« En Angleterre, les infirmières veulent revenir au secteur public. Elles avaient trouvé alléchant d’aller au secteur privé. Mais leur salaire a diminué de 11% en trois ans. » Voilà une des leçons que Lina Bonamie, la présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), rapporte de sa participation au congrès de l’Internationale des services publics qui s’est tenu à Vienne en Autriche, du 24 au 28 septembre.
« L’atelier sur l’Angleterre était fort couru, nous dit-elle, particulièrement pour ceux oeuvrant dans le domaine de la santé. Comme cela est en train de se passer ici, les agences privées ont servi de fer de lance à la privatisation. Mais les conditions ont radicalement changé en quelques années. »
Une offensive mondiale généralisée
Lina Bonamie raconte que le gouvernement garantissait les fonds de retraite des infirmières qui passaient au privé, mais que les nouvelles infirmières qui s’inscrivent maintenant au privé n’y ont pas droit.
« On a fait miroiter une diminution des listes d’attente avec les partenariats public-privé mais, après cinq ans, on constate que les listes s’allongent tant au privé qu’au public. On n’a rien réglé », a-t-elle appris.
« La situation est similaire au Nicaragua, enchaîne-t-elle. Avec la privatisation, on a constaté une détérioration importante des indicateurs de santé, comme le taux de mortalité infantile. On veut revenir au public. »
Ces deux exemples illustrent bien ce que la délégation québécoise a entendu au congrès de l’Internationale des services publics où des représentants de 120 pays étaient présents. « Partout, c’est une offensive généralisée contre les services publics. Dans certains pays, on commence par vouloir privatiser l’eau. Dans d’autres, c’est la santé qui est dans le collimateur. »
« Mais, selon elle, partout, le pattern est le même. On fait mauvaise presse aux services publics pour que la privatisation apparaisse comme la solution. »
Castonguay veut le ticket modérateur
La FIQ a rencontré le Groupe de travail de Claude Castonguay dont le mandat est de proposer des voies pour la privatisation du réseau de la santé. « On connaissait le mandat du comité et on a bien vu la tangente qu’il prend, nous confie Lina Bonamie. Mais on a quand même proposé des alternatives. »
« On a insisté particulièrement sur le rôle des compagnies pharmaceutiques. En deux ans et demie, nos salaires ont augmenté d’à peine 2% alors que le coût des produits pharmaceutiques a grimpé de 205% ! On a plaidé pour la diminution de la durée des brevets des médicaments. M. Castonguay nous a ressorti l’argument usé que les entreprises vont quitter le Québec », raconte la présidente de la FIQ.
Un autre sujet majeur abordé lors de la rencontre avec le Groupe Castonguay : le ticket modérateur. « M. Castonguay a dû reconnaître qu’il n’y avait aucune étude à travers le monde en appui à cette politique mais, de toute évidence, il veut l’essayer quand même. »
« Notre pratique nous apprend que, dans les salles d’urgence, il y a beaucoup plus de gens qui ont trop attendu avant de se présenter que d’abuseurs. La preuve a été faite avec l’assurance-médicaments : quand les gens ont à débourser un montant d’argent, plusieurs retardent l’achat et la prise de leurs médicaments. »
« On a compris à ses propos que M. Castonguay exempterait les gens qui sont à la sécurité du revenu, mais ce sont ceux qui ont des revenus à peine supérieurs, qui sont juste à la marge, qui écoperont », ajoute-t-elle.
Une pénurie maintenue volontairement
Bien évidemment, la FIQ mène le combat contre l’ouverture de cliniques privées comme le projet Rockland MD. « Où le privé va-t-il aller chercher son personnel, ses infirmières sinon dans le public? On va les former dans le public pour le privé !? Est-ce là la solution?! », lance-t-elle.
Les cliniques privées ne vont qu’accentuer le problème criant de la pénurie de personnel. Une pénurie maintenue volontairement, selon elle.
Le rôle clef des agences privées dans le processus de privatisation n’échappe pas à Lina Bonamie. L’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec vient de révéler à cet égard des chiffres troublants. En un an, le secteur privé a vu ses rangs grossir de quelque 350 infirmières. Du coup, ses effectifs ont atteint les 6000 professionnels. Depuis l’an 2000, la proportion d’infirmières travaillant dans le réseau public est passé de 87% à 83%.
« On nous dit que les agences répondent aux besoins des jeunes infirmières qui ne voudraient pas travailler à temps plein, qui voudraient pouvoir choisir leurs horaires, leur lieu de travail. C’est évident, rétorque Lina Bonamie, que si le choix est d’être précaire dans le public ou travailler pour une agence, plusieurs vont choisir l’agence. »
« Les administrations publiques aiment bien, précise-t-elle, engager des gens à statut précaire, en leur offrant deux jours de travail garantis et le reste sur appel. Mais cela a des conséquences désastreuses sur l’organisation du travail. Le nombre d’heures supplémentaires a augmenté de 144% en trois ans. »
Pour contrer la privatisation, offrir des emplois à temps plein
Quelle est alors la solution? « Elle est bien simple, nous dit Lina Bonamie. Il faut offrir des postes à temps complet. Dans le réseau, à peine 47% des infirmières sont à temps complet ! On nous dit que les jeunes ne veulent pas travailler à temps complet. C’est bizarre, mais cela ne concernerait que le personnel de la santé. Dans les autres secteurs d’activité, dans les nouvelles technologies, dans l’industrie, les gens s’arrachent les emplois à temps complet. Pourquoi ce serait différent dans la santé? »
La FIQ, avec ses partenaires du Secrétariat intersyndical des services publics (SISP), va poursuivre cet automne sa campagne contre la privatisation de la santé. « À Vienne, raconte Lina Bonamie, nous avons fait en atelier une présentation fort appréciée par les congressistes des campagnes menées avec nos collègues du Syndicat de la fonction publique du Québec, du Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec, de l'Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux et de la Centrale des syndicats du Québec. Ça nous a stimulé à continuer. »
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