En science, il y a essentiellement deux types d’études :
I. CELLES QUI FORMULENT DES HYPOTHÈSES
Ces études qui s’appuient exclusivement sur des opinions d’expert ou des faits anecdotiques sont extrêmement utiles pour ouvrir des portes et identifier des phénomènes nouveaux. Mais, ce type d’étude démontre rarement la valeur d’un traitement ou l’existence d’un rapport de cause à effet. Cent, voire mille anecdotes ne font pas une vérité.
Pour le dire autrement, vous pouvez être 99.99 millions à penser que le stress cause le cancer, que le pénis de tigre moulu augmente le tonus sexuel et que le rapport à l’animal de compagnie est sain et bénéfique, vous n’avez pas nécessairement raison. « Majorité » n’est pas synonyme de « légitimité » et «opinion» ne veut pas dire « vérité ». Si tout le monde a le droit à son opinion, tout le monde ne peut pas avoir raison en même temps. Les vérités objectives et rationnelles existent. Le monde peut bien être interprété de différentes façons, il n'en demeure pas moins qu'il est foncièrement le même pour tout le monde.
II. CELLES QUI METTENT LES HYPOTHÈSES À L’ÉPREUVE
Les phénomènes nouvellement découverts sont mis à l’épreuve avec des études expérimentales ou épidémiologiques. En science, ce n’est pas suffisant de « savoir » intuitivement qu’une observation, opinion ou hypothèse est « vraie »; on doit prouvé qu’elle est vraie en utilisant une sorte de « lampe de poche » pour nous aider à voir clair dans l’obscurité des perceptions. Les apparences étant souvent trompeuses, l’humanité a inventé la méthode scientifique précisément pour éliminer les biais multiples qui peuvent influencer les conclusions d’un chercheur ou d’un observateur et l’induire en erreur.
Mais il faut être prudent car une étude de type II peut être aussi biaisée qu’une étude de type I. Les déficiences et les mécanismes mentaux de son utilisateur étant le talon d’Achille principal de la science, avant de crier eurêka, il est primordial de prendre en considération non seulement la qualité du protocole expérimental utilisé, mais la source de financement de l’étude et l’affiliation des chercheurs.
LA ZOOTHÉRAPIE
Depuis cinquante ans, la grande majorité des études qui servent à promouvoir la zoothérapie sont des études de type I. En 1997 — et ça n’a guère changé depuis — le Dr David T. Allen, un épidémiologiste Américain, écrivait ceci :
« Ayant passé en revue plus de 1000 études, je n’ai pas trouvé une seule étude [étude de type II] qui décrit les gains en comparaison des pertes sur l’état de santé général de la société, en relation avec l’interaction entre les humains et les animaux. En d’autres mots, je n’ai pas trouvé un seul article [étude de type II] qui compare la magnitude des effets des cas cités avec un groupe témoin ou avec le public en général. Sur l’échelle des critères de validité scientifique, ces études [étude de type I] sont à ranger sur l’échelon le plus bas. Les rapports qui vantent les mérites de la relation des êtres humains avec les animaux sont fondés sur des études descriptives et sur l’opinion des experts, et les études de ce genre [étude de type I] sont les moins valides de tous. »
LE CAS DES ENFANTS SOUS-CHIMIOTHÉRAPIE
Que certains enfants en chimiothérapie semblent manifester une anxiété moindre et une meilleure attitude en présence d’un animal attesté par un taux de cortisol sanguin réduit — une mesure empirique de l’état psychologique — est une observation intéressante en soi, a priori, mais qui ne dit rien sur l’éventualité du traitement ni sur son lien avec la présence d’un animal.
Cette réduction de l’anxiété pourrait provenir d’une manifestation d’intérêt plus grande pour l’enfant ou par la présence d’une personne rassurante envers qui l’enfant éprouve de bons sentiments. L’usage d’un jeu, la présence d’un ami ou d’un parent par exemple pourrait aussi bien faire l’affaire sinon mieux car ce ne sont pas tous les enfants qui sont à l’aise avec un chien.
Pour être valide, ce genre d’observation anecdotique (étude de type I) doit être corroborée par une étude conçue selon un protocole standard (étude de type II) pour mesurer non seulement le lien de cet effet anxiolytique avec l’animal en soi et sa durée au quotidien et aux visites subséquentes, mais sa corrélation avec le taux de survie.
Quoi qu’il en soit, à ce jour, aucune étude digne de ce nom n’a pu établir avec certitude un lien entre l’attitude et le cancer. L’étude la plus récente (une étude épidémiologique de type II sur plus de 9000 personnes atteintes d’un cancer à la tête et au cou) a démontré qu’il n’y en avait pas.
LES ENFANTS AUTISTES
Toutes les études sans exceptions sur les bienfaits imputés aux dauphins, voire à l’équitation, des études exclusivement mandatées par l’industrie, et effectuées ou contrôlées par les propriétaires et les employés eux-mêmes de ces centres de thérapie, sont fortement biaisées, voire inutilisables.
