Certains partis politiques ont appuyé récemment l’idée de donner au Québec sa propre Constitution. L’idée fait également son chemin dans les textes et prises de position de différents intervenants. Encore faut-il savoir de quelle Constitution il s’agit, puisqu’il existe au moins trois possibilités.
L’approche minimaliste
La première consiste en une codification de règles de droit existantes, qu’on retrouve par exemple dans la Charte de la langue française, la Charte des droits et libertés et quelques autres lois du Québec. L’Assemblée nationale conférerait une valeur prépondérante à ces dispositions, eu égard aux autres lois du Québec.
Cette approche minimaliste reposerait sur une vision statique de la légalité canadienne. Son principal intérêt serait symbolique. Elle aurait pour effet de confirmer le statut actuel du Québec « within the four corners of the Canadian Constitution ». Elle ne découlerait ni d’une nécessité juridique, ni d’une volonté de faire évoluer ce statut.
La Constitution provisoire du Québec souverain
A l’autre extrême se situe le projet de Constitution provisoire du Québec souverain. Différentes versions d’un tel texte existent dans certains tiroirs. Il s’agit d’un projet appelé à être rendu public et adopté par l’Assemblée nationale à l’occasion d’un référendum sur la souveraineté, et destiné à entrer en vigueur pour une période limitée lors du passage à la souveraineté.
Une Constitution permanente du Québec souverain pourrait ensuite être adoptée dans les années qui suivront la mise en place du nouvel État conformément à un processus élargi et approfondi. Une telle démarche ne semble pas être au goût du jour et présente donc un intérêt limité à court terme.
La voie ouverte par le Renvoi sur la sécession
Entre ces deux pôles se trouve la voie du milieu. Cette voie reposerait sur une vision plus dynamique de la légalité canadienne. Elle proposerait une remise en question de certains aspects de la Constitution canadienne au moyen de la Constitution du Québec en s’appuyant sur la souveraineté populaire sur des questions susceptibles de faire consensus au Québec. C’est la voie ouverte par la Cour suprême du Canada dans le Renvoi sur la sécession du Québec il y dix ans, qui est demeurée inexploitée.
Le Renvoi sur la sécession a une portée plus large que la Loi sur la Clarté, qui en a donné une lecture réductrice qui a été largement acceptée par les médias et qui n’a pas été contrée par les milieux politiques québécois.
Pourtant, le Renvoi admet pour la première fois en droit canadien que la souveraineté populaire peut être la source d’une légalité nouvelle et peut s’imposer aux divers gouvernements et législateurs. Le Renvoi s’applique à toute modification de la Constitution canadienne qui est appuyée par la majorité des Québécois. La Loi sur la Clarté ne s’applique qu’à un référendum sur la souveraineté.
Un référendum qui exprimerait clairement la volonté du peuple québécois favorable à toute modification de la Constitution canadienne entraînerait l’application de l’obligation légale de négocier un amendement constitutionnel allant dans le sens de cette volonté.
Une République du Québec…
Ainsi, un référendum québécois qui approuverait un projet de Constitution du Québec contenant une remise en question de certains aspects de la Constitution canadienne déclencherait l’obligation de négocier en droit canadien qui a été créée par la Cour suprême dans le Renvoi. Il en serait ainsi, par exemple, de la proposition de créer une République du Québec.
L’idée de créer une République québécoise à l’intérieur de la monarchie canadienne n’est pas nouvelle. Elle a été formulée avant la Confédération. Absolument rien ne s’y oppose sur le plan juridique. Au contraire, cette évolution du statut du Québec est maintenant facilitée par le Renvoi sur la sécession.
Pour ceux qui l’ignorent, le chef d’État du Québec est Sa Majesté Elizabeth II, le lieutenant-gouverneur étant son représentant. L’Assemblée nationale et le peuple québécois n’ont jusqu’ici aucun pouvoir sur le choix de leur chef d’État. Cette situation est anormale et doit être corrigée.
