Dans le cadre de leur série de soirées-débats traitant de la relance de la souveraineté, les IPSO se sont réunis le 28 février dernier pour échanger avec messieurs Gilbert Paquette et Claude Bariteau sur le thème des enjeux de la prochaine campagne électorale. Nous vous présentons un résumé synthèse des interventions des deux invités.
L’idée centrale de l’exposé de Gilbert Paquette, professeur à Télé Université, vice-président des IPSO, est bien contenue dans son titre : Une alliance pour une élection sur la nation. . Selon lui, il faut une alliance entre les forces indépendantistes et autonomistes pour des objectifs nationaux bien définis lors de la prochaine élection.
Il souligne en début d’exposé le fait que les huit dernières élections québécoises ont évacué le thème national et que le Parti québécois a gouverné dans un cadre provincial, avec les moyens d’une province. Il propose d’en finir avec cette stratégie du bon gouvernement et de faire porter la prochaine élection sur la souveraineté et sur de vrais pouvoirs.
Ces pouvoirs permettront au gouvernement québécois d’investir dans beaucoup de domaines. Cela est urgent, car il semble qu’actuellement le fédéral a de plus en plus de moyens pour investir des champs de compétences provinciales et ne s’en prive pas.
Paquette continue sa démonstration en déplorant la peur de perdre des élections, peur qui semble, selon lui, paralyser les initiatives de la part des souverainistes. Cette peur aboutit à des élections sans indépendance.
Il souligne également le cas des petites nations en processus de souveraineté : Flandre, Catalogne, Écosse. Chacune d’elles, à des degrés divers, est en recherche d’identité et de pouvoirs nationaux.
Le vice-président des IPSO réfère ensuite à un sondage CROP de 1991 qui montrait que 75 % des Canadiens trouvaient que des pouvoirs spéciaux pour le Québec étaient contraires à la nature même du Canada, mais que 66 % pensaient que si la province décidait de devenir souveraine il faudrait alors s’associer avec elle.
Pour Gilbert Paquette, il faudrait que la prochaine élection soit l’objet d’un débat national en proposant aux Québécois trois options :
— L’accession du Québec à la souveraineté.
— Le rapatriement au Québec d’une liste importante de pouvoirs incluant un seul rapport d’impôt perçu par le Québec.
— Le statu quo constitutionnel.
S’il n’y avait pas d’entente avec le Canada sur le rapatriement de pouvoirs ou sur la souveraineté à la fin d’un délai fixé par l’Assemblée nationale, celle-ci devrait alors autoriser le gouvernement du Québec à agir unilatéralement.
« Il faut lier la question nationale aux projets qui font consensus dans la société, il faut demander un mandat là-dessus», explique-t-il.
D’après le professeur de Télé Université, les Québécois appuient très majoritairement des projets qui visent à rapatrier l’impôt au Québec ou bien d’autres qui consolident l’identité québécoise, sa langue et sa culture; ou d’autres encore qui, de manière générale, accroissent les compétences du Québec dans de nombreux domaines. Toutes choses que veulent les indépendantistes et qui se retrouvent aussi dans le Rapport Allaire cher aux autonomistes et le programme de l’ADQ 2007.
Cela implique donc une certaine coopération avec les autres partis indépendantistes et avec les partis autonomistes. Il faut une convergence entre tous ceux qui veulent rapatrier des pouvoirs d’Ottawa.
Une alliance PQ-ADQ ramènerait le débat au niveau national. Les deux formations ont obtenu près de 60 % des suffrages et les deux tiers des sièges à l’Assemblée nationale. Cela représente un bloc fort face à Ottawa. Advenant le cas où l’ADQ refuse l’alliance, cela démystifierait son autonomisme et pourrait permettre aux souverainistes de faire le plein des votes.
Gilbert Paquette dessine même les jalons de la démarche qu’il propose :
— Avant l’élection, il faudra faire des alliances grâce à une démarche participative, actualiser le projet, mobiliser la population.
— Pendant l’élection, il faudra parler du programme de pays ou d’État autonome et des pouvoirs à rapatrier.
— Après l’élection, le bloc national ainsi élu offrira de négocier « d’égal à égal » avec Ottawa.
Il y aura un référendum de ratification si nécessaire.
Paquette fait le pari que si nous nous présentons devant le fédéral avec des mandants de rapatriement de pouvoir bien définis celui-ci va préférer accorder la souveraineté. Il ne pourra en effet donner au Québec des pouvoirs que n’ont pas les autres provinces.
Claude Bariteau, professeur à l’Université Laval, membre du RIQ
Pour Claude Bariteau, l'idée de placer l'indépendance au cœur de la prochaine campagne électorale revient à faire en sorte que tous les autres enjeux deviennent complémentaires. C'est le point de départ de son exposé constitué de trois parties :
- La première met l'accent sur la nécessité de revoir le paradigme à l'intérieur duquel se sont déployés au Québec des projets d'accession à l'indépendance.