Les rares études fiables (études de type II), comme celles répertoriées par Humphries Tracy L. (2003) et publiées dans la revue Bridges, sont unanimes : nager avec les dauphins n’améliore pas la condition des autistes ni qui que ce soit d’ailleurs. Et si ça ne marche pas avec les dauphins pourquoi cela marcherait-il avec un chien ou un cheval?
LES RAPPORTS SOCIAUX
La double obligation quotidienne de sortir son chien paraît en outre insuffisante pour favoriser les liens sociaux imputés à la zoothérapie. D’autant plus que le chat est plus populaire que le chien et qu’il ne sort presque jamais de ses appartements. En outre, la présence d’un animal dans la rue peut tout autant faire obstacle à une rencontre fortuite que la favoriser. Dans les faits, le meneur de chien doit souvent se tenir loin des autres à cause de la peur qu’il suscite (présence d’enfants, d’autres chiens incompatibles, peur des allergies, peur des chiens.)
EFFETS NÉGATIFS SUR LA SANTÉ
Pour vanter la zoothérapie, les mêmes références sont citées à la nausée, celle notamment de Friedman sur les bénéfices cardiaques imputés aux animaux alors que cette étude a peu de poids scientifique en regard de son protocole expérimental peu convaincant.
Si vous pensez qu’un chien peut vous aider à garder la forme, détrompez-vous, une étude comparative du professeur Mike Kelly de la Greenwich University aux États-Unis (étude de type II) a démontré que la promenade sans chien est beaucoup plus bénéfique pour le cœur. En effet, à cause des arrêts pipi fréquents, le cœur n’est pas suffisamment stimulé pour en retirer un bénéfice. Après seulement 14 semaines, le poids, le taux de cholestérol et la pression sanguine de ceux qui se promenaient sans chiens étaient beaucoup moins élevées que ceux de l’autre groupe qui se promenaient avec un chien. La santé général du groupe sans chiens était bien meilleurs que celle de groupe qui en avait un.
Par ailleurs, dans une étude d’envergure, sur 21 000 personnes (2006), une des très rares études épidémiologiques (étude de type II) non parrainée par l’industrie, les scientifiques Finlandais Koivusilta Leena K. et Ojanlatva Ansal ont démontré que les propriétaires d’animaux sont plus souvent malades et font moins d’exercices que la moyenne : 26% de ceux qui ont des animaux de compagnie font de l’embonpoint contre 21% des gens qui n’en ont pas. Quant à l’exercice, 16% des propriétaires d’animaux en faisaient moins d’une fois par mois, contre 2% des autres. Le risque de problème de santé est de 10 à 20% plus élevé, même en tenant compte de facteurs comme l’âge ou le niveau socioéconomique. Il s’agit d’une augmentation du risque comparable à celle qu’ont les célibataires, les veufs et les divorcés.
LE POSITIVISME VULGAIRE
On ne le dit pas, mais la zoothérapie est un épiphénomène du positivisme vulgaire une forme de pensée unidimensionnelle qui remonte au moins aux anciens Grecs. Dans cette forme de réflexion, le doute, le scepticisme et la raison sont désavoués au profit des pensées se traduisant par des actions positives ou agréables émotionnellement. Dans cette logique, l’important est d’aller de l’avant sans trop s’attarder aux effets néfastes de ses faits et gestes. Le positivisme vulgaire est une sorte de gestion des émotions négatives par la fuite en avant, l’action ayant un effet anxiolytique reconnu quoique éphémère.
LES PSYCHOTHÉRAPIES BRÈVES
La mode désormais dépassée des psychothérapies brèves des années soixante — la zoothérapie moderne est née à cette époque — a popularisé les bienfaits de la pensée positive au point d'en faire une religion. Ces méthodes furent conçues alors non pour guérir, mais pour soulager quelque peu les malades et favoriser le plus rapidement possible une réinsertion active dans le milieu de travail.
D’ailleurs Boris Levinson lui-même, l’instigateur de la zoothérapie, ne s’en cache pas : « je désire réitérer le fait soulevé par tellement d’hygiénistes mentaux que nous avons trop d’enfants perturbés. En outre, le traitement prend une éternité, et un raccourci est nécessaire. Je crois que dans de nombreux cas, l’usage des pets en psychothérapie offre un tel raccourci. »
DES MOTS MENSONGERS
L’emploi du mot « thérapie », qui veut dire cure au sens propre, est trompeur. Si les animaux peuvent nous faire sourire ou oublier momentanément notre vie souvent triste et fastidieuse, la musique, les voyages, les amis, le cinéma et la crème glacée aussi. Cependant, il n’est nullement question de cure mais tout au plus de soulagement ou de divertissement. Les mots « succédané » ou « palliatif » sont beaucoup plus appropriés. Ce qui évoque la courte durée et le substitut, l’effet s’estompant rapidement une fois passer l’attrait du nouveau.
