Avec « Mirages d’un Eldorado », Martin Frigon signe un documentaire hautement convaincant et… troublant. Les premières images du film amènent le spectateur au vif de l’action. Une locomotive tire un chapelet de wagons-citernes, un camion file à vive allure sur une route poussiéreuse. Tous deux convergent vers une usine d’exploitation minière dont les cheminées crachent une fumée incongrue dans ce décor grandiose du désert d’Atacama au cœur de la cordillère des Andes et de ses glaciers millénaires aux frontières du Chili et de l’Argentine.
Puis le paysage s’anime. Devant des gens inquiets, un prêtre prononce une homélie. « Je suis ici pour défendre la vie avec vous », dit-il à ses fidèles qui réclament le droit à de l’eau propre. « On ne veut pas que ça arrive ici », disent les autochtones de la région pour qui l’eau représente la vie et l’or … la mort. La grande lagune, seul réservoir d’eau avant le désert, risque de disparaître, contaminée par le cyanure de sodium, une substance utilisée pour extraire l’or du minerai. En cause, la compagnie minière canadienne Barrick Gold et son projet Pascua Lama n’amènent dans son sillage que sécheresse et désolation. De l’Eldorado à l’Infierno, du paradis à l’enfer, l’avenir de la population locale est en péril.
Syndicat et petits agriculteurs s’insurgent
Durant près de quatre ans, à 4 000 mètres d’altitude, dans la vallée de Huasco, Martin Frigon rencontre les travailleurs et les agriculteurs autochtones et écoute, caméra au poing, leurs revendications pour sauver leur territoire ancestral condamné par le développement d’une mine à ciel ouvert et les forages intempestifs de Barrick Gold. Il est témoin de la répression policière que subissent les habitants locaux pour avoir levé des barricades dans le but de forcer les représentants de la compagnie minière canadienne et les élus chiliens à reconsidérer leurs décisions. On assiste à des images saisissantes de femmes enceintes bousculées, de mamans, bébé au sein, qui courent dans tous les sens, d’enfants qui fuient pendant que les hommes sont traînés vers le fourgon cellulaire. « Je suis enragé », dit un agriculteur qui a peine à retenir ses larmes.
Entente de coopération Canada/Chili
Les gens ne comprennent pas. « Rien n’a changé depuis Pinochet », constatent-ils. Pourtant le Chili n’est plus une dictature et le Canada est un pays démocratique. Alors, comment une compagnie canadienne peut-elle s’approprier l’exploitation de la plus grande réserve d’or de la planète et agir ainsi sans vergogne, sans limite ni contrôle au vu et au su des autorités chiliennes? « On est Chiliens pas Boliviens! », crient-ils, en colère.
La scène où la caméra s’arrête sur le stylo à l’effigie de Barrick Gold posé bien en évidence sur le bureau du représentant du comité de surveillance en pleine discussion avec des membres du syndicat des mineurs est particulièrement éloquente. Le gouvernement canadien ne semble pas au courant ou ne tient pas à savoir ce que s’apprête à faire Barrick Gold au Chili. Les études préliminaires réalisées par le comité de surveillance chilien confirmaient la présence de glaciers et l’impact environnemental suite au forage de la mine. Les soixante millions de dollars glissés par l’entreprise canadienne à ces « gens de peu de foi » ont scellé l’entente.
Barrick Gold dans sa tour d’ivoire de Toronto
Il faut entendre Peter Munk, président-fondateur de la compagnie aurifère. L’homme aux bons sentiments ne craint pas d’affirmer que Barrick Gold est une compagnie responsable et transparente. Qu’avec les emplois générés par l’exploitation de la mine, elle veut participer à l’élimination des cercles de pauvreté. Une arrogance sans borne chez cet homme et son conseil d’administration qui sont parfaitement conscients qu’une mine à ciel ouvert est ce qu’il y a de plus destructeur.
Jeune réalisateur, on sent que Martin Frigon a du souffle et des convictions inébranlables. Déjà il l’a prouvé avec « Make Money. Salut, bonsoir! », un documentaire réalisé en 2004 à Murdochville sur les conséquences de la fermeture de la mine Noranda sur les travailleurs et le drame que vivaient les ouvriers atteints de la bérylliose, cette maladie industrielle qui leur a été laissée en héritage après des années de loyaux services. Cette fermeture était une arnaque. Le départ de la compagnie minière vers le Nord du Chili était déjà prévu. Impossible de rester insensible au sort de ses congénères pour le cinéaste gaspésien. La traque devait se poursuivre.
« Mirages d’un Eldorado » est un documentaire qui donne la parole à la population locale de langue espagnole, ce qui permet aux spectateurs d’entrer en contact direct par la douleur audible dans la voix, avec la frustration et parfois même la fureur des petits agriculteurs et des ouvriers opposés à ce grand dérangement. Il faut saluer ici les efforts des techniciens de la post-production pour la qualité du sous-titrage français. La traduction résume finement les propos et, chapeau! pour la parfaite lisibilité au bas de l’écran.
Mirage d’un Eldorado sera à l’écran du Cinéma du Parc à Montréal du 3 au 9 octobre 2008, à Québec du 31 octobre au 6 novembre et à Ottawa à la mi-novembre. Une tournée des villes minières de Murdochville, de Val d’Or et de Rouyn-Noranda est aussi prévu, mais à des dates encore indéterminées.
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