- La deuxième identifie les dossiers les plus importants et les plus mobilisateurs en lien avec l'indépendance.
- La troisième traite du changement structurel qu'implique la création d'un nouvel État indépendant et des modalités pour y parvenir.
1. Hiérarchiser différemment indépendance et nationalisme.
Le professeur de Laval trace un très large portrait de l'évolution des revendications indépendantistes au Québec. Traditionnellement, ces revendications ont découlé de la constitution d'une identité culturellement définie.
Jouant d'une rhétorique pas toujours accessible, monsieur Bariteau nous dit que l'activisme patriotique de ces dernières années a valorisé le recours à l'État provincial du Québec, ainsi que le renforcement du nationalisme culturel et l'activisme souverainiste.
Cette démarche recèle, selon lui, une double ambiguïté : la première de ces ambiguïtés consiste à vouloir assumer les pouvoirs d'un État subordonné à un autre et, en même temps, poser des gestes de souveraineté, dans le but de transformer cet État dépendant en État indépendant.
La deuxième ambiguïté quant à elle réside dans l'idée de vouloir édifier un pays sur la base d'une nation culturellement plutôt que politiquement définie.
Il faut donc changer de cadre.
« Puisque l'objectif est l'indépendance du Québec réalisée dans le respect des règles démocratiques, celui-ci doit primer sur le nationalisme et la démocratie sur le déploiement des gestes de souveraineté... il importe de souder indépendance politique et démocratie et de subordonner la construction nationale à la création de l'État indépendant du Québec, car, avec les pouvoirs d'une province, on ne peut construire qu'une nation dépendante. Il s'agit (…) d'un simple ordonnancement différent des priorités »
2. Identifier les dossiers prioritaires et mobilisateurs
« Faire de l'indépendance l'enjeu des prochaines élections implique donc de proposer la mise en chantier de dossiers qui édifient un pays », explique M. Bariteau.
Il faut en priorité « structurer l'exercice du pouvoir », c'est-à-dire s'assurer que seuls les Québécois assument tous les pouvoirs sur leur territoire. Cela peut comprendre la création d'une armée québécoise, l'établissement de contrôle frontalier, une présence internationale, etc.
Dans le même ordre d'idée, Bariteau propose d'aménager le territoire québécois en réseaux de transport et de communications (aéroport international sur la rive-sud de Montréal, TGV Montréal-New-York, revalorisation du port de Montréal, etc.).
Il faut consolider l'espace public québécois en français, en tenant compte des droits des minorités et en faisant prévaloir des valeurs telles l'égalité des personnes, la primauté des droits individuels et la laïcité. Il faut enfin « québéciser » le développement général de la société québécoise.
3. Procéder en toute légitimité en s'associant sur l'essentiel
Le professeur de Laval insiste beaucoup sur le besoin de légitimité du processus d'accession à l'indépendance. Il mentionne les répercussions qu'entraînerait cette accession chez les autres États de la planète et sur les conventions que ces derniers sont enclins à respecter : conventions liées à différents facteurs, comme la notion de peuple, de respect de certaines obligations de la part de l'État demandeur, de capacité à maintenir l'ordre.
Autre convention qui semble peser lourd dans la reconnaissance internationale : l'accord avec l'État d'origine. Sans cet accord, le processus semble très laborieux.
Quelques pays sont devenus indépendants par référendum. Dans tous les cas, selon Bariteau, il y eut entente entre les parties impliquées sur la question posée, le pourcentage décisionnel et les règles à respecter.
D'autres pays sont devenus indépendants par voie électorale. Il y eut différentes modalités, mais dans tous les cas l'État existant a été impliqué. Sans ça, nous dit Bariteau, il peut y avoir conflit surtout si l'indépendance s'acquiert par décision des parlementaires sans accord majoritaire de la population.
Pour le conférencier, c'est la voie électorale qui s'impose au Québec. Tous les partis indépendantistes doivent faire un pacte et faire de l'indépendance l'enjeu principal de l'élection. Il faudra alors une double majorité (députés et majorité populaire) pour pouvoir réclamer la reconnaissance d'État indépendant.
« Sans cette double majorité, procéder comporte des risques… comme l'objectif est de renverser l'ordre politique établi. Il m'apparaît inconcevable que les députés indépendantistes assument le pouvoir exécutif. Il vaudrait mieux qu'ils se limitent à l'exercice du pouvoir législatif. »
Claude Bariteau pense que seul le Parti québécois peut entreprendre une telle démarche. Si ce parti parvient à rallier toutes les tendances indépendantistes québécoises et à obtenir une double majorité, les démocraties occidentales ne pourront rester insensibles aux demandes de reconnaissance de l'État du Québec.
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