«Il faut s’en tenir à la Règle du droit plutôt que de s’aventurer dans une Youdiail» qu’ils disaient. Et voilà que le petit Kosovo s’y aventure. Et est reconnu.
« Youdiail »: Unilateral declaration of independence (UDI). L’usage de l’acronyme anglais semble ici des plus appropriés tellement nos propres médias sont discrets sur la chose.
Mais pas ceux du ROC. «Qu’un gouvernement séparatiste du Québec ose donc un jour», semblent-ils tous écrire. Puis survint la youdiail des Kosovars et le Canada prend un long mois avant de se décider.
Difficile de se placer en contradiction avec les objectifs du Clarity Bill. Tellement plus facile de suivre Russes, Chinois et Espagnols qui, ayant épines aux pieds appelées Tchétchénie, Tibet et Catalogne, n’aiment pas les youdiails. Finalement, la crise tibétaine a peut-être aidé…
Pour les médias du Québec, sauf bien sûr pour The Gazette, la youdiail est presqu’un sujet tabou. Nos fédéralistes aiment mieux tourner autour du pot. Édito d’André Pratte du 19 février: «Il est franchement renversant de voir les indépendantistes québécois tracer un parallèle entre le Kosovo et le Québec. (…) La multiplication des petits États établis sur des bases ethniques va tout simplement à l’encontre de l’idéal canadien.» Mai, l’idéal canadien, ne s’est-il pas bâti sur des bases «ethniques»?
Les bases ethniques du Canada
Pas du tout ethnique, l’union du Haut et du Bas-Canada de 1840? Elle a été proposée par un Durham qui a bien vu que les Montrealers ne tenaient pas du tout à se faire bosser par des «vaincus».
Pas ethnique l’impunité qu’ont bénéficié les dirigeants de The Gazette suite à leur brûlot du 25 avril 1849 qui a fait que le Parlement a été rasé par les flammes ? C’est pourtant bien«against an excessive power of the French in our political life” que The Gazette a pété les plombs.
Pas du tout ethnique ce cri du cœur: “French Canadianism (is) entirely extinguished” petit bijou épistolaire du 2 juillet 1867 produit par le député George Brown, grand penseur du BNA Act ? (1)
Que dire maintenant d’un «exclusiviste» appelé Clifford Sifton ? Ministre manitobain, il a joué un rôle essentiel dans l’abolition du français dans sa province. Pour le «remercier» d’un si bon coup, Laurier l’intronisa grand chef de l’immigration.
Sifton s’acharnera à contenir une trop grande migration de Québécois vers l’Ouest canadien, mettant plutôt l’accent sur un peuplement par des «Européens». Vif succès : ce sera massivement que les «Canadiens » bifurqueront vers la Nouvelle-Angleterre. Ouf! “Even with the «revanche des berceaux», the West will stay british» .
Un modèle contemporain
Pratte peut toujours nous dire que, pour favoriser un very british we, de tels abus relèvent d’un passé révolu. Et que le «modèle idéal canadien» auquel il se réfère est très contemporain. Hé André, le coup d’État contre le Québec de Trudeau en 82 est très très contemporain.
Voici ce qu’en dit Michael Mandel: «Conçue sous une apparence de protéger les droits humains, la charte avait d’abord comme objectif de réduire les compétences constitutionnelles du Québec, suite à l’accession au pouvoir d’un gouvernement nationaliste, populaire et menaçant les intérêts de la puissante minorité anglophone du Québec et de ses alliés au Canada anglais.» (2)
Cette pesante charge contre PET, on la trouve dans Negotiating with a Sovereign Quebec, un bouquin qui regroupe les textes d’une vingtaine d’universitaires anglo-canadiens et publié en 1992, au lendemain même de l’échec de Meech, un des rares moments où les Québécois semblaient préparés à faire le Grand saut.
Et c’est en ce moment précis qu’une vingtaine d’académiciens rocquiens en profitent pour nous dire que l’histoire qu’on leur a appris à l’école mérite d’être révisée. Et pas à peu près. Roberto Perin nous montre un George Brown excessivement francophobe. De l’avis de l’historien torontois, l’objectif du fondateur du Globe & Mail était clair : «to ghettoize and tribalize the French Canadians» . (3)
Il n’est donc pas nécessaire de lire les trois tomes du Livre noir du Canada pour se convaincre que «l’idéal canadien» d’André Pratte a bien des zones d’ombre. Negociating ne va pas aussi loin que Lester sur les excès qu’ont subis les jeunes autochtones dans les pensionnats. Ni du sort des Canadiens d’ascendance japonaise entre 1941 et 1945. Son objectif est de démontrer que le Canada serait mal venu de se donner en modèle de «pays idéal» afin de ne pas négocier de bonne foi avec un Québec dont la population se serait prononcée pour l’indépendance. Negotiating…, le titre même du livre démontre sans ambigüité l’intention des auteurs. La youdiail n’est pas à l’ordre du jour.
D’autres universitaires anglo-canadiens, et pas les moindres, pensent comme ceux de Negotiating. Tel un Charles Castonguay scandalisé par le fait que les allophones sachant parler anglais soient mieux payés à Montréal que ceux qui, en plus de leur langue maternelle, ne parlent que le français. Telle la regrettée Jane Jacobs, cette urbaniste de renom qui, toute sa vie, a répété jusqu’à plus soif que, devenu souverain, le Québec cessera de n’être qu’un banal satellite de Toronto.
Le Québec, une société qui tourne le dos aux autres? Et qui a engendré un poète de l’envergure d’un Vigneault capable de faire craquer ses auditoires juste en chantant «Entre mes quatre murs de glace/Je mets mon temps et mon espace/À préparer le feu la place/Pour les humains de l’horizon/Et les humains sont de ma race.»
Vous avez raison, André Pratte, le Québec n’est pas le Kosovo. Nos Serbes ne peuvent aucunement prétendre que leur nation a vu le jour en territoire laurentien. Pas plus que les Québécois rêvent d’une Grande Albanie!
Avec tous les amis que le Québec s’est faits dans la gente universitaire canadienne, avec nos talentueux artistes qui se font applaudir partout sur la vaste planète, devenant ainsi nos messagers pour un monde meilleur, plus fraternel et plus égalitaire, comment croire alors que les chants des sirènes du Globe, du National Post et de la Gazette, ou du Clarity Bill du p’tit Stéphane puissent un jour nous arrêter dans notre marche vers la libération? Le Kosovo nous démontre bien que leur youdiail n’est qu’épouvantail.
(1) Roberto Perin, Answering the Québec question: Two centuries of Equivocation, in Negotiating with a Sovereign Québec, edited by Daniel Drache and Roberto Perin, James Latimer & company, Publishers, Toronto, 1992, page 32
(2) Michael Mandel: Sovereignty and the New Constitutionalism in Negotiating, page 217
(3) Roberto Perin, idem.
Cet article est paru dans l'édition d'avril 2008 du journal Le Couac
Du même auteur
2019/06/21 | “Who wants I speak French to her?” |
2018/10/09 | Les Couche-tard versus Tout le monde en parle (6) |
2018/09/28 | Les Couche-tard versus Tout le monde en parle (5) |
2018/09/24 | Les Couche-tard versus Tout le monde en parle (1) |
2018/09/23 | Les Couche-tard versus Tout le monde en parle (4) |