Quel est l’état du nationalisme ? Quel est l’état du mouvement national ? Constatons d’abord un tournant majeur avec le retour attendu du « Nous ». Cependant, comme toujours avec la question nationale, rien ne sera simple.
En fait, le virage représente un défi extraordinairement important pour les forces progressistes, car la droite, poussée par l’air du temps, est en train de s’y engouffrer allègrement comme en témoigne l’accueil que certains milieux nationalistes réservent à la publication de La dénationalisation tranquille de Mathieu Bock-Côté.
Un coup fatal porté au nationalisme civique
L’échec retentissant lors du dernier scrutin du Parti Québécois d’André Boisclair et les succès de l’Action démocratique de Mario Dumont ont porté un coup fatal aux partisans du nationalisme civique et ont contribué à la réhabilitation d’un nationalisme retrouvant ses racines linguistique, culturelle et nationale.
Le nationalisme civique incarnait la réaction d’un important courant nationaliste à la déclaration de Jacques Parizeau le soir du référendum sur les « votes ethniques » et aux propos de Yves Michaud devant la Commission Larose sur le vote ethnique de la communauté juive.
Les promoteurs du nationalisme civique ont présenté leurs conceptions dans un manifeste paru dans Le Devoir du 9 janvier 2001, signé par quinze personnes, se présentant comme des jeunes de moins de 35 ans rassemblés autour d’André Boisclair, et endossé une semaine plus tard par plus de mille personnes.
Intitulé Pour en finir avec l’affaire Michaud – Le temps est venu de remettre en question le nationalisme canadien-français, les signataires, se présentant comme des « modernistes », opposaient à la nation « ethnique » ce qu’ils appelaient « la nation politique animée par l’idée que la nation est fondée sur l’association démocratique des citoyens dans un État donné ». Ce nationalisme « nouveau », rapidement qualifié par les médias de « nationalisme civique et inclusif » reposait, écrivait-on, sur « la volonté des individus de la collectivité plutôt que sur les déterminants ethniques » et nous permettait « de ne plus être prisonniers de la question identitaire ».
Une telle approche, qui s’appuyait, selon les signataires du manifeste, avant tout sur « la Charte des droits et libertés de la personne » du Québec, permettait un « dialogue ouvert » de tous les citoyens, « peu importe leur origine ». On pourrait ainsi, affirmait-on, « déethniser » le débat, et mettre de côté « l’attitude de victime et chasser l’intolérance » envers les autres Québécois.
Quelques mois plus tard, les mêmes concepts se retrouvaient dans les rapports préliminaire et final de la Commission Larose. Les commissaires nous invitaient « à rompre définitivement avec l’approche historique canadienne qui divise l’identité québécoise suivant une ligne ethnique : la canadienne-française et la canadienne-anglaise ».
Nous avons été parmi les premiers à critiquer cette approche. D’abord dans un texte paru immédiatement après le Manifeste des « civiques » et intitulé « Le nationalisme civique, cheval de Troie de la mondialisation ». Le texte a été reproduit dans le tome 2 des Grands textes indépendantistes. (Typo 2004).
Puis, nous avons à nouveau abordé le sujet dans Larose n’est pas Larousse (Éditions Trois-Pistoles, 2002), un recueil d’articles consacrés à la critique de la Commission Larose.
Enfin, nous sommes revenu sur la question de façon beaucoup plus élaborée dans « Sans nous qui est Québécois? », un dossier paru dans L’Apostrophe (automne 2002), la revue de l’aut’journal. Nous avons poursuivi cette critique lors de la course à la chefferie du Parti Québécois où nous avons été candidat.
Une critique commune du nationalisme civique
Cependant, notre critique du « nationalisme civique » est tombé un peu à plat parce qu’elle allait à contre-courant des idées dominantes à ce moment-là dans le mouvement nationaliste et dans la société en général. La déroute électorale des partisans du nationalisme civique avec André Boisclair à leur tête allait complètement chambouler le paysage politique et l’ouvrage de Mathieu Bock-Côté a l’avantage de paraître au bon moment.
