Dans sa conférence donnée lors du 90e anniversaire de l'Action nationale – reproduite dans le numéro spécial de la revue (novembre/décembre 2007) – Jacques Parizeau argumente contre la thèse selon laquelle la souveraineté du Québec n’aurait été que le projet d’une génération. Parizeau rappelle que « pendant longtemps, nous avions été très influencés par tous ces pays de la décolonisation qui devenaient indépendants les uns après les autres », mais enchaîne-t-il « dans le cadre de la mondialisation c’est tout à fait autre chose, car c’est pour d’autres motifs qu’on va voir apparaître la nécessité de l’État souverain. Personne n’était prêt à cela, on aura mis un certain temps à le comprendre mais maintenant c’est saisi, ça y est. » Si les pays ne se définissent plus par leur économie, qu’est-ce qui définit un pays? Parizeau répond : « les pays se définissent par leur culture dans le sens large du terme. » Parizeau en tire la conclusion qui s’impose. « Dans ce sens-là, la souveraineté du Québec n’est pas à contresens de l’Histoire, comme on nous le répète, elle est tout à fait dans le sens de l’Histoire. Chaque peuple veut son pays parce qu’il peut enfin être certain que s’il le gère correctement, il pourra se développer, être riche et organiser ses affaires comme il l’entend. Sur le plan des mentalités, c’est une révolution ». Au nombre des Européens qui tiennent un propos similaire, il faut noter Régis Debray. Pour Debray, « nous habitons une culture, non une technique. Nous habitons une langue, mais nous nous servons d’un Mac. Internet structure le monde comme un réseau, c’est un fait. Mais structurer le réseau comme un monde, c’est une tout autre affaire. Un monde, je veux dire une mémoire partagée, un territoire, une langue commune »
Cependant, après avoir rappelé les grandes étapes de la Révolution tranquille, Parizeau affirme qu’une « nouvelle façon de voir la souveraineté apparaît maintenant dans un contexte complètement différent, dans un cadre politique qui n’a plus beaucoup de rapport avec celui que nous avons connu à nos commencements ».
Il date la césure au référendum de 1995 qui, selon lui, « a marqué la fin, en quelque sorte du rêve d’un génération ».
« Après 1995, précise-t-il, il a fallu un certain temps pour retomber sur nos pieds et commencer à comprendre à quel point le monde qui nous entourait changeait rapidement : la mondialisation remettait en cause l’État que nous avions cherché à construire. »
La mondialisation change tout
Et qu’est-ce qui a changé si fondamentalement ? C’est, selon Parizeau, le fait que « l’économie a cessé de définir les frontières d’un pays ». Dans le cas du Canada, le libre-échange a changé complètement la donne car, rappelle Parizeau, « le Canada, c’était une création économique, un chemin de fer transcontinental, puis un droit de douane ».
Aujourd’hui, à la condition fondamentale « d’appartenir à un grand marché », il n’y a pas de « pays trop petit pour être riche, prospère, et se développer ».
« Dans la mondialisation des échanges, conclut Parizeau, l’économie ne définit plus les pays, ce qui les définit et détermine leur succès, c’est leur capacité à s’y inscrire et à en tirer avantage. »
Les pays se définissent par leur culture
« Si on reconnaît que le facteur-clé, c’est la culture, si on réalise que l’économie n’est pas un obstacle, on comprend mieux ce qui se passe à travers le monde. Il n’y a pas de moins en moins de pays indépendants, il y en a de plus en plus. »
La souveraineté va dans le sens de l’Histoire
« Tous les Québécois n’en sont pas là, reconnaît-il, mais on finira par le réaliser, ici comme un peu partout dans le monde. Il y a des endroits où cela se comprend mieux par la force des choses. En Europe, on ne dit rien d’original quand on dit ce que je viens de dire ».
Chaplin avait tort
Dans un fascicule récemment publié aux Éditions CNRS et intitulé « Un mythe contemporain : le dialogue des civilisations », l’ancien conseiller du président Mitterrand écrit que « le rôle déterminant en dernière instance que le XIXe marxiste prêtait au facteur économique, comme le XXe libéral l’a fait au politique, le facteur culture, qui englobe le religieux, le remplira très probablement dans le siècle qui s’ouvre. Et cela fera de ce dernier, contre toute attente, le siècle des minorités. Le contraire de ce qu’avait prévu Chaplin dans Les Temps modernes où le générique nous montre un troupeau de moutons anonymes allant et venant entre l’usine et la maison ».
Régis Debray y va de considérations particulièrement intéressantes sur la technique et la culture où l’on peut tracer des parallèles avec l’analyse de Parizeau sur l’économie et la culture.
Selon Debray, « le progrès qui a sens précis en matière technique et scientifique, n’a pas le même en matière culturelle. La culture fractionne l’espèce humaine en personnalités non interchangeables – ethnies, peuples et civilisations – alors que la technique l’unit, en rendant nos objets inter-opérables. »
« Les lieux de mémoire et la mémoire des lieux, poursuit Debray, favorisent l’ethnocentrisme; les épidémies de ‘‘dernier modèle’’, téléphone tri-bande, écran plasma ou 4 x 4, alimentent le cosmopolitisme. »
« Leur fonctionnement n’étant pas lié à une terre, langue ou religion particulière, Airbus, satellites et centrales nucléaires sont de parfaits nomades. L’espace des mœurs, des langues et mythes, lui, est autochtone et fortement polarisé. »
« Le code-barres voyage partout, non les caractères d’écriture. Et on unifie plus facilement les marchés que les calendriers, les climatiseurs que les manuels d’histoire. Le temps est infiniment plus difficile à maîtriser que l’espace. »
Un nous se pose en s’opposant à un eux
« L’illusion technocratique était là : un réseau d’autoroutes et de chemins de fer était absolument nécessaire pour faire l’Europe, et absolument insuffisant pour créer un quelconque sentiment d’identité. »
Un autre constat de Debray a une résonance particulière au Québec. « La culture, écrit-il, est un lieu naturel de la confrontation, puisque c’est la forge de l’identité, et qu’il n’y a pas d’identité sans un minimum d’altercation avec un autre que soi. Quoi qu’on en fasse et dise, un Nous se pose en s’opposant à un Eux, comme le moi à un non-moi. »
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