Dans une nouvelle étude intitulée «Gratuité scolaire et réinvestissement postsecondaire : trois scénarios d’application», les chercheurs Marc Daoud et Philippe Hurteau de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) démontrent qu’une hausse des frais de scolarité, loin d’être inévitable, ne constitue qu’une façon de transférer la responsabilité des sources de financement de l’État vers les étudiants.
« L’expérience québécoise d’augmentation des droits de scolarité s’est déjà soldée par un échec au début des années 90, écrivent les chercheurs. Les droits de scolarité étaient alors passés de 519 à 1703 $ en sept ans. À l’époque, le gouvernement a tenté de justifier cette hausse par le manque de financement et s’était engagé à lier l’augmentation à un investissement durable en éducation. »
Or, selon les données de l’étude, la contribution gouvernementale a diminué considérablement entre 1988 et 2002, glissant de 87 à 71 % en proportion des revenus. Pour chaque dollar fourni par les étudiants, l’État en investissait 16 en 1988, mais plus que 7,5 en 2002. L’étude souligne que c’est durant la période de dégel des frais de scolarité de 1989-1994 que le désengagement de l’État a eu lieu.
« Prétendre régler le sous-financement en haussant les frais comme en 1989 conduirait au même résultat : désengager l’État de sa responsabilité (…). » Selon l’étude, les exemples québécois mais aussi ontarien et britannique le démontrent bien.
(Photo: UQAC / Pavillon princial de l'Université du Québec à Chicoutimi)
Un choix politique
Selon MM. Daoud et Hurteau, l’impôt progressif en fonction du revenu est un système qui permet déjà aux étudiants de rembourser à la société le coût de leurs études, mais de façon équitable. Il s’agit d’un choix politique.
« Un réinvestissement important orienté vers l’abolition des frais de scolarité et le refinancement des cégeps et des universités apparaît comme étant économiquement viable et socialement plus équitable que la hausse de tarification », écrivent-ils.
Les chercheurs proposent trois scénarios pour régler la question du sous-financement des institutions d’enseignement postsecondaire et atteindre la gratuité scolaire : le premier vise la gratuité immédiatement, le second permet d’étendre le processus sur cinq ans, et le troisième sur dix ans.
Le coût total de l’opération est évalué à 1,22 MM $, soit 620 M $ récurrents pour combler le manque de financement, et 600 M $ en transfert vers l’État de la part actuellement payée par les étudiants des universités et des cégeps.
Premier scénario
Le premier scénario propose deux sources de financement pour un résultat immédiat :
1. Annuler la baisse d’impôt de 950 M $ consentie par le gouvernement québécois lors du dernier budget;
2. Imposer la totalité des gains en capital, pour aller chercher un montant de 346 M $.
«Un gain en capital, souligne les chercheurs, consiste en une augmentation de la valeur monétaire d’une immobilisation (action, obligation, terrain, etc.) qui permet de réaliser un profit à sa revente. Puisque tout salarié doit payer de l’impôt sur 100 % de son revenu, pourquoi alors l’État québécois, et la population qu’il représente, devrait-il se contenter de n’imposer que 50 % des gains en capital? », questionnent les chercheurs.
Deuxième et troisième scénario
Dans les deux scénarios suivant, MM. Daoud et Hurteau suggèrent de régler la question du sous-financement (620 M $) dès la première année d’application, avant de se pencher les années suivantes sur l’élimination graduelle des frais de scolarité.
Pour la question du sous-financement, les solutions de revenus proposées sont l’imposition de la totalité des gains en capital, et l’augmentation de la taxe sur le capital des institutions financières de 0,98 à 1,5 %. Le dernier budget québécois prévoit plutôt l’élimination de cette dernière taxe pour 2011, rappellent les chercheurs.
« Si l’on se fie à l’évolution des profits des cinq plus grandes banques au Canada, soit une augmentation de 500,3 % entre 1993 et 2002, nous présumons que le second changement fiscal ne devrait pas nuire outre mesure à la rentabilité des institutions financières», note l’étude.
Pour l’élimination graduelle des frais de scolarité, le scénario sur cinq ans propose de faire passer la taxe sur le capital des compagnies financières à 2,4 % pour récolter 431 M $, et de faire passer le dernier palier d’imposition des particuliers de 24 à 25,4 % pour récolter 294 M $, pour un total de 712 M $ nécessaires à l’abolition des frais de scolarité au postsecondaire, avec surplus de 13 M $.
Le scénario sur dix ans propose toujours de faire passer la taxe sur le capital des compagnies financières à 2,4 %, mais ajuste le second point, faisant passer le dernier palier d’imposition des particuliers à 26 % pour récolter 420 M $. Pour un total de 851 M $ nécessaires à l’État pour abolir les frais de scolarité au postsecondaire, sans compter un surplus de 20 M $.
Les chercheurs concluent également dans leur étude que l’approche du gouvernement québécois, qui au printemps dernier annonçait une hausse de près de 30 % sur cinq ans des droits de scolarité universitaires, « élimine complètement la nécessité d’une éducation accessible à tous et réduit l’éducation à une simple démarche vers l’emploi. »
Lien :
Site de l’IRIS - www.iris-recherche.qc.ca