…ou une République du Canada
Si le Québec ne prend pas l’initiative de cette réforme, elle lui sera imposée par le Canada qui détournera le projet pour fonder une république canadienne consolidée qui parachèvera la Loi constitutionnelle de 1982.
Le Canada se compare souvent à l’Australie en matière constitutionnelle. Les Constitutions de ces pays se ressemblent à plusieurs égards. L’Australie a tenu un référendum sur l’abolition de la monarchie en 1999. Le projet n’a échoué que parce qu’il était jugé trop timide.
La proposition soumise au peuple australien prévoyait en effet que le président de la République serait désigné par le Parlement. De nombreux républicains ont voté contre ce projet parce qu’ils souhaitaient l’élection du chef de l’Etat au suffrage universel. Selon les sondages, la plupart des Australiens sont favorables à l’abolition de la monarchie et la question devrait refaire surface dans ce pays.
Au Canada, en 2002, 55% des gens auraient indiqué dans un sondage que la reine actuelle devait être le dernier chef d’État britannique au pays. Alors qu’il était ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement Chrétien, John Manley a émis « l’opinion personnelle » que la monarchie devait être abolie. L’an dernier, un officier de l’armée canadienne d’origine irlandaise s’est adressé, sans succès, aux tribunaux pour être exempté des toasts à Sa Majesté.
L’héritage constitutionnel canadien affaibli par le multiculturalisme
Plus fondamentalement, le multiculturalisme canadien a affaibli l’héritage constitutionnel britannique au Canada. La République, comme la Charte des droits, correspondrait davantage à l’esprit du nationalisme canadien contemporain.
D’aucuns rappelleront l’existence de la procédure de modification de la Constitution canadienne mise en place en 1982 qui exige le consentement unanime des dix législatures provinciales pour remplacer la monarchie par une autre institution à la tête de l’État.
Une telle vision statique de la légalité constitutionnelle a bien mal servi le Québec dans le passé. On a vu en 1982 ce que s’accrocher à un droit de veto pouvait signifier. Ceux qui nous servent ce raisonnement sont en retard d’une décennie. Ils ne tiennent pas compte du nouveau droit constitutionnel inauguré par le Renvoi sur la sécession.
Qui prendra l’initiative?
Il est probable que les Québécois voteraient en faveur de l’abolition de la monarchie, que le référendum qui le propose provienne d’Ottawa ou de Québec. Le gouvernement qui prendrait l’initiative et qui remporterait un tel référendum aurait l’avantage de déplacer l’obligation de négocier sur son adversaire. Le poids de l’opinion publique aurait tôt fait de rendre un blocage insoutenable sur le plan politique.
Rappelons que dans le Renvoi la Cour suprême a refusé d’imposer la procédure de modification de 1982 comme étant la seule susceptible de légaliser la sécession du Québec en droit canadien, malgré la demande pressante du Procureur général du Canada.
Elle ouvrait ainsi la réflexion à la recherche d’un moyen de contourner une telle procédure en cas de blocage sur d’autres questions, car cette procédure peut aussi être une camisole de force pour Ottawa.
Le moyen évident qui s’impose est le recours à la souveraineté populaire, dont la légitimité est imparable. René Lévesque souhaitait lui-même que la réforme constitutionnelle de 1982 soit soumise à un référendum. Pierre Trudeau s’est dérobé à cette suggestion.
Ceux qui à Québec ne voient rien venir risquent encore une fois d’être secoués par les événements. Il faut adopter dès maintenant une Constitution du Québec qui proclame la République du Québec, et la faire approuver par référendum.
Le Québec doit reprendre l’initiative sur le plan constitutionnel. L’adoption de la Constitution du Québec par référendum lui donnera une légitimité supérieure à la Constitution canadienne qui a été imposée au Québec, ce qui lui conférera aussi une plus grande capacité d’évolution. La légalité canadienne aura été respectée tout en innovant.
Autrement, le Québec sera à la remorque des événements lorsque prendra fin le règne d’Elizabeth II. Les trois principaux partis politiques auraient alors échoué à défendre et à renforcer notre identité spécifique.
André Binette, avocat
19 février 2008
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