Nous partageons l’essentiel des critiques du nationalisme civique qu’on retrouve dans La dénationalisation tranquille. La critique du « chartisme », de l’approche habermassienne, du multiculturalisme, nous l’avions déjà formulée dans les ouvrages précités.
Dans son livre, Mathieu Bock-Côté cite d’ailleurs en l’endossant notre définition de la nation québécoise, c’est-à-dire « une communauté historiquement constituée, puisant ses origines en Nouvelle-France et ayant assimilé au cours des siècles des gens de différentes origines. Une nation, écrivions-nous, n’est pas un phénomène éphémère, mais bien le résultat de relations durables et régulières résultant d’une vie commune de génération en génération. »
Nous sommes également d’accord avec Mathieu Bock-Côté pour voir dans la floraison des recherches en sciences sociales sur les « identités » (femmes, jeunes, gays et lesbiennes, minorités ethniques) et leur transposition au plan politique, avec l’utilisation des chartes des droits, une offensive contre le concept de nation.
Mais il n’y a pas que le concept de nation qui s’est retrouvé dans l’angle de tir des chartistes dans cette « cultural war ». Le concept de classe sociale et plus particulièrement celui de classe ouvrière a également fait l’objet de leurs feux croisés.
Mathieu Bock-Côté n’est pas sans le savoir. Il cite Marc Crapez qui note que « les recherches d’histoire sociale portant sur le mouvement ouvrier se sont d’ailleurs brutalement taries au profit de thèses centrées sur des problèmes d’exclusion ou de déviance ».
Mais Bock-Côté s’empresse de l’ignorer. Plus encore, il cherche à attribuer à la gauche cette négation de la question nationale. Cela n’est pas fait sans arrière-pensée. En fait, Mathieu Bock-Côté se sert de sa critique du nationalisme civique pour introduire ses conceptions, son programme et sa stratégie de droite. C’est là que nos points de vue divergent fondamentalement.
Une association erronée : nationalisme civique et social-démocratie
Mathieu Bock-Côté essaie d’associer le nationalisme civique à la gauche. Que des auteurs de la gauche « post-marxiste » comme Étienne Balibar ou anti-marxiste comme Alain Touraine se soient faits les promoteurs de conceptions anti-nationales et anti-classe ouvrière est bien connu.
Que Bock-Côté, s’appuyant sur des auteurs comme John Fonte, réduise le « schème marxiste fondamental » à de simples rapports de domination entre groupes dominants et groupes dominés est une pure mystification qui ne fait qu’illustrer leur compréhension caricaturale du marxisme.
Avec ces tours de passe-passe, Mathieu Bock-Côté essaie de peindre André Boisclair comme un chef de fil du progressisme. La matière sur laquelle s’appuyer est mince et Bock-Côté ne peut que citer la déclaration paniquée de fin de campagne de Boisclair dans laquelle il appelait « les progressistes, les féministes, les écologistes et les altermondialistes » à rejoindre le Parti Québécois.
Mathieu Bock-Côté est mieux inspiré quand il trouve une affiliation entre Boisclair et Anthony Giddens, le politicologue attitré du Parti travailliste anglais de Tony Blair, qui « posait la question de l’identité québécoise sur le mode d’une alternative : le cosmopolitisme progressiste ou le nationalisme de fermeture ».
Mais le blairisme n’est pas la gauche. Au contraire, la gauche péquiste, regroupée dans le club politique Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre (SPQ Libre), s’en est pris vertement à Boisclair pour ses tentatives de provoquer, comme Tony Blair l’a fait dans le Parti travailliste, une crise et une rupture avec le mouvement syndical.
Le SPQ Libre est monté aux barricades lorsque Boisclair a exprimé son intention, s’il accédait au pouvoir, de « soulager le capital » et de « mettre fin aux dîners bien arrosés avec les chefs syndicaux ».
