Nous prenons tous pour acquis que la zoothérapie est aussi bonne pour nous que pour les animaux. Or, la vérité est tout autre. Ce que nous faisons aux animaux sous des apparences innocentes, a des répercussions méconnues non seulement sur leur bien-être, sur l’environnement et autrui, mais plus particulièrement sur les enfants car ce sont eux éventuellement qui devront payer les pots cassés (dans une chronique future, je reviendrai plus en détail sur la question des animaux et de l’environnement).
EFFETS SUR L’ENVIRONNEMENT
Les chats domestiques en liberté par exemple, accro aux croquettes commerciales, tuent une quantité phénoménale de petits mammifères et d’oiseaux qu’ils ne mangent même pas; en Australie, ces tueurs nés ont fait disparaître plus de 30 espèces. Ce scénario se répète partout dans le monde, notamment dans les îles où les écosystèmes sont particulièrement fragiles. Le commerce licite et illicite des animaux sauvages, qui servent entre autres comme médicanimal, conduit à un saccage et à un pillage en règle de la nature. L’empreinte carbone des animaux de compagnie est égale à 7% de la nôtre, l’impact le plus important étant attribué à la fabrication des aliments pour animaux.
LES TENSIONS CIVIQUES
Les morsures, les aboiements, le problème crottoir, les animaux en divagation, le saccage des airs publics, sont les causes principales des tensions civiques en milieu urbain. Aux Etats-Unis par exemple, il y a plus de 5 millions de morsures rapportées par année, et ce chiffre est un pâle reflet de la réalité; la plupart des victimes sont des garçons de moins de douze ans et selon l’Agence de Santé Publique du Canada, le visage est la cible la plus fréquente. Et n’allaient surtout pas croire que les chiens de type molossoïdes comme le pitbull sont les seules races dangereuses. Mme Dinoire la première greffée du visage a été mordue par un labrador.
LES RISQUES DE CONTAGION
Est-il prudent d’introduire des animaux sur une base régulière dans les hôpitaux pour enfants et les résidences pour personnes âgées aux prises avec un problème grave de contamination et de maladies nosocomiales? Les risques de contagion sont réels pour une population par définition vulnérable. La plupart de nos épidémies les plus graves sont d’origine animale. Ne pas faire preuve de précaution dans de telles circonstances me semble imprudent surtout de la part d’un infectiologue comme le Dr Pierre Déry cité dans une chronique précédente (Prenez deux chiens et rappelez-moi demain!).
LE CHEVAL DE TROIE DE L’INERTIE
Il est admis désormais que la compagnie des animaux nous fait du bien individuellement et collectivement, mais, en devenant à la fois content d'eux et coupés de leurs émotions, ceux qui s'abandonnent à leur petit plaisir se privent d'une vulnérabilité indispensable à leur maturation psychologique. Avec le temps, cette aspirine devient le cheval de Troie de leur inertie. Car, comment innover individuellement ou collectivement si on se coupe du sentiment d'urgence que la souffrance suscite ?
Cela se traduit notamment par un infantilisme collectif fâcheux pour une société, un moyen de gonfler « l'avoir » au détriment de « l'être ». Et c'est toujours à recommencer car une fois passé l'attrait du nouveau, une personne se retrouvera inévitablement face à ses problèmes et contrainte de récidiver en s'achetant un autre animal ou en changeant tout simplement de dévidoir affectif.
Dans une étude d’envergure sur 21 000 personnes (2006), une des très rares études épidémiologiques (études de type 2) non parrainée par l’industrie, les scientifiques Finlandais Koivusilta Leena K. et Ojanlatva Ansa, ont démontré « qu’une personne qui a une vie insatisfaisante, à cause de lacunes psychosociales ou de problèmes physiques, voudra composer en acquérant un animal de compagnie. Mais l’animal ne règle pas les problèmes sous-jacents, et peut même les exacerber s’il rend la sédentarité et l’isolement plus tolérables. »
DR STRANGELOVE
Ce domaine n’étant pas réglementé, la popularité de la zoothérapie attire une foule d’agents sociaux aux motivations suspectes. Un cas parmi cent, sur une de ces chaînes de télévision spécialisées en propagande silencieuse, on pouvait voir une idiotie monumentale : Dans une prison aux États-Unis, des zoothérapeutes encourageaient des délinquants graves à se coucher et à caresser des chiens entraînés à rester immobiles comme des sphinx, sous prétexte que ce contact avec un animal ferait d’eux comme par magie des hommes meilleurs.
On pouvait voir les prisonniers rirent dans leur moustache pendant que la zoothérapeute en chef, une sorte de Dr Stangelove, expliquait avec tout le sérieux du monde comment sa brigade de chiens allait contribuer à changer le monde (Dr Strangelove, une comédie satirique avec l’acteur Peter Sellers, mettant en scène un docteur dérangé aux idées étranges, voire dangereuses).
DES IDÉES BIZARRES
En général, la psychologie attire de préférence ceux qui ont souffert le plus de sévices psychologiques multiples. Ce n’est pas une raison de les condamner, nous sommes d’accords, mais recruter des agents sociaux sur la base de leur incapacité pour aider des gens par définition vulnérables n’est pas une recommandation en soi mais un faux-pas dangereux pour une société. Pensez-vous vraiment que les enfants vont apprendre à bien se conduire en faisant par exemple ce que le psychiatre Boris Levinson, le fondateur de la zoothérapie, recommande avec autant d’enthousiasme?
Pour un enfant, la masturbation avec un animal, est préférable à la masturbation en solitaire. Pour les quelques femmes qui s’assurent une gratification sexuelle en pratiquant le cunnilingus avec leur chien de poche, les animaux jouent un rôle d’hygiène mental dans la mesure où ils permettent aux femmes de satisfaire des besoins qui autrement ne seraient pas assouvis.
