Rouyn-Noranda - Information, culture, travail et même loisirs, le Web a révolutionné tous les aspects de nos vies depuis dix ans. Le Canada, pourtant, se traîne derrière les États-Unis dans l’utilisation d’Internet. Le Québec, lui, retarde derrière les autres provinces.
4 fois moins de haute vitesse à la campagne
Il n’en reste pas moins qu’un Québécois sur deux travaille avec l’Internet, constate Léger Marketing, un sur trois y travaille même à domicile. La plupart de ces internautes habitent toutefois des centres, parce que les régions, elles, marquent le pas. Statistiques Canada mesure cette déroute: 12% seulement des ruraux québécois disposaient de la haute vitesse en 2005. Quatre fois moins qu’en ville. C’est ce qu’on appelle l’infopauvreté.
Toutes les régions du Québec souffrent de cette carence. La Côte-Nord est la moins atteinte, puis suivent dans l’ordre : Lanaudière, les Laurentides, l’Estrie, le Saguenay-Lac-Saint-Jean, Chaudière-Appalaches, l’Abitibi-Témiscamingue, le Centre-du-Québec, la Mauricie, le Bas-Saint-Laurent et pour finir les Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine.
Internet, aussi essentiel que l’eau et l’électricité
Ces régions sont d’office déclassées dans la nouvelle économie. « Qui n’a pas Internet haute vitesse ne peut plus espérer attirer une entreprise, pas même un travailleur autonome, lance avec raison Nathalie Collard, éditorialiste à La Presse. Internet est devenu un besoin essentiel comme l’eau et l’électricité »
Ottawa et Québec ont voulu combler cette « fracture numérique » qui hypothèque l’existence de 2 millions de régionaux par des programmes : Large bande et Village branché, qui relient maintenant par satellite ou par fibre optique les écoles et les institutions dans 800 localités et 62 MRC.
Le fouillis actuel
Malheureusement, les contrats d’exploitation de ces réseaux varient d’un endroit à l’autre dans un fouillis indescriptible. Parfois le réseau devient propriété des commissions scolaires, plus rarement des MRC. Ici les deux réseaux se confondent, là ils sont autonomes.
Le programme fédéral de large bande permet la transmission du signal vers les domiciles particuliers, plusieurs provinces ont donc branché villages et rangs en même temps que les institutions : « Le Nord (de la Saskatchewan) est entré dans l'ère technologique », se félicite Al Rivard, président de la Northern Development Board Corp.
Son alter ego québécois ne peut en dire autant; le programme Village branché, sous l’égide du ministère de l’Éducation, interdit de brancher les domiciles.
Pour comble, les maîtres d’œuvre, câblodistributeurs et compagnies de téléphone, associés au déploiement du réseau dans 17 MRC, en sont parfois devenus propriétaires.
Les rangs, moins rentables, sont laissés de côté
Télébec, qui a investi 5,2 M$ dans ce réseau de quelques 30 millions de dollars en Abitibi-Témiscamingue, le contrôle dans quatre des cinq MRC. Télébec utilise maintenant ce réseau large bande pour développer son propre réseau haute vitesse par fil à l’intérieur et autour des villages.
Les rangs, moins rentables, sont laissés de côté, même si l’enveloppe du Pacte rural a défrayé la quote-part de plusieurs MRC et si chaque village paie un loyer annuel.
Câbleamos fait de même dans la MRC voisine d’Abitibi, de sorte que Jules Grondin, maire de Berry, s’inquiète: « Les citoyens vont payer pendant 15 ans, il faudrait au moins qu’ils reçoivent quelque chose ! »
Sabotage, désinformation et blocus
Cet écrémage de clientèle et une impitoyable guerre de tranchées par les compagnies de téléphone et les câblodistributeurs coupent les jambes des petits distributeurs de liens Internet à vocation rurale partout au Québec.