Le véritable programme de Boisclair a été révélé, au lendemain de l’élection, par son principal conseiller dans un article du magazine L’actualité. Dans ses « 15 propositions pour un Québec fort », Daniel Audet proposait rien de moins que la privatisation d’Hydro-Québec, l’élimination de la fiscalité des entreprises, la légalisation de l’assurance privée en santé et la fin de la sécurité d’emploi dans la fonction publique.
C’est peut-être là un programme acceptable pour ceux qui s’inspirent du « New Labour », mais sûrement pas pour la gauche québécoise.
Il est cependant indéniable qu’une certaine « nouvelle gauche », qualifiée en France de « gauche-caviar », s’est employée au cours des dernières décennies à transformer les lignes de démarcations traditionnelles entre la gauche et la droite.
Être de gauche n’était plus s’identifier au mouvement ouvrier, mais soutenir les droits des minorités identitaires en s’appuyant sur les chartes des droits. C’est ainsi que la richissime et anti-syndicaliste Belinda Stronach est présentée par les médias comme étant « de gauche » parce qu’elle appuie les mariages gays.
Les conceptions chartistes de cette « nouvelle gauche » servent à merveille les visées de Mathieu Bock-Côté. Elles lui permettent de charger à fond contre la gauche et promouvoir ses conceptions de droite.
Il se sent tout à fait autoriser à s’appuyer sur des auteurs de droite comme Louis Pauwels – « l’esprit social a fini par dévorer l’esprit national » – et Samuel P. Huntington, l’auteur du Choc des civilisations et de Who are We ?.
Une conception étroite du nationalisme québécois
Bock-Côté cherche à associer chartisme et social-démocratie, à jumeler les valeurs progressistes du peuple québécois au nationalisme civique. « À l’identité québécoise, on a substitué les “ valeurs québécoises ” », écrit-il avec dérision et il proclame que « l’alliage du nationalisme et du conservatisme est un des plus solides partout en Occident, le Québec n’étant pas ici appelé à faire exception ». (Pour sortir du coma idéologique. Trois constats sur le déclin du souverainisme progressiste, Le Devoir, 4 avril 2007).
Son biais idéologique est manifeste lorsqu’il revisite la Révolution tranquille, qu’il qualifie pourtant d’acte fondateur du nationalisme moderne. Il ne retient de la Révolution tranquille que les lois linguistiques et l’importance du rôle de l’État.
Rien sur les législations favorisant la syndicalisation massive, imposant la sécurité-santé au travail, empêchant l’utilisation de briseurs de grève. Rien sur les dizaines de lois progressistes qui ont rallié le mouvement ouvrier et populaire à la cause indépendantiste.
Mathieu Bock-Côté résume l’inspiration de la Révolution tranquille aux travaux de Maurice Séguin et aux autres historiens de l’École de Montréal. Il ne mentionne que du bout des lèvres l’influence du mouvement des droits civiques des Noirs américains et du mouvement de décolonisation qui balayait alors le monde.
Ce sont pourtant ces deux mouvement qui ont régénéré le vieux mouvement nationaliste québécois. Nègres blancs d’Amérique de Pierre Vallières a inspiré toute une génération de militants parce qu’il traduisait la prise de conscience de son statut d’exploité d’un peuple prolétaire – d’une « classe-ethnie » comme l’appelait Marcel Rioux – qui vivait dans un pays où tous les dirigeants du contremaître en montant étaient anglophones.
Bock-Côté semble ignorer que le livre d’André D’Allemagne, Le colonialisme au Québec, a servi de fondement idéologique au RIN. La biographie de Pierre Bourgault par Jean-François Nadeau en témoigne éloquemment.
Nous aimerions également faire remarquer à Mathieu Bock-Côté que le « Vive le Québec libre » de son héros, le général de Gaulle, est issu du même mouvement de libération nationale.
De Gaulle a libéré avec les forces alliées la France de l’occupation fasciste et a compris le sens du mouvement mondial de son époque en accordant l’indépendance à l’Algérie et aux colonies françaises d’Afrique.
L’année précédant son voyage au Québec, il avait effectué une tournée triomphale des principaux pays d’Amérique latine en attisant le sentiment d’affranchissement à l’égard de la domination américaine.
