, les départements et agences de sécurité et de défense du Canada et des États-Unis. »
Le rapport proposait une « mission maritime » pour le NORAD, comprenant un système d’alerte maritime. Le rapport a servi de base de discussion pour la renégociation de NORAD, qui a immédiatement suivi la publication du rapport.
Le 28 avril 2006, une entente était signée derrière des portes closes par l’ambassadeur américain et le ministre canadien de la Défense Gordon O’Connor, sans débat préalable à la Chambre des Communes.
Bien que NORAD existe toujours formellement, sa structure organisationnelle coïncide désormais avec celle de NORTHCOM. Le général américain Gene Renuart qui commande le NORTHCOM était à la tête de NORAD et major général Raul J. Sullivan est à la fois chef d’état-major de NORTHCOM et de NORAD.
À l’exception d’un général canadien présent pour la forme, qui occupe le poste de commandant adjoint, le commandement de NORAD coïncide avec celui de NORTHCOM. Les deux structures militaires sont identiques et occupent les mêmes installations à la base aérienne Peterson au Colorado.
Le renouvellement de l’accord du NORAD, qui concédait le contrôle des eaux canadiennes aux États-Unis, n’a fait l’objet d’aucune annonce officielle et n’a fait l’objet d’aucune reportage dans les médias.
Le déploiement de troupes américaines en sol canadien
Dès la mise en place du Northern Command en avril 2002, le Canada a concédé aux États-Unis le droit de déployer des troupes américaines en sol canadien, par exemple « si le continent était attaqué par des terroristes qui ne respectent pas les frontières », rapportait le Edmonton Sun du 11 septembre 2002.
Avec la création du BPG en décembre 2002, un « plan d’assistance civile » bi-national a été mis sur pied. Ce dernier décrivait les conditions précises « pour déployer des troupes américaines au Canada, ou vice-versa, dans la foulée d’une attaque terroriste ou d’un désastre naturel », expliquait le magazine Inside the Army en septembre 2005.
La perte de la souveraineté canadienne
En août 2006, le Département d’État américain a confirmé qu’un nouvel accord sur le NORAD venait d’entrer en vigueur, en mettant l’accent sur le fait que les dispositions relatives au domaine maritime étaient « à durée indéterminée » et sujettes à des révisions périodiques. En mars 2007, le comité sur les forces armées du Sénat américain a confirmé que le nouvel accord sur le NORAD avait été officiellement renouvelé, pour inclure un système d’alerte maritime.
Au Canada, la nouvelle est virtuellement passée sous silence. Le gouvernement de Stephen Harper ne s’est pas prononcé officiellement sur l’accord, dont les implications sur la souveraineté territoriale canadienne n’ont pas été mentionnées. L’accord a à peine été évoqué dans les médias.
En opérant sous le blason « nord-américain », l’armée américaine aurait juridiction sur le territoire canadien d’un océan à l’autre. L’accord permettrait l’établissement de bases militaires « nord-américaines » en territoire canadien. D’un point de vue économique, on assisterait aussi à l’intégration du Grand Nord canadien et de ses vastes ressources naturelles, avec l’Alaska.
La décision prise par Ottawa en juillet dernier d’établir une base militaire à Resolute Bay dans le passage du Nord-Ouest ne visait aucunement à « réaffirmer la souveraineté du Canada ». Le but était en fait inverse. La décision a été prise de concert avec Washington. Un port en eaux profondes à Nanisivik, à la pointe nord de l’île de Baffin, est aussi envisagé.
L’administration américaine soutient fermement cette décision du gouvernement canadien. Le but est d’établir éventuellement un contrôle américain sur toute la région de l’Arctique canadien, y compris les voies maritimes. Ce territoire tomberait éventuellement sous la juridiction du US Northern Command (NORTHCOM).
Le Partenariat pour la sécurité et la prospérité
Le Partenariat pour la sécurité et la prospérité (PSP) signé entre les États-Unis, le Canada et le Mexique, envisage la formation d’une Union nord-américaine, un dominion territorial, qui s’étendrait des Caraïbes jusqu’à l’Arctique.
Le PSP est étroitement lié à l’initiative du Binational Planning Group. Un groupe de réflexion financé par le Council on Foreign Relations appelle à la tranformation du NORAD en un « Commandement de défense multiservices ». Un document de ce groupe intitulé « Communauté nord-américaine » rédigé pour le PSP reprend les revendications formulées par le BPG en mars 2006.
L’adhésion du Canada à ce « Commandement de défense multiservice » a déjà été approuvé et signé par le Parlement canadien en mai 2006, dans le cadre du renouvellement de l’accord du NORAD.
La fusion officielle du « NORAD renouvelé » et du NORTHCOM américain mènerait à la formation d’un NORTHCOM canado-américain, doté d’un nouveau nom, mais avec le même mandat de « défendre le territoire nord-américain » contre les attaques terroristes. Les forces armées canadiennes et américaines seraient aussi appelées à jouer un rôle croissant dans l’application de la loi à l’intérieur des frontières.
Le vrai objectif du PSP est de militariser les institutions civiles et d’abroger les gouvernements démocratiques. Le Canada est situé à côté du « centre de l’empire ». Le contrôle territorial du Canada fait partie du programme géopolitique et militaire des États-Unis. Rappelons à cet égard qu’à travers l’histoire, la « nation conquérante » s’est étendue sur ses frontières immédiates en s’emparant de territoires voisins.
Intégration ou annexion du Canada ?
L’intégration militaire est intimement liée au processus actuel d’intégration dans les sphères du commerce, de la finance et de l’investissement. Inutile de préciser qu’une partie importante de l’économie canadienne est déjà entre les mains d’intérêts américains. Dans les faits, les intérêts des grandes entreprises au Canada tendent à être les mêmes que ceux des entreprises américaines.
Le Canada est déjà de facto un protectorat économique des États-Unis. L’ALENA n’a pas seulement ouvert la porte à une nouvelle expansion des entreprises américaines, il a aussi mis la table pour l’intégration des structures de commandement militaire, de la sécurité publique, des forces de l’ordre et des services de renseignement après le 11 septembre 2001.
L’entrée du Canada dans le US Northern Command sera certainement présentée à l’opinion publique comme faisant partie de la « coopération Canada-États-Unis », quelque chose qui serait dans « l’intérêt national », qui créerait des emplois pour les Canadiens et « rendra le pays plus sécuritaire ».
Ultimement, l’enjeu sera que le Canada pourrait cesser de fonctionner comme un État indépendant.
-Ses frontières seront contrôlées par des agents américains et de l’information confidentielle sur les Canadiens sera partagée avec le Département de la Sécurité intérieure.
-Les troupes et les forces spéciales américaines pourront entrer au Canada dans le cadre d’un accord bi-national .
-Les citoyens canadiens peuvent être arrêtés par des agents américains agissant au nom de leurs vis-à-vis canadiens, et vice-versa.
Plus fondamental encore, « l’intégration » amènerait le Canada à participer directement, à travers des structures de commandement intégrées, au plan guerrier des États-Unis en Asie centrale et au Moyen-Orient, incluant le massacre de civils en Irak et en Afghanistan, la torture des prisonniers de guerre, l’établissement de camps de concentration.
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