Il s’agissait au départ d’une guerre psychologique sur fond de lobbying auprès des institutions, des municipalités, des MRC et des Conférences régionales des élus (CRÉ).
Les échauffourées ont dérapé par endroits en sabotages d’antennes WiFi, en campagnes de désinformation, en tracasseries administratives, ou en blocus de réseaux intermunicipaux trop complexes pour être laissés aux autochtones.
L’effet est drastique : « La plupart de nos membres utilisent encore le fax», constate Michel Poulin, directeur du service informatique à la confédération de l’UPA.
La riposte s’organise
Certaines communautés n’ont, par contre, pas baissé les bras. Les 1 500 habitants de Saint Théodore d’Acton ont convaincu CoopTel de cohabiter avec un réseau WiMax (Internet par ondes radio encore plus performant que le WiFI) qui arrose villages et rangs depuis deux ans jusqu’à Saint-Nazaire d’Acton et Upton. Le débat est lancé pour généraliser le sans fil dans cette MRC agricole à 90%.
Dans les Hautes-Laurentides, Communautel, un organisme sans but lucratif, distribue le signal WiFi depuis septembre dernier à Nominingue et tente de s’implanter à la Macaza et à Ste-Véronique.
La marmite, enfin, menace de sauter en Gaspésie, où malgré 5 M$ injecté dans un réseau de fibre optique, 8 des 11 municipalités de la MRC d’Avignon sont toujours privées de la haute vitesse.
Dégoûté de cet Internet au ralenti, un citoyen a même installé son bureau dans la bibliothèque de Saint-François, desservie, elle, grâce aux subsides gouvernementaux.
Lassée des surenchères tarifaires de Telus, l’administration voisine de Nouvelle prépare l’implantation d’un réseau WiFi municipal. À noter que le fief de Telus, Gaspésie, Bas-Saint-Laurent et Chaudière-Appalaches, figure en queue de peloton des régions québécoises en panne sur l’accotement de l’Inforoute.
Entravée par ses fils, la téléphonie de Télus, Télébec et les autres accouchent difficilement de l’Internet. C’est pourquoi certaines campagnes à deux heures de Montréal sont privées de la haute vitesse, tandis que des voisins séparés par une rivière vivent en réalité à des années lumière les uns des autres.
Tous n’en meurent pas, mais tous sont atteints
L’infopauvreté pointe son nez de l’Abitibi à la Gaspésie, en passant par la région de la Pocatière aussi bien qu’à Baie Saint-Paul, à Lachute ou à Saint-Hugues près de Saint-Hyacinthe.
À Nominingue, des citoyens réclament une enquête sur la MRC suspectée de favoriser les compagnies de téléphone. Bref, on bougonne beaucoup, partout dans nos campagnes, à propos d’élus, dupes ou complices.
Les grosses compagnies livrent un combat d’arrière-garde parce que d’autres technologies, les ondes radio, tout aussi performantes que le câble ou les fibres, s’avèrent beaucoup moins chères. Des alternatives s’imposent.
Une antenne WiFi d’une capacité d’une douzaine de kilomètres coûte quelques centaines de dollars. Les abonnés défraient ensuite, outre une coupole, plus ou moins 40$ par mois d’abonnement.
Quelques millions de dollars permettraient d’arroser mur à mur une région comme le Saguenay-Lac-Saint-Jean. Pas étonnant que, à l’instigation de l’Organisation des Nations Unies (ONU), WiFi et WiMax s’imposent partout dans le monde. Des municipalités aux États-Unis et en Europe distribuent même le signal à leurs administrés à titre de service public.
80% des sites sont inaccessibles
Le Québec fait exception parce que les géants des télécommunications y défendent becs et ongles leurs poteaux et leurs privilèges dans des campagnes qu’elles desservent par l’Internet basse vitesse par téléphone.
Elles y perçoivent les abonnements, une trentaine de dollars mensuels, sans fatigue ou investissements dans de nouveaux équipements.