Petite nation d’un point de vue démographique, le Québec subit toujours l’influence des grands courants idéologiques et politiques mondiaux. La Révolution tranquille en est un exemple patent, tout comme le mouvement des Patriotes de 1837-1838 qui s’inscrivait dans le grand courant des indépendances nationales qui touchait l’Amérique latine et l’Europe.
Que le Québec ne soit pas aujourd’hui à l’abri des bourrasques du conservatisme dominant en Amérique du Nord ne doit pas nous surprendre. Mais ce serait une erreur impardonnable que d’y voir un atout pour notre mouvement de libération.
L’identité de « classe » attaquée comme l’identité nationale
La Révolution tranquille a débarrassé le Québec de ses vieilles structures religieuses d’inspiration féodales et l’a doté d’un État moderne. La Révolution tranquille est le triomphe, plus d’un siècle plus tard, du mouvement des Patriotes. C’est notre 1789, notre révolution démocratique.
Cependant, c’est une révolution incomplète, parce qu’elle n’a pas réussi à affranchir le Québec de la tutelle de l’État fédéral. Cette tâche reste à accomplir et sa réalisation viendrait bouleverser, avec le démantèlement d’un pays du G-8, les structures d’oppression dominantes en Amérique du Nord et serait une source d’inspiration pour les peuples opprimés du continent et d’ailleurs.
La Révolution tranquille n’aurait pas eu lieu sans l’appui militant du mouvement ouvrier et il en ira de même de la conquête de l’indépendance nationale du Québec.
C’est pour cette raison que le mouvement ouvrier et syndical est la cible de prédilection des fédéralistes. Il est la cible d’attaques frontales comme les politiques, les décrets et les lois spéciales du gouvernement Charest, mais aussi de coups plus vicieux qui visent à miner son moral, à attaquer son « identité ».
La campagne de démoralisation n’est pas particulière au Québec. Elle est mondiale. Elle s’appuie sur la dissolution de l’Union soviétique que les capitalistes ont célébré comme une victoire décisive et sans appel sur l’ensemble du mouvement ouvrier international.
C’était la « fin de l’Histoire » ont proclamé ses idéologues. Désormais, le socialisme est discarté, peu importe sa coloration. La social-démocratie n’est tolérée que sous la forme de variantes du « New Labour ».
Comme dans le cas du concept de nation, les idéologues des sciences sociales ont consacré beaucoup d’argent et d’efforts à déconstruire le concept de classe sociale. La classe ouvrière est dissoute à un pole dans sa fonction consommatrice – les classes moyennes – et, à l’autre, dans l’exclusion, la marginalité.
Le plus ironique est que cette disparition annoncée de la classe ouvrière survient au moment où elle n’a jamais été aussi importante numériquement à l’échelle du monde, avec l’industrialisation de la Chine, de l’Inde, du Brésil et de nombreux autres pays dits « émergents ».
Aux États-Unis, la classe ouvrière se retrouve aujourd’hui en grande partie disloquée avec la délocalisation des entreprises dans les États aux législations anti-syndicales du sud ou dans d’autres pays, avec la généralisation de la sous-traitance et le recours systématique aux agences de placement. En trente ans, le taux de syndicalisation a chuté de plus de moitié, passant de plus de 30% à moins de 12%.
Si le Québec a pu préserver un taux de syndicalisation de près de 40%, c’est dû en grande partie à l’importance du secteur public, fortement syndiqué. C’est là une particularité nationale qui devrait réjouir tous ceux qui, comme Mathieu Bock-Côté, défendent la singularité du destin national québécois.
Cet héritage de la Révolution tranquille est aujourd’hui menacé, bien entendu par l’arsenal des législations anti-syndicales, mais plus traîtreusement par la précarisation du travail. Plus de 30% de la main-d’œuvre occupe des emplois atypiques, qui échappent en grande partie aux efforts de syndicalisation.
