J’ai serré la main du diable

2007/10/26 | Par Robin Philpot

Robin Philpot est l’auteur de « Rwanda : crimes, mensonges et étouffement de la vérité » (Les Intouchables 2007)

Le sénateur libéral Roméo Dallaire prétend que son film « J’ai serré la main du diable » est le film référence sur le drame rwandais. Or, sur le plan des faits, il ne passe pas la rampe.

Commençons par la fin. Dans le générique, à la toute fin, on peut y lire ©Dallaireproductions. Le sénateur Dallaire a donc créé une boîte de production pour 1) toucher une partie des profits; 2) approuver le scénario jusqu’à la dernière virgule. Il a donc approuvé une autre phrase dans le générique, soit celle-ci : Depuis juillet 1994, le FPR gouverne le Rwanda dans un esprit de pardon et de réconciliation.

Rien ne pourrait être plus faux! Et tout le monde le sait. Quand les prisons rwandaises comptent quelques 80 000 personnes en prison depuis plus d’une décennie, sans procès, on ne peut parler de « pardon et de réconciliation ».

On ne peut parler de « pardon et de réconciliation » non plus quand on pense à la guerre meurtrière que ce régime a livrée et livre toujours sur le territoire congolais (4 millions de mort); ni quand on pense aux très nombreuses tueries et assassinats sélectifs effectués par l’armée rwandaise et ses agents au Rwanda et ailleurs. Tous sont bien documentés. Ni quand on pense à l’assassinat des prêtres québécois Guy Pinard et Claude Simard, éliminés parce qu’ils osaient dénoncer les crimes du FPR et de Paul Kagame.

Ce générique démontre la partialité actuelle du Sénateur Dallaire en faveur du régime de Kigali, et en cela il reste conséquent avec la partialité qu’il n’a cessé de démontrer pendant tout son séjour au Rwanda en 1993 et en 1994. Il est donc un film de propagande favorisant un régime politique hautement contesté.

(Sur la photo: Roy Dupuis dans le rôle de Roméo Dallaire)

Trois histoires totalement fausses

Le film est également bourré d’erreurs de faits. Trois éléments du film servent à « prouver » que le génocide aurait été planifié. Ce sont 1) des tueries au sud de la zone démilitarisée où on doit comprendre que les milices hutues en sont responsables, 2) le fameux Jean-Pierre qui aurait révélé l’intention d’extrémistes hutus d’éliminer les Tutsis rwandais (source du fax envoyé à l’ONU) et 3) une phrase qu’on met dans la bouche du colonel belge Luc Marchal, commandant des troupes belges à Kigali sous Roméo Dallaire, selon laquelle le colonel Bagosora, chef de cabinet du ministre de la défense du Rwanda, aurait dit qu’il fallait « exterminer tous les Tutsis ».

Trois histoires sur des événements réels, mais trois histoires totalement fausses.

En ce qui concerne les tueries que le film attribue à d’éventuels extrémistes progouvernementaux, le sénateur Dallaire est le seul qui persiste à colporter cette version.

Grâce à un ancien membre du Front patriotique rwandais et camarade d’armes de Paul Kagame, Abdul Ruzibiza, nous savons que c’est le FPR qui a fait ces tueries en novembre 1993, nous savons les noms des tueurs et nous savons pourquoi le FPR l’a fait. La réponse se trouve dans le livre de Ruzibiza, « Rwanda : L’histoire secrète » (pp. 208-209), et dans son témoignage au Tribunal pénal international sur le Rwanda.

Quant au fameux Jean-Pierre – Abubakar Turatsinze de son vrai nom – les informations disponibles depuis plusieurs années prouvent que celui-ci était un vendeur d’armes qui fréquentaient les services de renseignement du FPR et du gouvernement.

D’autres membres de la MINUAR qui l’ont rencontré, dont Amadou Deme et le colonel belge Luc Marchal, ne croient pas du tout à la fiabilité de cette histoire. Seul Dallaire persiste à colporter cette histoire, mais toujours avec de grands moyens cinématographiques.

Marchal n’a jamais dit ce que Dallaire lui fait dire

Qu’en est-il de la phrase mise dans la bouche du colonel belge Luc Marchal sur l’extermination des Tutsis? Luc Marchal n’a jamais témoigné en ce sens. Il intervient régulièrement dans les débats sur le drame rwandais mais il n’a jamais dit ce que le film du sénateur Dallaire lui fait dire.

