En début d’année, certains médias ont fait écho à une étude du Centre canadien de politiques alternatives (CCPA) sur le salaire des patrons au Canada. Selon le CCPA, le salaire moyen des 100 présidents-directeurs généraux les mieux payés au Canada est 218 fois supérieure au salaire moyen d'un travailleur canadien.
Autrement dit, ces patrons gagnent l'équivalent du salaire moyen d'un travailleur en neuf heures et 33 minutes.
Dix ans plus tôt, le ratio était deux fois moindre (104 fois). Au cours de cette période, la rémunération moyenne a fait un bond de 146 %, alors que le salaire moyen d'un travailleur canadien n'a augmenté que de 18 %.
L'éloge de la richesse
Le journal La Presse – dont le mandat est de faire « l’éloge de la richesse » - n’allait pas laisser ces données corrompre l’esprit de ses lecteurs sans réagir. Le 7 janvier, le journal publie une « réplique » de l’ineffable Marcel Boyer, vice-président et économiste en chef de l’Institut économique de Montréal (IEDM), sous le titre « Des inégalités temporaires » !
Marcel Boyer écrit qu’« il faut être prudent avant de s'offusquer qu'un chef d'entreprise soit bien payé », qu’il « faut faire une distinction entre le court terme et le long terme dans la création de richesse » et « qu’il existe un niveau d'inégalité dans la répartition des revenus ou de la richesse qui favorise le mieux-être de tous ».
En somme, il invite les lecteurs de La Presse à la prudence, à la patience et à la résignation car c’est là que résiderait le secret du bonheur.
Les ultra riches partent avec la caisse
Il est heureux que d’autres médias ne se contentent pas de faire appel à des économistes de pacotille au service du grand capital pour traiter ces questions. (L’IEDM est financé par le patronat et son conseil d’administration est présidé par Hélène Desmarais de Power Corporation).
Ainsi, le Globe and Mail publiait le 7 janvier un essai sur l’inégalité des revenus de Peter J. Nicholson, président du Council of Canadian Academies.
L’auteur analyse des données récemment rendues publiques par Statistique Canada selon lesquelles le revenu moyen des Canadiens était le même en 2004 qu’en 1982 alors que la croissance économique per capita a doublé au cours de la même période.
Peter J. Nicholson trace un intéressant parallèle avec la situation aux États-Unis. Il rappelle qu’au cours des trente années qui ont suivi la Deuxième guerre mondiale (les « trente glorieuses »), le revenu moyen des travailleurs aux États-Unis a suivi une courbe de croissance similaire à celle de l’économie générale.
Les choses ont changé abruptement à partir de 1973. Entre 1975 et 2005, le revenu médian des familles américaines a augmenté de seulement 28% comparativement à 86% pour l’économie en général calculée en per capita.
Cependant, au cours de la même période, les revenus du 1% au haut de la pyramide ont augmenté de 160%. Plus encore, les revenus du 10% le plus riche de ce 1% ont enregistré une hausse de 350%. Autrement dit, ce sont les ultra riches qui ont le plus profité de la croissance économique. En trente ans, leurs revenus en termes réels sont passé d’une moyenne de 800 00 $ à 3,6 millions $.
Une curieuse absence
Peter J. Nicholson se réfère ensuite à une étude des professeurs Michael Veall de l’Université McMaster et d’Emmanuel Saez de l’Université de Californie qui trace l’évolution de la proportion des revenus (avant impôts, transferts de paiements et gains en capitaux) accaparée par le 1% le plus riche aux États-Unis et au Canada entre 1920 et 2000.
Première constatation, les courbes américaine et canadienne sont comparables. Elles se superposent pour la majeure partie de la période étudiée. Mais après avoir fléchie au cours de la période 1945-1975, la part des revenus accaparée par les ultra riches est en progression constante depuis et rejoint les sommets des années 1920 alors qu'aux États-Unis à peine 30 hommmes (les Rockfeller, Vanderbilt, Carnegie, etc) s'appropriaient 5% des revenus.
Peter J. Nicholson s’interroge sur « la curieuse absence de lutte de classe », malgré cet écart grandissant entre les pauvres et les riches. Comment se fait-il que les travailleurs n’aient pas cherché à tirer meilleur profit de la croissance économique?
Des explications
Trois théories sont généralement avancées pour expliquer le phénomène, relate-t-il. Premièrement, le déclin du taux de syndicalisation – particulièrement aux États-Unis – réduit le pouvoir de négociation des travailleurs.
Deuxièmement, la libéralisation du commerce et la mondialisation ont entraîné la délocalisation des entreprises vers des pays à bas salaires et l’augmentation de l’immigration dans les pays avancés.
Enfin, les développements technologiques ont réduit les qualifications nécessaires pour occuper plusieurs emplois, réduisant d’autant les salaires.
Mais cela n’explique pas tout, nous dit Nicholson. Selon lui, le fait que le groupe des ultra riches soit très restreint le soustrait au regard de la masse.
De plus, la chute des prix de produits comme les téléviseurs à écran plat, les cellulaires et les voyages a contribué à masquer les inégalités de revenus.
S’ajoute évidemment à cela l’augmentation du crédit à la consommation et du crédit immobilier qui a laissé une fausse impression de prospérité.
Un réveil brutal en vue
Mais la réalité est en train de nous rattraper. Partout, à travers le monde, les institutions bancaires sont passées de l'euphorie à la panique et cherchent comment se sortir de la crise des « subprimes » en refilant la facture aux travailleurs.
Pour résumer la situation, le Canard enchaîné cite l’éditorialiste du Financial Times : « La finance moderne se réduit à ôter (les crédits) des épaules de ceux qui sont capables de les porter (les banques) pour les mettre sur les épaules de ceux qui sont incapables de les comprendre ».
Au Québec, nous avons cependant la chance de pouvoir compter sur La Presse et l’Institut économique de Montréal pour nous aider à comprendre !
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