Qui aurait cru à un tel retour du pendule ? Après deux décennies de « nationalisme civique » à la sauce post-moderniste, nous assistons au retour en force du « Nous ». Nous ne pouvons que saluer avec plaisir l’événement, ayant été pendant trop longtemps parmi les seuls à critiquer cette intrusion de l’idéologie néolibérale dans le discours souverainiste qu’a représenté l’adhésion au « nationalisme civique ».(1)
Mais, il fallait s’y attendre, le retour du pendule est trop accusé et risque de nous déporter loin en arrière, nous ramenant au vieux nationalisme des années 1950, en sautant par-dessus la Révolution tranquille. Le dernier exemple en date est le texte intitulé « Au nom des incommodés » que fait paraître Jean-François Lisée sur le site Internet de L’Actualité.
L’ancien conseiller spécial des premiers ministres Jacques Parizeau et Lucien Bouchard croit le Québec rendu à « un point de rupture » parce qu’on va « mettre un terme à l’enseignement religieux à l’école » pour le remplacer par le nouveau programme Éthique et culture religieuse.
S’auto-proclamant porte-parole de la majorité silencieuse chrétienne d’« incommodés » qui répugnera à envoyer ses enfants recevoir une éducation catholique à la paroisse le dimanche parce que « eh oh ! il y a le soccer, la piscine et le hockey. Pas que ça à faire la religion », Jean-François Lisée propose de réserver dans l’école laïque « une case horaire déterminée, ouverte aux enseignements religieux ». Aux émissions Ouvert le samedi et Christiane Charrette de Radio-Canada, il a reconnu son intérêt personnel dans cette proposition parce qu’il désire pour sa fille des cours de religion catholique à l’école.
« Au sein de l’école laïque, et à leur charge, poursuit-il, les grandes religions disposeront d’une case horaire par semaine – disons, une heure trente le vendredi matin – qu’ils aménageront à leur gré. Aux parents d’y inscrire leurs enfants et de payer un supplément s’il est requis. Les parents que cela n’intéresse pas, enverront leurs enfants au nouveau programme Éthique et culture religieuse. »
Il assortit sa proposition d’un corollaire : « aucune école confessionnelle ne sera financée par l’État – ni publique, ni privée – ni chrétienne, ni juive, ni musulmane » et propose « d’inscrire dans une constitution québécoise ce principe de l’école laïque et ouverte aux religions ».
Une approche impraticable
Que penser de cette « école laïque ouverte aux religions » ? Elle sera vite confrontée à une série de problèmes pratiques qui la rendront difficilement réalisable. Jean-François Lisée veut ouvrir cette école seulement aux « grandes religions ». Qui va déterminer lesquelles ? Est-ce que les Témoins de Jéhovah, l’Église de scientologie, Raël et les autres sectes religieuses bien nanties financièrement seront exclues ? Qui peut prédire comment trancheront les tribunaux lorsqu’ils seront appeler à se prononcer sur leur inclusion ou leur exclusion en vertu des Chartes ?
M. Lisée nous dit que « le membre d’un clergé qui utiliserait cette fenêtre pour enseigner la haine ou toute forme d’exclusion serait radié ». On veut bien faire preuve d’œcuménisme, mais c’est bien mal connaître l’état actuel des « grandes religions » que de croire qu’elles seront de « bonne foi » et qu’on pourra tenir le fondamentalisme loin de l’école. Et, encore une fois, qui va décider qu’un enseignement est « haineux »? Va-t-on instaurer une « police de la religion »?
Les écoles confessionnelles, nous dit Lisée, ne seront plus financées par l’État. Mais il ne prône pas la fin du financement public des écoles privées. Rien n’empêcherait alors la reconstitution des écoles privées confessionnelles sous la forme d’écoles privées laïques ouvertes à l’enseignement – en principe – de toutes les religions mais – dans les faits – d’une religion particulière. Les parents ayant dans notre système scolaire le choix de l’école pour leurs enfants, les écoles religieuses ghettos seraient florissantes.
La religion n’est plus un point de repère
Au-delà des considérations pratiques qui minent d’entrée de jeu le projet de Jean-François Lisée, il y a dans son texte des questions de principes autrement plus inquiétantes. Saluant le retour du « Nous », il écrit que « la majorité franco-québécoise doit donc réaffirmer ses repères et en établir la prédominance sur ces trois plans : l’histoire, la langue et la religion ».
Nous sommes évidemment d’accord avec l’importance devant être accordée à l’histoire et à la langue. Mais Jean-François Lisée mesure-t-il l’extraordinaire recul historique qu’il nous invite à faire en proposant aujourd’hui la religion comme « point de repère » de notre identité et les conséquences de cette proposition dans le contexte mondial actuel?