L’échec de la gauche altermondialiste face à la question nationale
Au plan politique, la mondialisation s’est attaquée aux fondements mêmes des concepts de nation et de classe sociale avec la « Révolution des droits » et son corollaire le triomphe de l’individualisme.
Malheureusement, il faut reconnaître que la gauche n’a pas été à la hauteur du défi posé par la mondialisation. Le triomphe en apparence sans partage de l’impérialisme américain au lendemain de la chute du mur de Berlin a vu réapparaître les vieilles théories du super-impérialisme.
À un monde en apparence totalement dominé par les États-Unis, la gauche a voulu opposer un « autre monde » tout aussi global. À cet impérialisme unique, on ne pouvait, croyait-on, qu’opposer une « révolution mondiale ».
L’appellation « altermondialiste » l’illustre bien. Elle a délogé le terme « internationaliste » dans le discours de la gauche, évacuant sans qu’on y prenne garde le concept de nation.
Le Québec n’a pas échappé à ce phénomène, comme en témoigne le parcours à ce titre exemplaire du plus important mouvement de revendications de la fin du XXe siècle, le mouvement des femmes.
Après la Marche du pain et des roses de 1994, ses dirigeantes ont proposé rien de moins qu’une « marche mondiale » des femmes plutôt que d’inscrire leur mouvement dans le cadre national québécois.
Après ce tour de piste international, elles ont été contraintes de revenir au cadre national d’abord avec Option citoyenne – et plus tard Québec solidaire – mais non sans avoir dispersé dans l’aventure « mondiale » une grande partie de son momentum.
Le reclassement des mouvements altermondialistes dans des cadres nationaux n’est pas particulier au Québec. Il résulte de la prise de conscience du cul-de-sac de la démarche de la « révolution mondiale ».
C’est en bonne partie la conséquence de l’éclatement de la théorie du super-impérialisme. Avec la montée en puissance de la Chine, de la Russie, de l’Inde et de plusieurs autres pays, l’hégémonie américaine est aujourd’hui contestée sur la scène mondiale.
Le développement des luttes d’émancipation des pays d’Amérique latine face au géant américain a aussi offert une nouvelle perspective à la gauche.
Cependant, malgré son insertion récente dans le cadre politique québécois avec Québec solidaire, le mouvement altermondialiste est encore marqué par l’idéologie chartiste, sa base sociale étant en grande partie constituée de groupes identitaires (femmes, gays et lesbiennes, exclus, etc) à la périphérie du mouvement ouvrier proprement dit.
Toujours sous l’emprise de l’idéologie chartiste, le potentiel politique et mobilisateur de la question nationale leur échappe.
Le débat sur les valeurs québécoises
Mathieu Bock-Côté oppose les valeurs progressistes au projet national québécois. Il a tort. Elles sont la chair sur le squelette. Alors que le projet politique des altermondialistes est sans squelette, Bock-Côté ne considère que le squelette.
Ainsi, le formidable potentiel de mobilisation que représente la cause environnementale se dissipera dans la stratosphère s’il ne se structure pas autour de la question nationale.
Le Parti Québécois a amorcé une réflexion essentielle en proposant la réduction de notre dépendance aux produits pétroliers. Le développement logique de cette analyse conduit à la mise en œuvre d’un vaste projet de construction de systèmes de transport en commun urbains et interurbains mus à l’électricité.
Avec son riche potentiel hydro-électrique et éolien, sa production d’aluminium, son expertise en matière de matériel roulant, le Québec pourrait étendre sur l’ensemble de son territoire une vaste toile de lignes de communication et réanimer ses régions périphériques dont certaines sont présentement aux soins palliatifs.
La nationalisation de l’éolien – voté aux deux tiers par un Conseil national du Parti Québécois mais renié le jour même par le « progressiste » André Boisclair – pourrait réactualiser la campagne « Maîtres chez nous » qui a mené la nationalisation de l’électricité et a donné son élan au mouvement souverainiste des années 1960-1970.
Le pacifisme est une autre valeur progressiste québécoise qui peut servir de levier important à la cause nationale, particulièrement dans le contexte de la guerre en Afghanistan où le Canada risque de s’embourber pour de longues années.
