Lors des prochaines négociations du secteur public, deux fédérations représenteront les enseignantes et les enseignants des commissions scolaires du Québec. La Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE) affilié à la CSQ et la nouvelle Fédération autonome de l’enseignement (FAE), issue d’une scission d’avec la première. La FSE compte 35 syndicats comprenant 60 000 membres, alors que la FAE regroupe 27 000 membres dans neuf syndicats dont les trois de l’île de Montréal. Nous avons rencontré le président de la FAE, Pierre St-Germain.
« Nous sommes en plein processus de structuration, me dit-il. Nous venons d’aménager dans de nouveaux locaux et nous sommes à embaucher du personnel. Nous avons tenu notre congrès de fondation au printemps et nous sortons tout juste de notre premier conseil fédératif. Ça bouge vite, mais sois assuré que nous serons fin prêt pour la négociation de 2010. C’est notre priorité. »
Quand on demande à cet ancien président de l’Alliance des profs de Montréal, en quoi la nouvelle fédération va se différencier de la FSE, il mentionne que la FAE se structure pour être plus près de ses membres, qu’elle va mettre l’accent sur la défense des conditions de travail des enseignantes et des enseignants. Mais là où Pierre St-Germain devient particulièrement volubile, c’est lorsque nous abordons le sujet de la réforme des programmes d’enseignement.
Un fil conducteur : la critique de la réforme de l’éducation
La critique de la réforme, de sa philosophie socio-constructiviste, de son approche par compétences, au détriment, selon le président de la FAE, de l’acquisition des connaissances est le fil conducteur qui permet de saisir l’orientation de la nouvelle fédération et de sa rupture avec la FSE.
Et ce n’est pas le retour du bulletin chiffré qui va satisfaire Pierre St-Germain et la FAE. « C’est un changement purement cosmétique pour des motifs électoralistes, soutient-il. Il faut que des changements autrement plus fondamentaux soient apportés aux programmes et au processus d’évaluation. »
Pierre St-Germain reconnaît des progrès au cours des années dans l’expression verbale des élèves, mais il fait le constat que « le français écrit est en chute libre ». Il faudrait, selon lui, un enseignement plus systématique des connaissances, ce que ne permet pas un programme axé sur l’acquisition de compétences.
« L’approche par compétences est peut-être adapté aux milieux plus favorisés, mais elle pénalise les enfants des milieux défavorisés », argumente-t-il. Il prévoit même que l’implantation de la réforme va se casser la gueule au secondaire où elle vient d’être introduite dans les premiers niveaux.
« Les parents auxquels on a dit, tout au long du primaire, que leur enfant « ne va pas trop mal » vont déchanter lorsqu’ils verront qu’on oriente leur progéniture vers la formation à l’emploi dès la troisième année du secondaire, fermant toute perspective d’accès au cégep. Au secondaire, le niveau de connaissance requis pour avancer est plus important et plusieurs des enfants de la réforme ne l’auront tout simplement pas. Ils seront condamnés à faire des petits boulots. »
Une réforme pour réduire les budgets
Pierre St-Germain pense non seulement que l’approche pédagogique de la réforme défavorise les enfants des milieux défavorisés, mais que l’objectif premier de son instauration était de réduire les coûts du système. La réforme allait de pair avec la politique d’intégration des élèves en difficulté d’apprentissage et de comportement dans les classes ordinaires.
« Avec l’arrivée de ces élèves, nos classes sont devenues trop hétérogènes. Le prof ne peut plus transmettre des connaissances communes. La solution qu’on a trouvé, c’est de former des petits groupes d’élèves selon leurs différents niveaux dans chaque classe. On leur fait faire des recherches à la maison ou sur Internet. Mais les enfants des milieux pauvres ont moins accès aux livres et aux nouvelles technologies. Ils se retrouvent doublement désavantagés. »
La réforme dégradant les conditions d’apprentissage à l’école publique, Pierre St-Germain y voit une des causes de la popularité des écoles privées. « C’est le même phénomène que dans la santé. Les gens sont insatisfaits des services offerts et ils se tournent vers le privé, bien que ce ne soit pas là la solution. »
Bien entendu, la réforme a des effets sur la condition enseignante. « Les profs ont de moins en moins de temps pour enseigner, explique-t-il. Ils doivent se transformer en psycho-éducateur, en psychologue, en orthophoniste. Ils sont de moins en moins des enseignants. »
C’est autour de cette situation que vont s’articuler les revendications de la FAE lors des prochaines négociations. « Nous voulons plus de services professionnels, une meilleure identification des élève en difficulté, une baisse des ratios. »
Pierre St-Germain déclare qu’il y a des limites à ne pas dépasser dans l’intégration des élèves en difficulté d’apprentissage et de comportement. « Il y a un débat à faire là-dessus car la politique d’intégration des élèves est le cœur de la réforme. »
Une convention collective par école
La FAE, si l’on en croit son président, va également s’attaquer à la décentralisation des pouvoirs dans le domaine de l’éducation. « C’est en train de faire éclater nos conventions collectives, déclare-t-il. Si ça continue, nous allons avoir autant de conventions collectives qu’il y a d’établissements. Ça réduit considérablement le pouvoir de négociation des enseignants. »
En plus de se préparer pour la négociation de 2010, la FAE débattra plus largement de ses orientations lors d’un congrès en 2008. « Nous allons débattre de nos alliances. Nous aurons à nous prononcer si nous nous mettons en mode d’accueil face à d’autres syndicats. »
Rappelons que la négociation de 2010 sera précédée d’une période de maraudage en 2009 au cours laquelle les syndicats peuvent changer d’allégeance.
Comme les autres syndicats du secteur public, la FAE doit vivre avec les mesures répressives du dernier décret. « On veut la levée de ces dispositions. Mais on sait bien qu’on ne renversera pas le gouvernement tout seul. Nous sommes intéressés à nous joindre à tout mouvement de contestation de ces législations », prend soin de préciser Pierre St-Germain.
Au sein de la FSE, les syndicats aujourd’hui regroupés dans la FAE se signalaient par leur dissidence face aux positions majoritaires. Aujourd’hui, le débat se fera sur la place publique et permettra aux enseignantes et enseignants des deux fédérations et à la population en général de mesurer le cas échéant l’ampleur de leurs divergences sur notre système d’éducation.
En espérant que ce débat aura un effet d’émulation et non de division, à ce moment critique de notre histoire où l’arrogance gouvernementale impose au mouvement syndical de faire front commun pour contrer les politiques néolibérales de privatisation et de marchandisation de l’éducation.
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