Tel le capitaine du Titanic qui, faisant fi de la plus élémentaire prudence, lançait son navire à plein régime afin de fracasser le record de traversée, Henri-Paul Rousseau a lancé la Caisse de dépôt et de placement dans le casino financier pour des rendements juteux et rapides. Pendant cinq ans, la Caisse a réalisé un taux de rendement moyen de 12,4%, un des meilleurs des grandes caisses de retraite, et son président quitte aujourd’hui le navire amiral de l’économie québécoise sous les hourras et les bravos de l’élite des affaires pour un poste chez Power Corporation.
Sauf que… dans sa recherche du taux de rendement le plus élevé, la Caisse a acquis 13,2 milliards $ en papier commercial problématique sur les 35 milliards détenus au Canada. C’est beaucoup. C’est énorme. Henri-Paul Rousseau a concocté, avec d’autres banquiers canadiens, un plan de sauvetage mais qui ne fera, s’il est accepté, qu’étaler dans le temps des pertes importantes et qui… émergeront au bilan de son successeur! La Caisse se dirige vers un iceberg, mais le capitaine Rousseau n’est plus à bord.
Moins au Québec qu’en Russie
Pendant que Henri-Paul Rousseau et les dirigeants de la Caisse jouaient au casino avec l’argent des fonds de retraite des travailleuses et des travailleurs, le Québec voyait lui échapper le contrôle de certains de ses plus beaux fleurons, dont l’Alcan, Domtar, Abitibi-Consol sans la moindre intervention de la société d’État.
Arrivé à la tête de la Caisse au lendemain de la transaction de la prise de contrôle de Vidéotron par Quebecor avec l’aide de la société d’État – une transaction décriée parce que le titre de Vidéotron a perdu en un an cinq fois sa valeur – Henri-Paul Rousseau s’est vu confier le mandat de mettre au second plan la contribution de la Caisse au développement économique du Québec et lui donner d’abord mandat de « gérer en recherchant le rendement optimal du capital de ses déposants. »
Ce qu’il fit si bien qu’un journaliste de La Presse a calculé qu’à peine 15,7% de l’actif total des déposants géré par la Caisse était détenu au Québec dont près de la moitié portait exclusivement sur des obligations émises par le gouvernement et des organismes du secteur parapublic. En fait, seulement 8% des actifs de la Caisse sont directement investis dans l’économie du Québec. C’est moins que les investissements de la Caisse en Russie!
Cependant, la Caisse sous la gouverne d’Henri-Paul Rousseau ne négligea pas d’investir dans Power Corporation et ses filiales. Ainsi, la Caisse détenait, au 31 décembre 2007, 4,6 millions d’actions de Power, représentant un investissement de 187,5 millions de dollars. Elle possédait également des titres dans les filiales de Power qui sont liées à Total, soit Corporation Financière Power (212,9 M$), Pargesa (500 000$) et Groupe Bruxelles Lambert (5,4M$). En tout, ce sont 406 MS dans Power et ses sociétés.
Mais le portrait est partiel. Il faudrait, entre autres, ajouter les investissements de la Caisse dans des entreprises où elle vient épauler Power Corporation. Par exemple, la Caisse a une participation de 131 M$ dans la Total, la pétrolière française où on retrouve Paul Desmarais Jr sur son conseil d’administration.
40 millions en primes aux dirigeants
L’économie de casino était payante pour Henri-Paul Rousseau. En 2006, il a doublé sa rémunération, pour atteindre 1,65 million $, avec une prime spéciale de 728 310 $ comme reconnaissance pour « la performance supérieure réalisée par la Caisse ».
Il est intéressant de rappeler que, lorsqu’il avait accédé à la direction de la Caisse de dépôt en mai 2002, l’ancien pdg de la Banque Laurentienne avait accepté une importante diminution de salaire de 1,3 million $ à 500 000 $ en disant : « Dans les motivations d’un travail, il y a le salaire et la rémunération, mais il y a aussi le défi, l’environnement et la capacité de réaliser des choses » (La Presse 30 mai 2007).
Non seulement Henri-Paul Rousseau a-t-il rapidement compris qu’il pouvait arrondir ses fins de mois avec des primes, mais il n’a pas hésité à partager la recette. En 2006, la Caisse a versé une somme record de 40 millions en primes. Elles ont représenté plus du tiers (34,1%) de la masse salariale totale de la Caisse (Le Devoir, 31 mai 2007).
La fin du Québec inc.
Récemment, lors d’une intervention publique à propos de la prise de contrôle de la Bourse de Montréal par la Bourse de Toronto, Jacques Parizeau déplorait la fin du Québec Inc., c’est-à-dire de cette époque où, rappelait M. Parizeau, les principales institutions financières québécoises – la Caisse de dépôt, le Mouvement Desjardins, la Banque Nationale, le Fonds de solidarité – se concertaient pour garder au Québec le contrôle des principaux leviers économiques.
Ce n’est plus le cas, disait-il, en citant en exemple le fait que le Mouvement Desjardins se soit associé à la Bourse de Toronto pour avaler la Bourse de Montréal. M. Parizeau attirait également notre attention sur le fait que des modifications à la loi fédérale des banques rendaient la Banque nationale – la banque des PME du Québec – vulnérable à une prise de contrôle étrangère. Une situation qui était facilitée par la quasi absence de la Caisse de dépôt dans l’actionnariat de la Banque Nationale.
Maintenant que la Bourse de Toronto a avalé la Bourse de Montréal en se payant la tête des milieux d’affaires montréalais (selon le Globe & Mail, on songe à un chef de direction américain, alors qu’on avait laissé entendre que l’ancien pdg de la Bourse de Montréal, Luc Bertrand, hériterait du poste), il ne faudrait pas s’étonner que Power Corporation prenne le contrôle de la Banque Nationale.
Une alliance ADQ-PQ ?
La nomination du nouveau pdg de la Caisse de dépôt devrait être l’occasion de revoir son mandat. C’est ce que demandent l’ADQ et le Parti Québécois, mais que refuse Jean Charest. Assisterons-nous à une coalition des deux partis d’opposition qui représentent la majorité de la population du Québec pour imposer leur volonté au gouvernement et redonner à la Caisse le rôle important qu’elle doit jouer dans l’économie du Québec?
Car si le titre de Videotron a perdu plus de cinq fois de sa valeur l’année de son acquisition par Quebecor (plutôt que par Rogers), il l’a presque repris depuis et il vaut pas mal plus cher que les papiers commerciaux à risque.
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