Est-il besoin de rappeler que lors de la crise de la conscription en 1917, le député J.N. Francoeur déposa à l’Assemblée législative du Québec une motion qui stipulait que le «Québec serait disposé à accepter la rupture du pacte fédératif de 1867» ?
L’opposition à la guerre en Irak avait créé des conditions extrêmement favorables à l’indépendance du Québec si le Canada était entré en guerre aux côtés des États-unis, avec des manifestations de centaines de milliers de personnes où fraternisaient des Québécoises et des Québécoises de toutes origines ethniques.
Un phénomène semblable, quoique de moins grande ampleur, est survenu lors de la guerre du Liban à l’été 2006. Que ce soit immédiatement après ces événements que les médias aient monté en épingle la question des « accommodements raisonnables » avec pour résultat d’attiser les antagonismes entre la communauté musulmane et les Québécois de souche n’est sans doute pas le fruit du hasard.
Ce n’est pas que Mathieu Bock-Côté sous-estime le pacifisme du peuple québécois. Il le méprise. Il considère qu’il « s’est métamorphosé au cours de l’histoire » et il le qualifie d’« isolationnisme ne considérant plus la politique étrangère que du point de vue de l’humanitarisme onusien ». Une position partagée par André Pratte, l’éditorialiste en chef de La Presse (L’isolationnisme québécois, La Presse, 23 juin 2007).
Qu’un fédéraliste comme André Pratte souhaite que le peuple québécois appuie la politique pro-américaine du gouvernement Harper est compréhensible. Mais qu’est-ce qu’un indépendantiste compte en tirer ? Un appui américain à l’indépendance du Québec ?
Les partisans du libre-échange fondaient de pareils espoirs. Mais le président Clinton est venu remettre les pendules à l’heure dans un célèbre discours en faveur de l’unité canadienne quelques jours avant le référendum de 1995.
La question du pacifisme démontre que les « valeurs progressistes québécoises » n’indiffèrent pas Bock-Côté. Il s’y oppose carrément. Pour Bock-Côté, les succès électoraux de Stephen Harper sont la preuve qu’une « portion significative de notre société ne souscrit aucunement aux “ valeurs québécoises ” que son élite a voulu lui faire accepter de force ».
Après avoir senti « une sympathie des classes moyennes pour le discours des Lucides » et un « désir latent d’un retour aux affaires publiques de Lucien Bouchard » – deux affirmations contredites par les sondages – Bock-Côté décrète qu’il existe au Québec « une majorité de sens commun qui préfère la loi et l’ordre à la complaisance envers les délinquants, qui ne se glorifie pas de ses impôts élevés, qui ne tolère plus l’hégémonie sur l’école d’un pédagogisme débilitant, qui ne supporte pas le ralliement de l’intelligentsia à la vulgate altermondiale-écologiste, qui croit nécessaire de restaurer le mérite individuel contre la systématisation d’une culture de l’irresponsabilité et surtout qui se désole de la faible représentation d’un certain bon sens dans le discours public. » (Harper, un guide pour les souverainistes?, Le Devoir, 28 décembre 2006).
Voilà, ma foi, tout un programme politique ! Bock-Côté le complètera quelques mois plus tard en prônant que le nationalisme se déprenne de son « cul-de-sac progressiste » en teintant de « son essentielle couleur des questions comme la natalité, la famille, l’école, le multiculturalisme et l’immigration »!
La religion, composante essentielle de l’identité québécoise?
Dans un contexte mondial où la lutte pour le socialisme a été déclassée par suite de l’effondrement du bloc soviétique, l’opposition à la mondialisation a pris la forme dans plusieurs pays du fondamentalisme religieux.
À l’impérialisme, on n’oppose plus la promesse d’un monde socialiste, mais un retour en arrière au féodalisme. La roue de l’Histoire fait marche arrière.
