«L’accumulation des richesses est de plus en plus grande, mais le problème, c’est qu’on la partage de moins en moins.» Tel était le propos central de Léo-Paul Lauzon, professeur de comptabilité à l'École des sciences de la gestion de l'UQAM et fondateur de la Chaire d'études socio-économiques de l'UQAM, à l’occasion d’une conférence donnée à des représentants de la FTQ-Construction, jeudi soir dernier.
Photo Léo-Paul Lauzon et Richard Goyette, directeur général adjoint de la FTQ-Construction.
Les gouvernements en perte d’autonomie
Le capitalisme global, c’est la potentielle marchandisation de tout, absolument tout: pétrole, eau, éducation, santé… Les «spéculateurs spécialisés» vont même jusqu’à spéculer sur les denrées alimentaires, générant de facto une crise alimentaire qui devient franchement alarmante. «Nos gouvernements sont complètement inféodés aux grandes entreprises de ce monde… et le patronat mondial n’est pas, pour ainsi dire, tout à fait favorable aux clauses sociales et environnementales», d’entamer le prof Lauzon.
L’univers néo-capitaliste se caractérise par la préséance des affaires sur les droits humains. Le respect de la population et (surtout…) des travailleurs ne figure pas à la liste des priorités.
Les multinationales sont des organisations complexes et multidisciplinaires; elles ont les moyens de leurs ambitions et prennent le bon chemin pour arriver à leurs fins. Véritables ingénieux de la propagande, ils balaient constamment leurs idéaux dans l’espace public: «La concentration médiatique de même que la concentration des intérêts constituent un véritable problème au niveau de l’information; les grands médias québécois sont devenus essentiellement des véhicules de propagande néo-libérale. C’est extrêmement dangereux pour la démocratie», d’ajouter le prof Lauzon.
Les Canadiens, un peuple de colonisés
«Modernisation de l’État, réingénérie, flexibilité… ça signifie dire la même chose: l’état se retire de plus en plus et diminue sa part de responsabilité sociale.» En vérité, cette déresponsabilisation reflète deux choses. D’abord, qu’on élit des gouvernements qui n’ont pas véritablement les intérêts de la population comme objectif.
Ensuite, ça ne fait qu’illustrer le fait que les gouvernements ne jouissent plus d’aucun rapport de force; ils ne sont que les marionnettes des grands possédants de ce monde, s’évertuant à leur mascarade publique.
D’ailleurs, l’Organisation Internationale du Travail sonnait l’alarme dans un rapport, mentionnant que l’État doit intervenir dans la mondialisation, sans quoi, cela représente un risque réel de re-colonisation pour de nombreux pays.
Les riches, créateurs de richesses… Ah oui! Vraiment?
Depuis plus de six ans, année après année, les grandes entreprises affichent des profits records: «Mais ça, on en parle nulle par, ce ne serait pas bon pour l’image publique. Les médias le taisent; de toute façon, ce n’est pas vraiment une nouvelle, non?», ironise Léo-Paul Lauzon.
Selon lui, le nœud du problème réside dans le fait que les profits d’entreprises n’ont jamais été aussi hauts et qu’ils poursuivent leur ascension vertigineuse.
Malgré toute cette création de richesses, l’écart entre les riches et les pauvres au Québec continue de s’accentuer et nos programmes sociaux sont sous-financés. Avec cette excuse, les gouvernements tentent de nous faire avaler que «la privatisation constitue une option intéressante», «qu’on a plus les moyens de nos programmes», etc.
À entendre ces phrases prémâchées, le prof Lauzon s’insurge: «Coudonc, il est où l’argent? La vérité, c’est qu’il est dans les sacoches des entreprises, généralement entre les mains d’intérêts étrangers. On a des gouvernements qui ne se tiennent pas debout et qui les laissent empocher le fric en subventionnant à grands coups de crédits d’impôts sous prétexte qu’ils créent de la richesse! Ben la richesse, ils repartent avec aussi, hein!?»
Alors que de nombreux pays de des Amériques, tels le Mexique et le Vénézuela, tiennent tête aux géants mondiaux de l’industrie pétrolière et nationalisent leur industrie pour produire, garder et répartir leurs propres richesses, au Canada, on privatise allègrement.
«C’est pas des farces! Le Canada est le 6e pays producteur de pétrole au monde, le 3e producteur de gaz naturel au monde, pis nous autres, on privatise toutes nos richesses et on remet cette fortune entre les mains des détenteurs de capitaux de ces multinationales! Ça vaut aussi pour Air Canada, Alcan, Biochem, alouette!», s’indignait le prof Lauzon.
L’allègement fiscal pour les riches
Donc, nos richesses sont détenues par des intérêts étrangers et personne n’en profite ici. Mais, pour «favoriser les investissements étrangers», nos gouvernements accordent une panoplie de mesures d’allègement du fardeau fiscal de ces entreprises.
«Faisons ça clairement, d’expliquer M. Lauzon. Pour le commun des mortels, les salaires sont imposables à 100. Mais les gains en options d’achat d’actions, par exemple, ne sont imposables qu’à 50%. Les riches paient moins d’impôts. Revirez-le de n’importe quel bord, comme vous le voulez, faites dire n’importe quelle niaiserie à n’importe quel chiffre: les riches, au Québec et au Canada, paient moins d’impôt pareil que l’ensemble des travailleurs.»
Il y a une différence entre le revenu fiscal et le revenu économique réel (cette dernière partie n’est pas imposable)… Et ça, c’est seulement pour les revenus déclarés, sans compter les approximatifs 100 milliards de dollars qui se chauffent la couenne dans les paradis fiscaux. «Mais, la création d’une taxe sur la richesse, qui permettrait de normaliser la contribution des riches à l’État, il paraît que ça sonne marxiste au Québec…»
Alors que le Canada baigne en pleine opulence économique, nos programmes sociaux sont on ne peut plus déficitaires, les pauvres de plus en plus pauvres et la classe moyenne s’amenuise… «L’ignorance est le maître de notre exploitation», rappelle le prof Lauzon. La population du Québec dort au gaz: endormie par Loft Story, gazée par Le Banquier. Sensibilisation, conscientisation et responsabilisation… ça rime avec éducation.
Une société en mal de responsabilité sociale
Concentration médiatique, désinformation généralisée, concentration des intérêts économiques, propagande massue… La population est hypnotisée par un faux discours. «On dira bien ce qu’on voudra, mais à force de répéter, le message finit par entrer. Constat: tout le monde gobe que c’est la faute des syndicats qui en demandent trop, qu’on a plus les moyens de nos ambitions, qu’il faut penser au privé comme solution, blablabla… Je répète: coudonc, il est où l’argent?»
Pendant qu’on se décharne sur la place publique et qu’on évite les vrais débats, les véritables concernés empochent des milliards. À quand une commission d’enquête sur les mesures d’allègement fiscal?
À quand un gouvernement responsable qui prendra les mesures nécessaires pour faire cesser la délocalisation de nos richesses et de nos capitaux? Un gouvernement qui fera payer leur juste part aux entreprises établies chez-nous? À quand Pharma Québec? À quand la nationalisation des éoliennes? À quand un vrai projet de société pour le Québec?
Source : FTQ-Construction
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