Avec la publication du rapport du Comité Castonguay sur l’élargissement de la place du privé dans le système de santé prévue pour le 20 décembre, les organisations syndicales se préparent à mener bataille pour la sauvegarde du système public. C’est dans ce cadre que nous avons rencontré Francine Lévesque, la présidente de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN).
La veille de notre rencontre, Francine Lévesque et la délégation de sa Fédération – qui représente plus de 118 000 membres – avaient rencontré le Comité Castonguay. « Ce n’est pas une commission parlementaire, alors les rencontres se déroulent sur une base plus ou moins informelle, relate-t-elle. L’écoute était bonne, mais nous n’avons pas oublier un seul instant que le mandat du comité est d’examiner le rôle que le secteur privé pourrait jouer ».
Cela va, bien entendu, à l’encontre des orientations de la FSSS-CSN dont le titre du mémoire remis au Comité Castonguay est sans équivoque : « Privatiser est la pire des solutions ».
Le Québec est le parent pauvre
« On nous dit que le système de santé est inefficace et qu’il coûte cher. Mais ça coûte cher partout et c’est au Québec que ça coûte le moins cher au Canada », affirme Francine Lévesque. « D’abord, il faut arrêter de dire que les dépenses de santé accaparent 45% des dépenses de programme du gouvernement du Québec. C’est plutôt 31%. Quand on parle de 45%, c’est en incluant les services sociaux. C’est beaucoup, mais pas intolérable. L’Ontario consacre plus de 58% de ses dépenses de programme à la santé, aux services sociaux et aux services à l’enfance », tient-elle à préciser.
Le Québec est même au dernier rang des provinces canadiennes pour ses dépenses publiques en santé par habitant depuis 2002 et au septième rang pour la croissance de celles-ci pour la période couvrant 2003-2006.
Francine Lévesque ajoute que le Québec est en réalité l’endroit en Amérique du Nord où les dépenses de santé privées et publiques par habitant sont les moins élevées. « On dépense 3975 $ par habitant au Québec, contre une moyenne de 4547$ au Canada et 6402$ aux États-Unis. »
Une des solutions est donc d’investir massivement dans le réseau pour rattraper notre retard afin d’attirer et de retenir la main d’œuvre, la pénurie de personnel étant le principal problème du réseau.
Mais on peut même légitimement se demander si le gouvernement n’a pas laissé le réseau se détériorer en le sous-finançant pour pouvoir justifier une plus grande ouverture au secteur privé. Le cas de l’hôpital privé Rockland-MD en est un bon exemple.
Privatiser pour se débarrasser des syndicats
Rappelons les faits. Au mois d’août dernier, la direction de l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal concluait une entente avec la clinique privée Rockland-MD pour que les médecins de l’hôpital puissent opérer leurs patients dans le bloc opératoire de la clinique tout en faisant appel à des infirmières fournies par Rockland-MD.
L’éditorialiste de La Presse Ariane Krol s’empressait d’appuyer le projet (« Expérimentons le projet », 11 août 2007) alors que Robert Sansfaçon dans Le Devoir, tout en se montrant plus réservé – parce que la clinique a déjà agi dans l’illégalité pour avoir réclamé des frais élevés à ses patients en plus des honoraires perçus du régime public et qu’un de ses administrateurs est Marcel Côté, un des proches du premier ministre – se disait quand même favorable à l’initiative.
Son argumentaire dévoilait les véritables enjeux de l’initiative. L’éditorialiste du Devoir voyait dans cette clinique une « structure légère, sans règles d’ancienneté pour fixer les horaires de travail du personnel et sans contraintes qui limitent l’embauche d’infirmières retraitées, en somme sans bureaucratie ». (Le Devoir, Pas de panique à la clinique, 10 août 2007).
La FSSS-CSN a bien compris de quoi il en retournait. « Où la clinique privée Rockland trouvera-t-elle les infirmières dont elle a besoin, sinon à Sacré-Cœur et dans d’autres établissements publics? », déclare Francine Lévesque. « On ne règlera rien. On va plutôt accentuer le problème du manque d’infirmières dans le secteur public. » Mais, bien entendu, on va pouvoir agir sans les contraintes syndicales.
La privatisation par le recours aux agences
Cette privatisation en douce, insidieuse, Francine Lévesque la voit également dans le recours de plus en plus fréquent aux agences privées d’infirmières, mais aussi d’autres catégories de personnel. À cause de la pénurie d’infirmières – découlant des départs massifs à la retraite dans le cadre du Déficit zéro en 1997 et des contingentements dans les écoles de soins infirmiers – il s’exerce une pression considérable sur le personnel en place.
C’est particulièrement vrai à Montréal et dans la région de l’Outaouais. Dans le premier cas, parce que les infirmières veulent plutôt travailler en banlieue où souvent elles habitent et, dans le deuxième cas, à cause de l’attrait qu’exerce l’Ontario où les conditions de travail sont meilleures.
