La crise financière américaine s’est propagée à l’ensemble de la planète, malmenant les bourses partout dans le monde. Elle contamine maintenant l’économie réelle, entraînant les États-Unis et d’autres pays en récession. Quoi qu’en disent nos politiciens, l’économie du Québec est vulnérable, ne serait-ce que par nos forts liens commerciaux avec notre voisin du sud.
Nous connaissons assez bien les causes de cette crise financière. Suite aux déréglementations du gouvernement américain, les banques ont trop prêté aux ménages pour l’acquisition de maisons, négligeant leur incapacité de payer. En cas de problème, elles prévoyaient saisir et revendre ces maisons avec profit. Désirant prêter davantage, mais à court d’argent, elles en ont emprunté en émettant des produits financiers originaux, garantis par ces maisons vendues trop cher. Flairant la bonne affaire, nos banques et la Caisse de Dépôt ont acheté ces papiers avec notre épargne. Les ménages américains ont perdu leur maison et les banques n’arrivent plus à les revendre. La bulle immobilière a pété. Privées de leurs paiements d’hypothèques, les banques sont incapables de racheter les papiers qu’elles ont émis. En simplifiant à l’extrême, c’est ainsi qu’a débuté cette crise des liquidités.
En creusant davantage, nous pouvons inscrire ces causes dans une crise structurelle. En fait, depuis la fin des Trente glorieuses, l’économie des pays industrialisés ne se porte pas très bien. Les taux de productivité sont faibles alors que le chômage demeure élevé. Il ne faut pas se laisser leurrer par les taux de chômage qui semblent encourageants. Ces statistiques confondent les emplois précaires, à temps partiel et faiblement rémunérés aux emplois de qualité et stables.
Pour contrer cette stagnation économique et conserver de forts bénéfices, les capitalistes usent de créativité et repoussent les limites de leurs champs d’action. Par exemple, on déménage le travail dans des ateliers de misère pour diminuer les coûts. On privatise les services publics, créant de nouvelles occasions d’affaires. On facilite l’accès au crédit des ménages, dopant la consommation et stimulant les ventes. On accorde des hypothèques qui ne pourront être remboursées, en pensant faire « la passe ». Bref, pour contourner une économie réelle mal en point, on adopte l’idéologie néolibérale qui permet de maintenir des niveaux de profit élevés aujourd’hui, peu importent les conséquences demain.
Durant les trente années « glorieuses » de l’après-guerre, l’emploi se portait bien, les entreprises étaient assez profitables pour avoir une vision de développement et l’État augmentait son intervention sociale. Créer la richesse permettait de la partager. Depuis que l’économie est anémique, tout cela est chambardé et la théorie du ruissellement (créer la richesse finit par profiter à tous) n’est plus qu’un mythe.
Une trentaine d’années de croissance, puis une trentaine plutôt décevante, voilà qui rappelle étrangement les cycles Kondratieff. Ces cycles longs développés par ce Russe ont été popularisés dans les années 1950 par Schumpeter. Ces économistes expliquaient ces cycles par l’innovation technologique. À partir d’une ou plusieurs innovations, les entreprises développent de nouveaux débouchés dans divers domaines qui rapportent gros. C’est la phase ascendante du cycle. Puis, les applications possibles finissent par plafonner, la concurrence sature les marchés, les salaires et profits stagnent. On est alors dans la phase descendante, jusqu’à ce qu’une nouvelle innovation amène un cycle nouveau.
Ces cycles remonteraient au moins à la révolution industrielle. La croissance associée à cette période s’expliquerait par les innovations dans l’industrie textile et par l’extension de la mécanisation et de l’organisation manufacturières. La phase d’expansion suivante, celle de l’ère victorienne du milieu du 19e siècle, découlerait du développement du chemin de fer. L’acier à bon prix, les nouvelles applications offertes par l’électricité et la chimie moderne expliqueraient la croissance de la « Belle Époque ». Enfin, les diverses industries basées sur le pétrole à bon marché seraient à l’origine de la croissance des Trente Glorieuses.
Difficiles à mesurer, les cycles Kondratieff demeurent contestés. Pour certains, le développement de l’informatique et des communications seraient la nouvelle innovation. Bien que majeurs dans nos façons de fonctionner, ces progrès ne semblent pas encore induire une nouvelle période de prospérité.
Les lois économiques ne doivent jamais être prises comme des vérités immuables. Les cycles Kondratieff n’échappent pas à cette mise en garde, même si la situation actuelle s’apparente drôlement à ces cycles. Si cette théorie s’avérait juste, nous serions alors à la fin de la phase descendante et probablement sur le point d’entamer une nouvelle période. Schumpeter caractérisait les changements de cycles par une période de « destruction créatrice », la nouvelle économie bouleversant les rouages de l’ancienne. L’actuelle crise découle de la stagnation de l’économie : pour s’assurer de nouveaux bénéfices, on a dû compromettre la stabilité du système. Peut-être annonce-t-elle aussi un changement de cycle.
Les économistes et leurs théories réussissent à bien expliquer le passé. Leurs prévisions sont par contre systématiquement boiteuses. Peut-être que les cycles Kondratieff sont mal interprétés, fonctionnent différemment ou plus du tout. Peut-être la crise sera résorbée sous peu et rien ne changera. Peut-être sommes-nous sur le point de débuter un nouveau cycle. Il se peut même que cette crise marque la fin de ces cycles et du système capitaliste, comme l’affirmait l’altermondialiste Immanuel Wallerstein, dans une entrevue au journal Le Monde le mois dernier. Nous ne le saurons qu’après coup.
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