Dans son célèbre livre Le Choc des civilisations, l’américain Samuel P. Huntington a avancé l’idée que – l’opposition entre le socialisme et le capitalisme ayant disparu avec la victoire de ce dernier – le monde serait désormais régi par des guerres de religion.
La droite religieuse américaine au pouvoir à Washington avec le président Bush s’est emparée avec enthousiasme de cette idée pour justifier au lendemain du 11 septembre une croisade contre « l’islamo-fascisme », légitimant par le fait même le caractère religieux de l’opposition à l’impérialisme.
Samuel P. Huntington a publié quelques années plus tard un autre volume (Who Are We? The Challenges to America’s National Identity) dont on retrouve l’influence dans La Dénationalisation tranquille de Mathieu Bock-Côté.
Dans ce livre, Huntington critique le cosmopolitisme de l’élite américaine, le « nationalisme civique » basé sur la Constitution et le Bill of Rights; il s’en prend à l’œuvre de déconstruction de la nation menée par les mouvements identitaires (raciaux, ethniques et de genre) et la nouvelle immigration hispanique qui ne se fond pas dans le melting-pot américain comme les immigrations passées. Huntington prône le rétablissement de l’identité américaine avec – ô surprise – la religion comme élément central.
Dans La Dénationalisation tranquille et ses autres textes portés à notre connaissance, nous n’avons pas noté de prises de position de Mathieu Bock-Côté plaçant la religion au cœur de l’identité québécoise.
Mais toutes les valeurs qu’il prône sont les valeurs de la droite religieuse américaine et canadienne-anglaise. Si Bock-Côté n’a pas franchi ce pas de rétablir la religion au cœur de l’identité québécoise, d’autres l’ont fait.
Dans un texte intitulé « Au nom des incommodés » qu’il a fait paraître sur le site Internet du magazine L’actualité, Jean-François Lisée écrit que « La religion, c’est le cœur de l’affaire au Québec, comme sur la planète en 2007 ». Il précise que « la majorité franco-québécoise doit donc réaffirmer ses repères et en établir la prédominance sur ces trois plans : l’histoire, la langue et la religion ».
L’extraordinaire recul historique qu’il nous invite à faire en proposant la religion comme « point de repère » de notre identité est une négation de la Révolution tranquille, du « Nous » laïque du manifeste Option-Québec de René Lévesque.
C’est l’exclusion de la nation québécoise de tous ces immigrants, ces « enfants de la loi 101 » qui, bien que n’étant pas de foi chrétienne, s’intègrent à la majorité francophone. C’est mettre la table pour un affrontement majeur avec certaines populations issues de l’immigration.
Plutôt que se définir mutuellement par nos croyances religieux comme nous y invite Lisée, il faudrait en revenir le plus rapidement possible au principe de nationalité. Plutôt que de qualifier de musulmans les immigrants originaires des pays arabes, comme cela semble être devenu la norme, il faudrait plutôt utiliser comme dénomination leur nationalité d’origine.
L’avènement des nationalités a marqué un progrès considérable dans l’histoire de l’Humanité. Au moment où la mondialisation varlope, efface, dissout les nationalités, ce serait une honte que de participer à cette tragédie en banalisant les identités nationales au profit des identités religieuses.
De toute évidence, un courant de droite est en train de se structurer au sein du mouvement national québécois à la faveur du débat sur l’identité.
Jusqu’ici le Québec a échappé au déferlement de la droite religieuse qui domine la politique américaine et s’est installé au pouvoir à Ottawa avec le gouvernement Harper.
Des forces puissantes sont à l’oeuvre pour mettre fin, comme le réclame Mathieu Bock-Côté, à cette situation d’un « Québec qui serait “ à gauche ” alors que le Canada serait “ à droite ” ».
Que certains voient dans cette adhésion du Québec aux valeurs de la droite religieuse canadienne-anglaise et américaine un prérequis pour l’avènement de l’indépendance nationale a de quoi étonner.
Au moment où le gouvernement Harper reconnaît la « nation québécoise dans un Canada uni », le retour au vieux nationalisme des années antérieures à la Révolution tranquille ne peut être interprété comme une promesse de rupture.