PSEUDOSCIENCE
Cette distinction est vitale car le sensationnalisme et l’usage du langage scientifique pour cacher le manque de preuves sont les oripeaux les plus classiques de la pseudoscience. Les agents sociaux qui font une promotion agressive de la zootherapie — c’est aussi vraie pour la psychothérapie — utilise le mot « thérapie » pour édifier cette sorte d’aspirine en science, et par le fait même augmenter sa valeur perçue et inciter la consommation.
Ainsi, la zoothérapie est ni plus ni moins qu’une béquille comme l’alcool ou la cigarette avec une différence près que ces derniers dérivatifs présentent l’avantage de ne faire du tort qu’à ceux qui les utilisent.
LES ABANDONS
C’est d’ailleurs ce qui explique en partie (j’y reviendrai dans une chronique ultérieure) pourquoi les fourrières sont débordées. Les consommateurs attirés par les promesses mirobolantes de la zoothérapie se font prendre au jeu et se retrouvent avec un animal qui finit avant longtemps par leur brûler les doigts tellement il est encombrant. Par principe, plusieurs vont s’efforcer de le garder, alors que d’autres moins scrupuleux, le jetteront tout simplement à la « poubelle » comme un vulgaire déchet.
Il est difficile d’avancer des chiffres précis car il n’y en a pas, mais selon plusieurs sources aux intérêts opposés, au Québec, on jetterait dans les fourrières entre 200 000 et 500 000 chiens et chats par année (la population de chiens et de chats est estimée à 2 millions). Ces chiffres n’incluent pas les autres espèces aussi nombreuses et les animaux détruits sur demande, au tout venant, par les vétérinaires.
Pour ceux qui voudraient approfondir la question :
Allan David T., «Effects of dogs on human health», Journal of the American Veterinary Medical Association, vol. 210, no 7, 15 April 1997;
Arseneau Maxime, « Concernant la mise en application de la section IV.1.1 sur la sécurité et le bien-être des animaux domestiques », Rapport final à l’intention du Ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, 2001;
Beck A.M and Katcher, A.H., «A new look at pet-facilitated therapy», Journal of the American Veterinary Association, Vol 184, No 4, Feb. 1984; si vous devez lire un seul article, lisez celui-ci.
Cayouette Pierre, « Cancer : garder le moral ne sert à rien » http://blogues.lactualite.com/cayouette/?p=106;
« L’étude des chercheurs américains [Dr James Coyne, Cancer, Dec 2007] devrait en effet ébranler les chantres de la « pensée positive » et les millions de lecteurs du Secret, pour qui tout passe par le « mental ». Certains adeptes des théories de « psycho-pop » en viennent à croire qu’ils sont responsables de leur condition, qu’ils n’ont pas su « visualiser » et « programmer » des énergies positives susceptibles de mener à leur guérison.»
Charlton Bruce, «The moral case against psychotherapy» Psychiatric Bulletin, 1991, 15, p. 490-492, 1991 ;
Greenberg Jeff et al, «Why Do People Need Self-esteem? Converging Evidence That Self-Esteem serves an Anxiety-Buffering Fonction»; Journal of personality and social psychology, Dec 1992 ; Vol.63, Iss.6; pp.913 ;
Guide to Clinical Preventive Services, 3rd Edition, 2000-2002, XIXVIII: «Evaluating Quality of the Evidence»;
Humphries Tracy L., «Effectiveness of Dolphin-Assisted therapy as a behavioral intervention for young children with disabilities», Bridges Vol 1, No 6, May 2003;
Kaiser Lana et al., «Can a week of therapeutic riding make a difference? – A pilot study», Anthrozoös, 17 (1), 2004, p.63;
Dobson Roger, «Walking the dog not as good as walking alone», The Independent (London) 3/5/1998; « They found that the habit dogs have of stopping at almost every pillar and post — the so-called lamppost syndrome — completely destroys any aerobic advantages of going for a walk. When they compared dog walkers and non-dog walkers who did the same amount of exercise each week, they found that after three months those without a four-legged friend were much healthier. After 14 weeks, the non-owners who had been walking showed a significant drop in cholesterol levels and blood pressure when compared with the dog owners, and they had also lost weight. Those saddled with canine company were found to be little changed. What we have established is that with the dog owners, their animals stop and start so frequently, the owners don't get any aerobic effects from the walks, says Professor Mike Kelly, of Greenwich University, who led the social sciences research team.
http://findarticles.com/p/articles/mi_qn4158/is_19980503/ai_n14154858
Koivusilta Leena K. and Ojanlatva Ansa, «To have or not to have a pet for better health?», PLoS One1(1): e109.doi:10.137/journal.pone.0000109;
Levinson Boris, «Pets: A special technique in child psychotherapy», Mental Hygiene, vol. 48, 1964, p.243;
Marcuse Herbert, L’homme unidimensionnel, Les Éditions de Minuit, 1968 ;
Marino Lori and Lilienfield Scott, «Dolphin-Assisted Therapy: Flawed Data, Flawed Conclusions», Anthrozoös, 11(4), 1998;
Pachana Nancy et al., «Relations between companion animals and self-reported health in older women: cause, effect or artifact?», International journal of Behavioral Medicine, 2005, vol.12, No2, 103-110;
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