Ce service est bancal et antédiluvien au point où 80 % des sites sur le Web lui sont inaccessibles parce que trop lourds pour la basse vitesse. L’ironie veut que ce soient souvent les mêmes compagnies qui imposaient des lignes à abonnés multiples en milieux ruraux dans les années 1970, 80 et 90.
Des solution venues d’ailleurs
Si le problème est québécois, la solution vient parfois d’ailleurs. Écoeuré de la basse vitesse par téléphone, Serge Guenette a sauté la frontière jusqu’à un fournisseur ontarien WiFi soixante fois plus rapide, Parolink de New-Liskeard: 3 millions de bits/sec à 39$ par mois.
« Mes clients ont la haute vitesse, précise Guénette, ils achèteraient ailleurs si je ne l’avais pas. » Son entreprise crée 7 emplois à Nédelec, un village de 429 habitants du nord Témiscamingue.
Parolink, du coup, ne fournit plus à la demande : « La haute vitesse représente un investissement minime pour une communauté, 10 ou 15 000 $, sans lequel même les propriétés sont dévaluées, explique son patron franco-ontarien, Patrick Miron. Mais les compagnies de téléphone monopolisent les secteurs ruraux. »
D’autres entrepreneurs se débrouillent avec les moyens du bord. Après de nombreuses démarches et en contrepartie d’un loyer mensuel de 90$ payé à Télébec, Aciers J.P., plus au nord, s’est branché l’an dernier au réseau large bande par le truchement de la municipalité de La Reine.
« L’administration, les assurances, les bénéfices sociaux, tout passe par Internet, explique, soulagée, la gestionnaire Chantal Godbout, même les plans et contrats des clients au Canada et aux USA. » L’entreprise emploie cinquante personnes dans un village très isolé de 400 habitants, où la route meurt sur une arche proclamant : Le Bout du Monde.
« Pas d’Internet, pas de commandes », confirme lui aussi Raymond Boudreault, président de la Fraisonnée de Clerval dans le même secteur. Ça n’est pourtant pas l’amour fou entre M. Boudreault et son service satellitaire unidirectionnel Sympatico à 65$ par mois : « Internet par satellite, c’est toujours planté! »
La ferme avicole Richard de Rivière Héva, enfin, a financé elle-même l’antenne WiFi pour rejoindre le fournisseur haute vitesse de la ville voisine, Malartic.
Son fournisseur, Richard Brunelle de PC Mobile, se débarrassera sous peu de Télébec qui lui facture 1650$ par mois pour un mégabit d’accès au Web mondial. Pearsona, une firme américaine, lui fournira la même capacité à 185$ par mois. Brunelle passera, du coup, dès l’an prochain de 90 à 500 clients.
Frustrés mais pas aveugles, des régionaux commencent à bien comprendre les enjeux.« On a maintenant la fibre optique au village, constate Huguette Béland, coordonnatrice de la bibliothèque de Preissac, mais je présume qu’on va rester avec la Coop WiFi. C’est moins cher et il faut encourager une entreprise qui dessert les rangs ! »
Internet : une affaire de vie ou de mort
Internet, depuis dix ans, s’est révélé un outil de développement social et économique sans pareil. La haute vitesse est tout indiquée pour le travail à domicile, l’abolition des frais interurbains, les télé-enseignements, e-culture, télémédecine.
Les opérations agricoles se prêtent bien à la gestion informatisée, à la télésurveillance et à la télécommande.
L’Internet haute vitesse influera aussi sur la persistance ou l’arrêt de l’exode des jeunes qui déstructure les milieux ruraux.
Internet aujourd’hui c’est une affaire de vie ou de mort, constate Solidarité rurale qui réclame le branchement jusqu’au dernier rang de la province. Un groupe de travail organisé par Québec prévoit qu’on y sera dans cinq ans; une éternité pour deux millions d’exclus des technologies de l’information.
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