Pour une perspective internationaliste
Cela nous conduit à un dernier commentaire sur La dénationalisation tranquille. Dans sa critique fort pertinente dans son ensemble des positions de Gérard Bouchard, Mathieu Bock-Côté marche à l’occasion dans les traces de Joseph Yvon Thériault, l’auteur de Critique de l’américanité (Québec Amérique).
À notre avis, l’erreur de Gérard Bouchard n’est pas de souligner l’américanité de la nation québécoise, mais de vouloir la présenter comme une nation « normale », semblable aux autres nations « normales » du continent, marginalisant sa singularité de nation opprimée, privée d’indépendance nationale.
Le dessein de Joseph Yvon Thériault par sa critique de l’américanité est de réintégrer la nation québécoise dans le Canada français. En termes politiques, cela signifie dans la « nation québécoise dans un Canada uni » de Stephen Harper.
Pourtant, notre histoire nous apprend que les moments les plus forts de notre lutte de libération sont survenus lorsque nous nous inscrivions dans les grands mouvements d’émancipation ayant cours dans les Amériques.
La Révolution cubaine et le mouvement des droits civiques des Noirs américains ont inspiré les forces responsables de la Révolution tranquille. Papineau et les Patriotes se réclamaient de la Révolution américaine et du mouvement des indépendances des pays latino-américains.
Aujourd’hui, plutôt que de se réclamer de Samuel P. Huntington et de la droite religieuse nord-américaine, nous devrions suivre de près le mouvement d’émancipation en cours en Amérique latine, ainsi que le mouvement hispanophone dans le sud des États-Unis.
Le Premier Mai 2006, des centaines de milliers d’hispanophones ont mené une grève générale et manifesté dans les rues des principales villes du sud-ouest américain pour protester contre les politiques d’immigration de l’administration Bush.
Ce mouvement dans lequel s’entremêlaient les organisations nationalistes et syndicales pour une action commune n’était pas sans rappeler les grandes actions syndicales et sociales des années 1970 au Québec.
D’ailleurs, des commentateurs comme Samuel P. Huntington n’ont pas manqué de tirer la sonnette d’alarme en agitant le spectre d’un « Québec hispanophone » dans le sud des États-Unis.
Soulignant l’importance démographique de la population hispanophone dans les États du sud-ouest, Huntington s’est inquiété que « l’immigration mexicaine ne mène actuellement à une reconquista démographique de territoires que les Américains avaient enlevés au Mexique par la force et ne conduise à leur mexicanisation. »
Ces développements politiques devraient être une source de réjouissances pour le mouvement souverainiste québécois.
Au plan linguistique, il faut désormais cesser de considérer les États-Unis comme un bloc monolithique anglophone et saluer la présence d’une imposante minorité hispanophone qui résiste comme nous à l’anglicisation.
Au plan politique, on ne peut exclure l’exacerbation des contradictions nationales au sein même des États-Unis avec la présence de ce « Québec hispanophone » de la reconquista. C’est un secret de polichinelle qu’une des raisons de l’opposition de Washington à l’indépendance du Québec est l’exemple que cela pourrait constituer pour les États du sud-ouest où la population hispanophone sera bientôt majoritaire.
Au terme de sa vie, le chef patriote Louis-Joseph Papineau entrevoyait la métamorphose de la nationalité québécoise en une identité continentale. Une nouvelle identité qui ne s’appuierait plus sur la nationalité aliénante issue de l’union des deux Canadas, mais sur une « nationalité colombienne » libératrice qui résulterait de la confédération des États des trois Amériques.
Papineau se rapproche alors de l’interaméricanité de Simon Bolívar et annonce même l’idée, une fois l’indépendance acquise, d’une union des peuples des Amériques dans le respect de la souveraineté de chacun d’eux. C’est cette perspective internationaliste que nous devons remettre de l’avant pour la renationalisation de la nation québécoise.
Paru dans L’Action nationale, numéro spécial, 90e anniversaire, Décembre 2007
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