Chaque grande ville est remplie de solitaires — des hommes et des femmes qui passent leur temps à contempler un monde apparemment hostile. Les plus fortunés ont des pets comme bouée de sauvetage. Quelques-uns de ces solitaires maintiennent un intérêt pour le sexe, mais sans avoir d’exutoire. Or, la masturbation, voire une relation plus intime avec leurs animaux, devrait être considéré désirable et normal.
Se défouler sur les animaux sert à canaliser des comportements passibles d’être sévèrement punis légalement. Le voyeur par exemple, au lieu de devenir un peeping Tom qui embarrasse les femmes ou les couples engagés dans un rapport sexuel, peut ouvertement et sans honte observer ces comportements chez ses pets. Il peut même se masturber en même temps sans mettre en danger la paix publique et la morale.
UN MODÈLE DANGEREUX POUR LES ENFANTS
C’est notamment à travers le rapport avec un animal que les enfants apprennent les règles fondamentales de leurs relations futures; pour ces enfants, aimer devient synonyme de possession, domination, contrôle, plaisir et dépendance.
Dans son livre The dreaded comparison : human and animal slavery, Marjorie Spiegel écrit ceci:
On peut considérer le rapport entre un chien et son maître comme un exemple parmi d’autres d’esclavagisme. Pour le maître, le chien est un bon chien tant qu’il marche au pied, ne démontre pas trop d’intérêt pour les étrangers ou les autres chiens, ne coure pas à moins d’avoir la permission, n’aboie pas tant qu’on ne lui en donne pas l’ordre, et n’a pas de besoins émotifs à moins que son maître en exprime le désir. […] Si un chien désire faire autre chose que ce qui plaît au maître comme socialiser et jouer avec ses semblables, il peut être puni voire battu. Toutes les actions indépendantes sont ainsi découragées. Pour éviter d’être battu et puni, le chien apprend à refouler ses désirs et à se conformer à ceux de son maître son propriétaire légal omnipuissant. Et si à n’importe quel moment, le maître se lasse, il peut l’abandonner en fourrière où il sera détruit ni vu ni connu.
Il y a bien sûr des gestes d’affection dans ce rapport de domination, de supérieur à inférieur, mais comme l’explique le professeur Yi-Fu Tuan de l’Université Yale aux Etats-Unis, « ces gestes ne sont possibles que dans des relations inégales. Ce sont des gestes de condescendance et de paternalisme qui adoucissent l’exploitation en lui donnant un visage plus humain. Sans eux, il n’y aurait que des victimes. Ils soulagent la souffrance associée à la domination et à l’esclavage. La domination teintée d’affection produit un animal de compagnie. »
UN SADISME D’UNE GRANDE BANALITÉ
À en juger par la très grande popularité des animaux de compagnie, ce genre de rapport empreint d’un sadisme manifeste, en ce qui concerne le chien du moins — comme nous le verrons dans une chronique ultérieure, dans le cas du chat, il est plutôt question d’une forme latente de sadisme beaucoup plus cruelle par sa subtilité —, est la norme dans notre société car pour ne voir aucun mal dans ce modèle de comportement, et trouver ça beau et digne d’être transmis à ses enfants, il faut être soi-même dans cet état d’esprit.
En d’autres mots, on se comporte essentiellement — et pas toujours dans la forme grâce à divers garde-fous comme la religion et la loi —avec les animaux comme on se comporte avec autrui et l’environnement. La condition animale est foncièrement une transposition inconsciente de la condition humaine, selon l’ethnologue Français Jean Pierre Digard, « le moule en creux ou en relief, ou le contretype, en positif et en négatif, des relations entre les hommes » (j’y reviendrai plus en détail dans une chronique subséquente).
L’ENDOCTRINEMENT
Dans les expériences pédagogiques dans les écoles, on réclame le respect des animaux et de la nature, mais se soucie-t-on seulement du respect des élèves — et des parents —lorsqu’on les endoctrine si jeune en leur faisant croire que le rapport aux animaux de compagnie est sain et bénéfique ou que la vie sans animaux est impensable? Il est navrant que les enfants soient la cible privilégiée des industries dès le plus jeune age. Bien que certains enfants soient fortement attirés par les animaux — à ce compte-là par le sexe, les sucreries et la malbouffe aussi — ils sont incapables de jugement critique. C’est aux parents d’assumer ce rôle en faisant comprendre aux enfants que parfois il peut être cruel d’être « bon ».
Il me semble nuisible et moralement répréhensible d’exploiter les animaux ou qui que ce soit d’ailleurs pour des raisons ludiques ou uniquement pour faire marcher les affaires. Comment dans ces conditions peut-on faire comprendre aux enfants qu’il faut respecter la nature, les animaux et autrui, si en même temps, on leur montre des animaux soumis, accoutrés, et dévalorisés au rang d’esclave. Il est impossible d’accorder le moindre rôle récréatif ou pédagogique à un animal relégué au rang de jeu vidéo, enchaîné, en laisse ou en cage, que les barreaux soient virtuels ou non. Le spectacle de la détention n’a rien d’une distraction.
À l’heure du réchauffement climatique, de la destruction des écosystèmes et d’une perte de biodiversité problématiques pour notre espèce, il est troublant de constater qu’une telle attitude soit encore si répandue même dans les couches sociales les mieux éduquées et les plus fortunées.
Heureusement, un certain nombre de personnes ne transmettent pas aveuglément aux générations futures des idées et des comportements aussi dangereux car ils savent comme le dit le proverbe Iakota, que nous n’avons pas hérité cette planète de nos ancêtres. Nous l’empruntons à nos enfants.
Pour ceux qui voudraient approfondir la question :
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