Dans ces deux régions, on a de plus en plus recours aux agences privées. Près des deux tiers des heures travaillées par les infirmières des agences le sont à Montréal, alors que seulement le tiers des heures travaillées par les infirmières dans le réseau de la santé et des services sociaux sont à Montréal.
Au cours des dernières années, il y a eu une augmentation importante du nombre d’infirmières travaillant pour des agences. Elles étaient 1 624 en 1998-1999; elles sont aujourd’hui 2605. Plus du tiers d’entre elles (37%) travaillent à la fois dans le réseau public et pour des agences.
« Ce sont surtout de jeunes infirmières, nous dit Francine Lévesque. Elles veulent pouvoir choisir leurs horaires, leur lieu de travail, concilier travail/famille. Et les avantages traditionnels du réseau public, à savoir de meilleures conditions salariales, des assurances collectives et un fonds de pension, jouent de moins en moins. Les agences leur offrent maintenant une bonne rémunération et ont mis sur pied des programmes d’assurance et de retraite. »
L’hôpital public ferme et réouvre privé
La privatisation en douce s’effectue aussi par la fermeture d’établissements publics et leur réouverture dans le secteur privé. C’est le cas des centres hospitaliers de soins de longue durée (CHSLD). Quelques jours avant notre rencontre, l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal annonçait la fermeture du CHSLD Jacques-Viger, privant ainsi la population de 200 lits d’hébergement.
« Depuis 1995, la région de Montréal a perdu plus de 700 lits de CHSLD, nous dit Francine Lévesque. Et ce n’est pas faute de clientèle. Le nombre de personnes âgées de plus de 80 ans va augmenter de 47% d’ici 2026 ».
Au même moment, le gouvernement annonce dans le cadre de son programme de 30 milliards pour le renouvellement des infrastructures la création de 1100 nouveaux lits. Cependant, ils seront créés sous l’égide du privé, embauchant une main d’œuvre non syndiquée. « Déjà, l’Agence a annoncé qu’elle s’en remet à des entrepreneurs privés comme COGIR pour ouvrir 480 places d’hébergement », constate Francine Lévesque. D’ailleurs, Radio-Canada expliquait le boom immobilier en cours à Montréal par la construction de résidences pour personnes âgées.
Rappelons que la société de gestion Cogir a défrayé la manchette des journaux dernièrement et s’est attirée la colère du premier ministre Charest après avoir procédé à l'expulsion précipitée de certains de ses locataires âgés dans deux de ses résidences des quartiers Rosemont et Ahuntsic pour y aménager de nouvelles ressources intermédiaires en partenariat avec des Centres de services et de santé (CSSS) montréalais.
Pour justifier la fermeture du CHSLD Jacques-Viger, le gouvernement a plaidé la vétusté des lieux. Mais cet argument ne tient pas la route, selon Francine Lévesque. « À Saint-Hyacinthe, on a voulu fermer le CHSLC Andrée-Perreault qui était tout neuf, sous prétexte de vouloir le convertir en bureaux », nous donne-t-elle en exemple.
Une mobilisation citoyenne extraordinaire a permis de reverser la décision. « Il y avait plus de 1000 personnes dans les rues de Saint-Hyacinthe le 8 septembre dernier. Des parents de personnes âgées, des citoyens, des syndiqués. » Déjà, la FSSS est à mettre sur pied une coalition similaire pour prévenir la fermeture du CHSLD Jacques-Viger.
Attraction et rétention
Un des grands enjeux des prochaines années est d’attirer et de retenir la main d’œuvre dans le réseau de la santé. Cela ne pourra se faire sans l’amélioration des conditions salariales et de travail.
« On ne pourra attirer du personnel sans offrir de meilleurs salaires, constate Francine Lévesque en citant le dernier rapport de l’Institut de la statistique du Québec sur la rémunération du personnel des services publics. « L’écart de rémunération entre le personnel de la santé et les autres secteurs s’est creusé de 7,5% en cinq ans. En 2006, les employés de l’État gagnent 15,2%. »
Parallèlement à cela, il faudra empêcher le développement des ressources privées. Sinon, nous risquons de nous retrouver avec un réseau privé, accessible aux mieux nantis, à ceux qui pourront se payer des assurances privées, avec une main d’œuvre non-syndiquée, faisant appel à des agences privées, alors que le réseau public sera sous-financé, avec une main-d’œuvre certes syndiquée, mais sous-payée, bâillonnée et rendue impotente par des législations anti-syndicales comme le dernier décret.
On comprend pourquoi la Fédération de la santé des services sociaux, mais également la CSN et l’ensemble du mouvement syndical se préparent fébrilement au dépôt du rapport du Comité Castonguay.
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