Konrad Yakabuski est journaliste économique sur les questions québécoises au Globe and Mail. Avec des articles toujours bien documentés, des analyses souvent pénétrantes, Yakabuski nous en apprend souvent plus sur les enjeux économiques du Québec que la presse québécoise.
Pourquoi en est-il ainsi? Parce que le monde politique et économique québécois est si petit que ses leaders n’ont pas vraiment besoin des médias pour connaître les dessous des différentes transactions économiques et des décisions politiques. L’information s’échange de vive voix lors de rencontres sociales la fin de semaine au Lac Memphrémagog où ils ont tous des résidences.
Par contre, la classe dirigeante canadienne-anglaise, plus nombreuse et plus dispersée géographiquement, a besoin des journaux pour être informée sur l’état des choses au Québec. D’où la nécessité de journalistes comme Konrad Yakabuski.
Dans l’édition du mois de décembre 2007 du magazine Report on Business, inséré dans le Globe and Mail, Yakabuski nous livre une critique acérée de l’industrie forestière québécoise et canadienne par le biais d’un long reportage sur l’industrie forestière finlandaise. Les principales conclusions méritent d’être connues à l’heure où le Québec cherche des voies de secours pour son industrie forestière en pleine crise.
Trois à zéro pour la Finlande
Première constatation digne de mention, la Finlande compte trois entreprises parmi les dix géants de l’industrie forestière mondiale, contre aucune pour le Canada. Dans son reportage, Yakabuski s’est particulièrement intéressé à la compagnie Stora Enso qui, avec des ventes de 18,3 $ milliards en 2006, se classe au troisième rang mondial.
Le journaliste du Globe and Mail raconte que son intérêt pour ce voyage en Finlande est né de l’achat à Montréal d’une ramette de papier pour son ordinateur. Le logo était celui de Stora Enso. « Je me suis demandé, écrit-il, comment ce papier, acheminé ici par bateau à Dieu sait quel prix, pouvait coûter moins cher qu’un papier produit à quelques heures de Montréal. La différence ne pouvait provenir des coûts de main d’œuvre ou de standards de qualité ou environnementaux inférieurs. Ils sont tous supérieurs en Scandinavie. »
Yakabuski rappelle que le Canada, avec un tiers de la superficie mondiale de la forêt boréale, est toujours le plus grand exportateur de produits forestiers, mais qu’il est en train de perdre graduellement tous ses avantages compétitifs historiques. Notre industrie forestière est devenue l'une des plus improductives comme le révèle l’appréciation du dollar canadien.
Le Canada est aujourd’hui la risée de l’industrie. Il est toujours le plus grand producteur de papier-journal, mais à peine 7% de ses moulins à papier sont dans le quartile le plus productif. Pour la pulpe, c’est un tiers de moulins. Une situation qui concerne surtout le Québec et l’Ontario où se retrouvent la grande majorité de ces entreprises.
Des géants mondiaux
Yakabuski souligne qu’une des trois plus grandes entreprises de construction de machine à papier, soit la firme Metso, est finlandaise. Kemira, la plus grande entreprise de produits chimiques entrant dans la fabrication du papier, est également finlandaise. Au Canada, il n’y pas d’entreprise de fabrication de machine à papier, ni d’entreprise de produits chimiques pour le papier.
La plus grande firme de consultants pour l’industrie forestière, Pöyry, est aussi finlandaise, tout comme l’est Ponsse, l’entreprise qui produit les machines d’abattage dirigés par ordinateur.
Les succès technologiques des entreprises finlandaises sont tels qu’il ne se construit pas une usine de pulpe ou de papier dans le monde sans qu’on ne fasse appel à leur expertise.
Stora Enro est en Amérique latine où elle construit des usines d’une capacité de production d’un million de tonnes. (Les entreprises canadiennes ont une capacité moyenne de 200 000 tonnes pour la pulpe et 280 000 tonnes pour le papier.)
La question qui tue
La question qui est sur toutes les lèvres : Comment Stora Enro – qui opère dans des pays nordiques aux coûts d’exploitation et de taxation élevés, soumis à l’appréciation de l’euro – peut-elle réussir là où les compagnies canadiennes échouent ?
Pourtant, la Finlande est un petit pays d’à peine 5,3 millions d’habitants. Aucun pays au monde ne dépend autant de sa forêt dont les produits représentent 20% de ses exportations. (Au Canada, c’est tout de même 10 %.). Et les arbres ne poussent pas plus vite en Finlande qu’au Canada, le pays étant situé au nord du 60e parallèle.
Comme c’est actuellement le cas au Canada, la forêt finlandaise a, elle aussi, été surexploitée. Mais, depuis quelques décennies, les pratiques de gestion ont été modifiées et la forêt s’est régénérée à un rythme impressionnant.
Il est vrai que près d’un cinquième de l’approvisionnement des usines de papier finlandaises provenait de Russie, mais l’imposition récente de droits importants sur les exportations par la Russie va priver l’industrie finlandaise de cette source d’approvisionnement.
Gestion de la forêt
Au Canada, la forêt est du domaine public et des droits de coupe sont concédés à des compagnies en échange de royalties. En Finlande, près de 60% de la forêt est détenue par environ 400 000 familles. Leurs lots de 35 hectares en moyenne sont petits comparés aux concessions de centaines d’hectares octroyées au Canada aux compagnies forestières.
En Finlande, la coupe et le reboisement sont effectués par des coopératives, des compagnies forestières et des agences gouvernementales. Une récolte d’environ 140 mètres cubes pour un lot de 35 hectares procure un revenu net d’environ 3 460$ au propriétaire, une fois déduits les 28% payés en royalties au gouvernement et le coût du reboisement.
