Gaspésie : l'illégalité plutôt que l'infopauvreté

2008/01/08 | Par Camille Beaulieu

«Fini l’infopauvreté, il faut prendre aux riches pour donner aux pauvres !»

Le site Internet de la municipalité de Marsoui clame depuis quelques jours que le conseil municipal de ce bourg de 350 habitants près de Ste-Anne-des-Monts vient d’ouvrir les hostilités contre les profiteurs, Télus en l’occurrence, et les décideurs régionaux qui la cantonnent depuis des années à la basse vitesse Internet alors que le reste de la planète ne jure que par les communications en temps réel.

Des municipalités des MRC de Haute-Gaspésie et d’Antoine-Labelle lui ont vite emboîté le pas : La Martre (200 habitants) et Mont-Louis (1400 habitants) ont elles aussi décidé, lundi dernier, l’implantation de réseaux sans fil (WiFi) de distribution du signal Internet haute vitesse dans tous les foyers à partir du signal large bande reçu à la municipalité.

Et si la chose est illégale on va faire avec, conclut-on.

« Télus réclamait un minimum de 100 branchements domiciliaires pour implanter la haute vitesse chez nous, explique Nancy Leclerc, directrice générale de la municipalité de Marsoui. C’est une exigence irréaliste dans une municipalité comptant à peine 150 domiciles. »

Marsoui distribuera tout de même le signal gratuitement à tous les Marsouillais, histoire d’éviter toute accusation de concurrence déloyale en provenance de Télus.

LES CONDITIONS INACCEPTABLES DE TÉLUS

Propriété de la Conférence régionale des élus (CRÉ) de Gaspésie-Iles-de-la-Madeleine, d’institutions d’enseignement et de développement, le Réseau collectif (qui a été financé par les programmes fédéral Large bande, provincial Villages branchés et une quote-part régionale) ne dessert en principe que les institutions d’enseignement et les services administratifs.

« Nous verrons bien si c’est illégal de desservir les citoyens, analyse Renée Gasse, conseillère et directrice du comité de développement Marsoui qui assume le coût des équipements vers les domiciles. Nous avons payé ce réseau, et c’est le seul moyen pour nous d’avoir la haute vitesse. »

Même son de cloche dans les villages voisins. « On reçoit beaucoup de nouveaux arrivants à La Martre, dit le maire Raymond Saint-Pierre. La haute vitesse est essentielle pour les garder. »

« Les conditions de Télus sont irrecevables, renchérit le maire de Mont-Louis, Paul Hébert Bernatchez. On a donc branché des commerces qui seraient disparus sans la haute vitesse. On va maintenant continuer avec les domiciles. Quand c’est gratuit, paraît-il, ça n’est pas illégal ! »

Ces bourgs comptent aussi une population estivale qui compose moins facilement avec la basse vitesse, à des années lumières du service dont elle dispose en ville.

UN APPEL À LA FRONDE GÉNÉRALISÉE

Les émules gaspésiens de Robin des bois ont aussi lancé un appel à la fronde généralisée, espérant créer un bloc de petites municipalités capables de contrer une éventuelle riposte de Télus, de la CRÉ ou des responsables du réseau collectif.

La CRÉ et le réseau collectif ne voient en effet pas cette initiative d’un œil serein: « On n’est pas un fournisseur d’accès Internet, précise le gestionnaire du réseau collectif, Régis Roy. Ça créerait un précédent. »

Bref, la CRÉ et le réseau collectif ont riposté, le soir du 9 janvier, avec un projet de couverture Internet haute vitesse pour toutes les municipalités gaspésiennes actuellement dépourvues.

Un investissement de 11 millions de dollars pour une nouvelle fibre optique qui permettrait paraît-il d’acheminer le signal Internet haute vitesse partout, et de pallier certaines déficiences de la couverture de la téléphonie cellulaire et de la téléphonie IP dans cette région.

« Pourquoi ne nous en ont-ils pas parlé avant ! S’interroge Francis Bernatchez du comité de développement Marsoui.. On est sceptiques ! »

Le projet dévoilé hier mettrait à tout le moins un an avant de se concrétiser, de sorte que Marsoui réclamera certainement une solution temporaire. Une solution qui risque fort de ressembler au branchement des domiciles particuliers au réseau collectif.

Ce branchement, d’ailleurs, ont reconnu hier les porte-parole du réseau ne serait en aucune façon illégal…tout au plus non conforme à la mission première du réseau institutionnel.

Curieusement, des municipalités de la MRC de Papineau à l’autre extrémité du Québec : Lochaber et Lochaber-ouoest, Notre-Dame-de-la-Paix, Montpellier, etc. se sont récemment branchées au réseau collectif ( institutionnel) avec l’aval, l’appui même, de leur MRC, de l’aveu même du directeur général Ghyslain Ménard.

L'EXEMPLE DE NOUVELLE

Déjà, la municipalité de Nouvelle dans la MRC d’Avigon loue un accès Internet à Télus qu’elle redistribue ensuite à ses administrés à partir du bureau municipal. Le financement de ce projet a été assuré par le truchement d’un projet pilote provincial et d’un don de la Caisse populaire de Tracardièche.

Un projet difficilement transposable partout ailleurs en Gaspésie. On comprend mal aussi à quel titre Télus, qui n’est en principe que partenaire technologique du réseau collectif gaspésien, percevrait un loyer comme fournisseur du signal du réseau collectif alimentant le bureau municipal.

Si elle achemine elle-même l’accès Internet, la compagnie n’a jusqu’ici jamais démordu de son exigence minimale de 100 branchements par village.

LE QUÉBEC A RATÉ LE BATEAU DE LA HAUTE VITESSE

Pendant ce temps, une entreprise du Nouveau-Brunswick tire les marrons du feu et enregistre un nombre croissant d’abonnés partout au Québec. Cette entreprise offre la moyenne et la haute vitesse Internet en secteurs ruraux partout au Canada.

L’investissement est élevé : 700$ d’équipements et de frais d’installation. Le tarif mensuel passe de 55$ pour un demi Mégabit, à 90$ pour un Mégabit, jusqu’à 250$ par mois. Le forfait de base, un demi MB par seconde pour 55$, est tout de même vingt fois plus rapide et à peine plus cher que le tortillard par modem téléphonique imposé depuis des années aux populations rurales par des entreprises comme Télébec ou Télus.

Les imprécisions, voire les contradictions des programmes gouvernementaux Large bande et Villages branchés, la résistance opiniâtre des compagnies de téléphone et le laisser-faire des décideurs régionaux ont gelé l’évolution de l’Internet en milieux ruraux au Québec depuis au moins une dizaine d’années.

La haute vitesse Internet, cette avancée technologique majeure, a d’abord favorisé l’éclosion de nombreux petits ou moyens serveurs dans toutes les régions rurales. La plupart ont fini par céder devant la concurrence, les manœuvres en sous-main et l’indifférence des développeurs régionaux.

Divisés, les Québécois ont tourné en rond, les populations se sont lassées d’attendre un service toujours plus incertain. C’est ainsi que l’Internet haute vitesse risque de devenir tout bonnement la rampe de lancement d’une nouvelle méga entreprise canadienne basée au Nouveau-Brunswick.