Définir la nation québécoise par sa religion, c’est revenir à Mgr Bourget ! C’est nier la Révolution tranquille, le « Nous » laïque du manifeste Option-Québec de René Lévesque. C’est exclure de la nation québécoise tous ces immigrants, ces « enfants de la loi 101 » qui, bien que n’étant pas toujours de foi chrétienne, s’intègrent à la majorité francophone.
Curieusement, lorsqu’il parle des autres « Nous » du Québec, soit le « Nous » de la communauté anglophone ou encore le « Nous » des communautés ethniques, Jean-François Lisée ne les caractérise pas par leur religion, sauf bien entendu dans le cas particulier de la communauté juive.
Le protestantisme ne semble pas être pour lui un « point de repère » fondamental de la communauté anglophone et Lisée parle de « communautés grecques et italo-québécoises ». On a une impression de « déjà vu », de revoir l’époque où les anglophones avaient mis de côté la religion dans leur commission scolaire protestante pour accueillir et intégrer les allophones de différentes croyances religieuses pendant que le catholicisme des commissions scolaires francophones servait de repoussoir.
L’identité nationale plutôt que l’identité religieuse
« La religion, c’est le cœur de l’affaire au Québec, comme sur la planète en 2007 », affirme Lisée. On croirait lire un passage tiré du livre Le choc des civilisations, l’ouvrage de Samuel Huntington qui est la bible de la droite américaine et qui sert de justification idéologique à la croisade de la Maison-Blanche en Irak et en Afghanistan et à laquelle adhère le gouvernement de Stephen Harper.
Certes, la mondialisation et les événements du 11 septembre 2001 ont provoqué une réaction qui a pris la forme du fondamentalisme religieux. Mais nous devons à tout prix éviter le piège qui nous est tendu de revaloriser notre passé chrétien pour s’opposer à l’islamisme militant. Cela ne peut mener qu’à des affrontements stériles et contre-productifs. Il est totalement faux de prétendre, comme le soutient Lisée, que le Québec aurait perdu ses « points de repère » depuis la laïcisation de la société québécoise.
Au contraire, avec sa Charte des droits, sa Charte de la langue et ses institutions modernes, le Québec s’est doté de points de repère autrement plus efficaces que ceux d’un passé où la religion devait être la gardienne de la langue.
Conséquemment, nous croyons qu’il faut justement se garder de caractériser les différentes communautés par leurs croyances religieuses. Par exemple, plutôt que de qualifier de musulmans les immigrants originaires de pays arabes, comme cela semble être devenu la norme, il faut plutôt nommer leur nationalité d’origine. Elles et ils sont d’abord et avant tout des Québécois ou des Québécoises d’origine algérienne, marocaine, libanaise, etc.
L’avènement des nationalités a marqué un progrès considérable dans l’histoire de l’Humanité. Au moment où la mondialisation varlope, efface, dissout les nationalités, ce serait une honte que de participer à cette tragédie en banalisant les identités nationales au profit des identités religieuses.
Symptôme d’un désarroi
Passionné de sondages, Jean-François Lisée les scrute à la loupe depuis des années à la recherche d’une vague similaire à celle qui a porté le mouvement souverainiste à des sommets inégalés au lendemain de l’échec du Lac Meech. Qu’il ait cru aujourd’hui trouver dans la religion « le cœur de l’affaire du Québec » témoigne du désarroi d’une certaine frange du mouvement souverainiste et de la profondeur de l’abîme qui guette le Québec.
Si, pour éviter la dérive et la perdition, il faut un « point de repère », mieux vaut prendre la question linguistique. D’ailleurs, à ce chapitre, Jean-François Lisée énumère une liste de reculs qui indiquent autant de chantiers d’interventions : l’affichage, la langue de travail, la langue au cégep, l’intégration des immigrants, la Constitution du Québec. Une action concertée, organisée, planifiée pourrait remettre le mouvement souverainiste sur ses rails comme ce fut le cas à la fin des années 1980. L’action serait rassembleuse, alors que la religion va diviser le Québec. Mais il est vrai qu’il faudrait affronter des milieux autrement plus hostiles, comme les milieux des affaires et des forces fédéralistes.
Enfin, nous conseillons, à ceux dont la religion est un « point de repère » si fondamental, de hiérarchiser leurs priorités, quitte à rogner sur « le soccer, la piscine et le hockey » afin de fréquenter avec leurs enfants l’église de leur paroisse le dimanche.
(1) Voir Le nouveau nationalisme civique, cheval de Troie de la mondialisation, paru dans Les Grands Textes indépendantistes, tome 2 (TYPO – 2004) et Sans nous qui est Québécois ?, dossier paru dans L’Apostrophe, la revue de l’aut’journal, vo. 1, no. 4, automne 2002.
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