Nouvelles du Saguenay : boues rouges dans la rivière

2008/08/26 | Par Pierre Demers

Ça s’est passé de bonne heure le matin du 20 août, entre cinq et six heures. Des employés d’une firme locale de sous-traitance exécutaient des travaux sur les conduites de boues rouges de l’usine Vaudreuil à Arvida.

Un de ces employés un peu endormis qui voulait sans doute brûler des étapes a sectionné sans autorisation une conduite de six pouces non cadenassée et provoqué un déversement de 200 mètres cubes de boues rouges (résidu industriel alcalin abrasif composé d’un restant de soude caustique avec ph de 11 et 12 avant sa dissolution dans l’eau) qui a duré environ une heure.

C’est Le Quotidien du 22 août qui nous a fourni ces informations. Le service des relations publiques de Rio Tinto Alcan s’est contenté d’avouer par la voix de sa discrète responsable Margo Tapp que « des résidus avaient été évacués par accident dans une conduite en réparation. Que c’était vraiment dommage. Et que, malgré l’impact visuel (La rivière Saguenay bordée de rouge), les espèces aquatiques n’étaient pas en danger. »(Le Devoir du 21 août).

Même parcours qu’en avril 2007

Les 200 mètres cubes de boues rouges ont suivi le même parcours que les 49 tonnes métriques évacuées aussi accidentellement d’une conduite brisée celle-là en avril 2007. Soit de la conduite de l’usine Vaudreuil au fossé d’égouttement du terrain, de celui-ci jusqu’au ruisseau du Capitaine traversant le boulevard Saguenay en plein quartier Saint-Jean Eudes.

Un petit quartier populaire où les chômeurs ne se préoccupent pas tellement des problèmes d’environnement. Quand le Saguenay tourne au rouge ils savent toutefois que la multinationale qui les parfume a encore une fois mal fait ses devoirs. Mais comme ils ne pêchent plus et ne se baignent plus dans ses eaux, ils se balancent de l’image publique de RioTinto Alcan.

Tout près des feux de circulation à Saint-Jean Eudes, la multinationale affiche son nouveau slogan sur un panneau réclame,…« Nous produisons de la fierté. ». Il me saute aux yeux cet après-midi-là quand je descends la côte en vélo pour aller voir la rivière qui vient de tourner au rouge encore une fois. Si j’avais une canette de peinture, j’ajouterais … « et …de la pollution. ».

Tout au long de la rivière jusqu’au pont de Chicoutimi-Nord, une large bande de boues rouges a marqué son territoire. En face du garage municipal de la Ville, des ouvriers observent les canards et les goélands patauger dans leur bain coloré. L’un d’entre eux me dit « c’est peut-être pas toxique dans l’immédiat, mais c’est pas normal de se baigner là-dedans. Et c’est la seconde fois que ça arrive en quelques mois. Nous autres si on polluait comme ça ils nous feraient fermer notre piscine. Mais le Saguenay leur appartient. Ils font ce qu’ils veulent ces multinationales-là. »

Le concert des banalités

Après un déversement de boues rouges de RioTinto Alcan, tout le monde est à l’œuvre. Les médias préparent leur reportage les deux pieds dans le Saguenay. Les fonctionnaires du ministère de l’Environnement du Québec (section régionale) et du Canada enquêtent sans vraiment répondre aux questions des journalistes.

Le cas est d’autant plus délicat que, depuis le déversement d’avril 2007, un processus judiciaire est en branle. En vertu de la Loi sur la qualité de l’environnement du Québec, la compagnie australienne est en infraction. Des recommandations au Procureur général du Québec ont été soumises. On attend toujours le verdict dans cette cause.

Pour cette raison, les fonctionnaires du ministère de l’Environnement et la multinationale marchent sur des œufs. Les deux se contentent de dire des banalités quand on les interroge. On attend que la multinationale reçoive son amende pour avoir pollué la rivière et ses environs.

En attendant, Rio Tinto Alcan en remet avec la bénédiction du milieu. Le maire de retour d’une mission écologique à Vancouver promet de demander des explications à la compagnie en affirmant du même souffle qu’ils vont bien lui répondre ce qu’ils voudront. Faut bien qu’il fasse semblant de sauver aussi les poissons du Saguenay.

Une campagne publicitaire minée

La multinationale est d’autant plus mal à l’aise qu’elle vient de dépenser une fortune pour raffiner son image de marque «...RioTinto Alcan... nous produisons de la fierté », clame-t-elle à la télé, dans les journaux, sur les panneaux-réclames. Cette conduite de boues rouges pète au mauvais moment encore une fois.


La compagnie a investi également plusieurs milliers de $$ pour installer un système de captation des boues usées en cas de bris de conduite. Des sous-traitants sont à l’œuvre actuellement pour ce faire. Mais cet incident de parcours mine encore plus la réputation de la multinationale australienne.

Le président du syndicat des employés d’Arvida (SNEAA), Claude Patry, a raté une belle occasion de dénoncer le risque que fait courir la compagnie à ses syndiqués en ayant recours à la sous-traitance dans des opérations aussi délicates que celle de la manipulation des produits toxiques.

Il se contente de donner raison à la multinationale ((Le Quotidien, 22 août) en indiquant que ce second déversement est un accident et que la réputation de l’usine Vaudreuil n’est pas en cause. Ce président de syndicat va se retrouver pdg de sous-traitants avant longtemps.

Des boues plus ou moins toxiques

Quand on demande aux fonctionnaires du ministère de l’Environnement si les espèces aquatiques sont en danger par ce type de déversement, ils font jouer tous la même casette… On a même trouvé un poisson mort sur les rives du Saguenay le lendemain de l’événement…

Ils nous répondent tous la même chose. C’est l’impact visuel qui frappe surtout. La soude caustique utilisée pour extraire l’alumine de la bauxite reste en quantité minime dans les résidus de boues rouges. C’est à la sortie de la conduite surtout que les risques sont élevés.

Comme le soulignait Le Quotidien du 22 août, des travailleurs de RioTinto Alcan l’ont échappé belle ce matin du 21 août quand ils se sont rendu compte à temps que la conduite avait été sectionnée par mégarde. Certains travailleurs auraient pu subir de graves lésions au contact des boues rouges en ébullition.

Un prof de chimie m’a confirmé que plus la concentration est forte plus les risques de contamination augmentent. En général, précise-t-il, ces produits chimiques modifient toujours le milieu et l’environnement. Le Saguenay, c’est comme une grosse piscine, mais les poissons et les canards qui s’y baignent ne sont pas au courant de tous les produits chimiques qu’on y déverse. Quand leurs petits naissent avec les pattes rouges, ils croient que c’est un caprice de génération. Sinon, ils déménageraient en Australie où les règlements contre les pollueurs sont sans doute plus sévères qu’ici.

Les paris sont ouverts. À quand le prochain déversement de boues rouges dans le Saguenay ?