François Giguère est formateur en français langue seconde
FBDM Formation de base pour le développement de la main-d’œuvre.
J’enseigne le français aux adultes en milieu de travail. Après plusieurs détours j’en suis arrivé à exercer ce métier parce que je voulais faire ma part pour épauler les personnes qui quittent un monde qui leur est familier et compréhensible où la majorité leur ressemble, pour un monde inintelligible, étranger et dissemblable.
J’essaie au mieux de mes capacités de les aider à comprendre, parler et écrire le français du Québec. Or, je prends peu à peu conscience du fait qu’il faut aussi les convaincre que je ne suis pas le seul à parler, à penser, à rêver et à créer en français.
Une habitude qui m’intègre dans le 20% des Canadiens qui, en plus de s’exprimer en français, pensent en français. Ceux dont les idées se forment dans la tête en français et qui de temps en temps les donnent à entendre ou les mettent sur papier en tournures toujours perfectibles.
Je suis particulièrement sensible à la situation des gens à qui j’enseigne le français entre autres parce qu’enfant j’ai vécu plusieurs années au Pérou. Conséquemment, l’espagnol est ma langue seconde et l’anglais ma troisième.
Les adultes, tous bilingues et certains polyglottes, à qui j’enseigne le français après leurs journées de production effrénée et répétitive ont troqué leur propre culture contre la prospérité et l’émancipation de leurs enfants.
Leurs enfants comprennent leur langue maternelle. Leurs petits-enfants parlent le français, mais souvent exclusivement l’anglais.
Convaincu comme plusieurs que la culture passe par la langue je constate que la plupart des immigrants que je côtoie sont conscients du sacrifice qu’ils font en acceptant la déculturation. Ils considèrent que le jeu en vaut la chandelle.
Tout de même, je ne pense pas me tromper en supposant que leur scénario idéal aurait été de pouvoir préserver et transmettre leur culture tout en offrant un avenir libre et fortuné à leurs enfants.
C’est complexe d’enseigner le français à des gens dévoués dont le renoncement profite avant tout au Canada, mais qui, pour la plupart, croient fermement que le français n’est qu’une fantaisie politique aussi impertinente et respectée que la fréquentation des parcs municipaux après 23h00.
Cette idée est confirmée par le fait qu’un grand nombre de ces travailleurs sont ici depuis au moins une décennie et que, sachant bien la valeur du travail, de la famille et de l’argent, ils s’en sont parfaitement bien tirés au Québec sans le français.
Ils ont acheté des voitures, négocié et remboursé des prêts hypothécaires non sans avoir auparavant cherché et trouvé divers logements. Ils ont inscrit leurs enfants à l’école. Ils ont loué des salles pour des mariages, des baptêmes et des associations. Ils ont voyagé en région. Bref, ils ont réussi à faire tout cela au Québec sans comprendre un mot français.
Je me rends compte que mon travail est une entreprise de promotion. Comme un vendeur je dois connaître à fond le produit et je dois m’en servir en toutes circonstances pour que ce soit manifeste qu’il est indispensable. Je dois convaincre mes clients que mon produit répond à un vrai besoin et qu’il n’est pas l’objet d’un désir passager.
Cela dit, pour moi ce n’est pas un problème de vendre le français. Je consomme le français, de toutes les régions, de toutes les époques et sous toutes ses formes, de François Rabelais à Amadou Hampaté Bâ, en passant par Jacques Ferron, Christian Mistral, Barbara, Patrice Desbiens, Ying Chen, Robert Morin, Boby Lapointe, Gérard Bessette, Bernard Émond, Simone de Beauvoir, Léo Ferré, Balzac, Michel Marc Bouchard, Blaise Cendrars, Richard Desjardins, Marcel Moreau, François Villon, Gérald Godin, Thomas Fersen, Samuel Beckett, Tiken Jah Fakoly, etc.
Elle est longue la liste des créateurs qui en plus de m’émouvoir et m’aider à devenir un meilleur être humain, facilitent mon travail d’enseignant de français. Leurs œuvres sont spécifiques parce qu’elles sont en français, même si elles véhiculent aussi l’héritage d’autres langues. Le français n’est pas né de rien et il continuera de se transformer car le changement est la caractéristique première de toute langue .
Mais, cela n’enlève rien à son unicité qui sert de point de départ à l’ambition de connaître et comprendre l’humain. C’est pourquoi je ne suis pas inquiet du dynamisme, de la pertinence et de la durée de vie de la langue française.
Cependant, j’ai une inquiétude personnelle face à mon travail. Je peux bien enseigner à nager dans le désert mais il faut qu’il y ait au moins quelques palmeraies pour mettre en valeur cette compétence.
Dès que les apprenants sortent du cours de français, sous prétexte qu’ils ont une teinte épidermique différente de la majorité, une prononciation originale et pas encore le mot juste, les gens interagissent avec eux en anglais. Quand ils posent des questions les gens y répondent poliment et correctement mais en anglais. Cela me pousse à dire que le plus grand obstacle à la francisation ce sont les francophones.
De plus, un autre comportement qui ne facilite pas l’enseignement du français aux non-francophones c’est la timidité culturelle des francophones.
Les apprenants dans mes cours trouvent étonnant qu’au Québec on fasse en moyenne moins de deux enfants par couple, que biens des jeunes quittent le foyer familial entre 18 et 25 ans d’âge, qu’ils ne se marient pas tous et que beaucoup de gens vivent seuls avec leurs animaux domestiques.
Les premières fois qu’il en a été question, en complexé identitaire ayant moins d’expérience, je ne savais quoi opposer à leur étonnement. Maintenant, j’essaie d’expliquer. Je parle de la Révolution tranquille et de ce que nous avons acquis. Je dis qu’avec tous les écarts de la société québécoise actuelle, je n’en ai pas honte.
Je ne suis pas envieux de la solidité et la confiance que les immigrants ont en leurs valeurs parce que je les mesure à leur inévitable métamorphose et annexion à un nouvel ensemble. Ce qui me pose problème c’est que ce nouvel ensemble, qui devrait être la culture québécoise, est replié sous une culture massive encore plus imposante qui comme un rouleau compresseur uniformise et aplanit tout pour que ça tienne bien dans un portefeuille.
Néanmoins, je n’aurai de cesse de penser, rêver, parler et essayer de créer en français, pour gagner ma vie mais surtout pour tenter, par la conviction que j’ai que mes pensées, mes rêves et mes paroles, parce qu’elles sont en français, participent à une culture locale, qu’on pourrait associer à une nation, si unique et originale qu’elle communique l’universel.
Dans la même catégorie
2024/11/29 | Un pas de plus vers un Québec bilingue |
2024/11/15 | Infraction à la Loi sur les langues officielles |
2024/11/08 | Francophonie : Une place congrue pour la société civile |
2024/11/01 | Français : Encore un bilan vaseux |
2024/10/18 | Des compressions bien réelles en francisation |