Les forêts finlandaises croissent à un rythme d’environ 100 millions de mètres cubes par année et à peine 60 millions de mètres cubes sont récoltés. Le gouvernement aimerait hausser la récolte à 80 millions de mètres cubes pour compenser la réduction des approvisionnements en provenance de Russie. Mais les propriétaires des lots sont réticents. Ils considèrent la valeur de leur forêt supérieure à de l’argent en banque.
Des fermetures d’usines qui ne se transforment pas en crise
Malgré tout, à cause de la chute des approvisionnements en provenance de Russie, certaines usines ont dû fermer leurs portes et des centaines de travailleurs ont été congédiés. Yakabuski donne l’exemple d’un village où 700 personnes ont perdu leur emploi sans que ce soit une catastrophe, tout le monde s’étant trouvé un nouvel emploi ou s’étant inscrit dans un programme d’éducation.
De telles politiques sont la marque de commerce des pays nordiques. Yakabuski écrit : « Bien que les syndicats soient puissants, leur résistance au changement est atténuée par le fait qu’ils savent que les ouvriers ne seront pas abandonnés à leur sort par suite de la mondialisation. De plus, les habitants des régions rurales sont aussi éduqués que les urbains, résultat d’une politique de longue date qui rend l’université gratuite et accessible à tous. »
Le secret : éducation et innovation
En fait, l’éducation et l’innovation sont au cœur de la stratégie forestière finlandaise. Par exemple, un programme est présentement en cours pour l’application de la technologie à l’industrie forestière afin d’en doubler la valeur au cours des deux prochaines décennies.
La moitié de ces résultats proviendra de produits qui n’existent pas encore, comme les « écrans papier pour les ordinateurs » ou des papiers avec des radio-fréquence d’identification qui permettront de suivre des produits du manufacturier jusqu’au client. Une innovation qui, croit-on, va révolutionner le commerce de détail.
Pendant que les entreprises forestières finlandaises se modernisaient et diversifiaient à l’échelle mondiale leurs opérations, le gouvernement augmentait ses investissements – déjà très élevés selon les standards internationaux – dans l’éducation et la Recherche et le Développement (R & D).
Aujourd’hui, la Finlande se classe au deuxième rang mondial – derrière la Suède – avec 3,5% de son Produit national brut consacré à la R & D. Au Canada, c’est à peine 2%. Dans le secteur forestier, le pourcentage est de 2,5 pour la Finlande et 0,65 pour le Canada.
Et Yakabuski s’empresse d’ajouter qu’une grande partie de ce que les compagnies canadiennes appellent de la R & D ne concerne pas les nouvelles technologies mais des études de marché.
La Finlande, au premier rang
En Finlande, pour chaque 1 000 employés, il y a 16 chercheurs. Au Canada, c’est 6. Proportionnellement à sa population, la Finlande enregistre sept fois plus de brevets d’invention que le Canada. La moitié des ingénieurs forestiers européens fréquentent les universités finlandaises.
Depuis plusieurs années, la Finlande se classe première ou deuxième pour l’Index de la compétitivité. Le Canada est treizième. La Finlande est également en tête de liste pour le pays le moins corrompu.
Elle vient aussi au premier rang pour les revenus des particuliers et l’égalité entre les sexes. Ses étudiants sont au premier rang du classement PISA pour la lecture, les mathématiques et les sciences avec cette caractéristique importante qu’il y a peu de différences entre les écoles.
L’éducation fait partie de l’identité nationale finlandaise et Yakabuski cite le ministre du Commerce et de l’Industrie qui donne l’exemple de régions éloignées qui ont jusqu’à trois campus post-secondaires et de ce village de 88 000 habitants dont 36 000 sont étudiants.
La croissance économique de la Finlande est supérieure à la plupart des pays développés. Le gouvernement enregistre des surplus budgétaires, malgré un système de sécurité sociale qui protège les gens du berceau au tombeau. Le taux de chômage est de 6%.
Une politique de subventions originale
Le gouvernement n’accorde pas de subventions aux entreprises autres que celles pour la Recherche et le Développement. Près de 70% de ces dépenses en R&D sont financées par les entreprises elles-mêmes. C’est à peine la moitié au Canada.
Pour se qualifier pour les 30% de dépenses en R&D d’origine gouvernementale, les entreprises doivent faire cause commune avec les autres entreprises du secteur. Contrairement au Canada et aux États-Unis où les subventions sont accordées sous forme de déductions fiscales pour des recherches que les entreprises mènent de façon indépendante, en Finlande celles-ci doivent participer à des programmes gouvernementaux.
Un exemple pour le Québec
La Finlande est un petit pays nordique moins populeux que le Québec. Il a réussi à se tailler cette place de choix dans le concert des nations comme pays indépendant, même s’il était dans l’orbite d’une super-puissance, hier l’Union soviétique, aujourd’hui la Russie. Son exemple devrait nous inspirer à plus d’un égard.
Sur la question de la forêt, la Finlande nous prouve qu’il y a des solutions à la crise actuelle. Mais, ce sont des solutions à long terme qui demandent une intervention gouvernementale massive. Une intervention qui serait facilitée si le Québec était indépendant, le Canada devant définir sa politique forestière à partir d’intérêts souvent divergents de la production forestière du Québec et de la Colombie-britannique.
En fait, le reportage de Yakabuski démontre plutôt l’absence de politique forestière au Canada où on a laissé les entreprises, en majorité étrangères, pratiquer une politique de pillage caractéristique de l’exploitation du tiers-monde.
Enfin, à ceux qui pensent que la cause de la forêt est une cause perdue et qu’il faudrait plutôt se tourner vers des produits de haute technologie, répondons avec Konrad Yakabuski que l’un n’exclut pas l’autre. Nokia, la plus importante firme de production de cellulaires n’est-elle pas finlandaise ?
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