Quand il intervient, c’est toujours pour dire que la chose la plus importante dans le drame rwandais, c’est de découvrir qui a abattu l’avion présidentiel le 6 avril 1994. Il a même invité Roméo Dallaire à se joindre à lui pour exiger qu’une enquête internationale soit menée pour découvrir et traduire en justice les auteurs de l’attentat du 6 avril. Une demande qui est restée sans réponse.

Ajoutons ce que Roméo Dallaire a dit lui-même au sujet de la planification du génocide et de la nature de celui-ci au lendemain de son retour du Rwanda en 1994 à l’émission Le Point de Radio-Canada. Roméo Dallaire : « Moi je dirais qu'il y a eu génocide national, mais un génocide de philosophie politique, non pas purement ethnique. Beaucoup de Hutus comme beaucoup de Tutsis ont été tués... Je pense que le débordement qu'on a vu a été au-delà de pouvoir être conçu. Mais jamais, je pense, personne n'aurait pu planifier l'ampleur du débordement. »

Quel Dallaire croire?

Donc, selon le Dallaire d’alors, c’était un génocide d’inspiration politique, non pas seulement ethnique, beaucoup de Hutus, beaucoup de Tutsis, et personne n’aurait pu le planifier ainsi. Qui croire? Le Dallaire d’aujourd’hui ou le Dallaire de 1995, fraîchement revenu du Rwanda?

Dans le doute revenons au principe de l’étude de l’histoire : on doit se fier à la version donnée au moment des événements plutôt qu’à celle donnée des années après et qui aura été modifiée par la pression de la politique, des intérêts économiques et la volonté de cacher la vérité.

De la pure fiction

Dans une autre scène sortie tout droit d’un film western, Dallaire refuse d'obéir à un ordre donné au téléphone par l’ancien secrétaire général de l’ONU, Boutros Boutros-Ghali.

Outre le fait Boutros-Ghali n'a probablement jamais parlé avec Dallaire, ce n’est pas l’ancien secrétaire général qui a exigé le retrait des troupes de l’ONU, mais plutôt Washington et Londres qui l’ont exigé.

Voici comment Boutros-Ghali a expliqué cette décision : « le génocide rwandais est à 100 % la responsabilité des Américains. (…) Les États-Unis avec l’appui énergique de la Grande Bretagne ont tout fait pour empêcher la mise en place au Rwanda d’une force des Nations Unies, et ils y sont parvenus. »

Qui plus est, dans la même émission au Point, le 14 septembre 1994, Roméo Dallaire s’est vanté d’avoir participé à la décision de retirer les troupes de l’ONU et même de l’avoir recommandé. Des documents signés de sa main le confirment aussi. Cette scène de l’homme du terrain qui envoie promener le technocrate dans son bureau feutré de New York n’est que de la pure fiction.

Un général de salon

Le film contient tellement d’images et de situations caricaturales qu’on a le goût de rire, mais vu la gravité du drame, on rit jaune. L’attaque en règle contre la France et du même acabit. Dallaire accuse la France de tous les maux, alors que dans d’autres documents signés de sa main, notamment du 4 juillet 1994, il félicite la France et les autres pays qui ont participé à l’Opération humanitaire Turquoise sanctionnée par l’ONU, sans laquelle les pertes humaines auraient été beaucoup plus nombreuses.

Lors d’un colloque à Paris le 20 octobre, le général français Jean-Claude Lafourcade qui a dirigé l’Opération Turquoise au Rwanda et au Congo en 1994 n’a pas ménagé ses mots en décrivant le sénateur Roméo Dallaire : « Roméo Dallaire était un général de salon. Je me suis vite aperçu de sa partialité en faveur du FPR…. Je tiens à signalé son incompétence. »

Bref, le film est une hagiographie autobiographique ou, en d’autre mots, la vie d’un saint, écrite par le saint lui-même. Il a été réalisé pour faire de Roméo Dallaire, un héros international, mais au Canada seulement. Considérant la position favorable à la guerre en Afghanistan du sénateur Dallaire, on peut supposer que son film vise aussi à faire accepter cette guerre par la population québécoise qui continue à s’y opposer.

Quand est-ce que nos médias vont reconnaître qu’ils se laissent berner et qu’ils nous bernent?

Lien:
Pour entendre la critique de Robin Philpot sur les ondes de CIBL 101,5, cliquez ici