S’il n’en tenait qu’à Richard Goyette, le nouveau directeur de la FTQ-Construction, la prochaine ronde de négociation dans l’industrie de la construction se déroulerait bien différemment des précédentes marquées par l’habituelle campagne de maraudage entre les organisations de travailleurs.
« Face à la crise économique qui s’en vient, nous avons besoin de solidarité et non de concurrence entre les travailleurs. La loi actuelle est dépassée », lance Richard Goyette en ajoutant : « Notre attitude a changé. Nous avons une position ouverte à l’égard des autres centrales. Nous sommes prêts à mettre la main à la pâte pour trouver une approche différente ».
Rappelons que, bien que représentant 44% des travailleurs de la construction au terme de la dernière campagne de maraudage, la FTQ-Construction a été exclue de la table des négociations. Les autres organisations – même si chacune d’entre elles avait obtenue l’adhésion de moins de travailleurs – ont pu être reconnues comme interlocuteur au terme de la loi en regroupant plus de 50% des travailleurs au sein d’une coalition, l’Alliance, qui comprend le Conseil provincial du Québec des métiers de la construction (International), la CSD Construction, la CSN-Construction et le Syndicat québécois de la construction.
Quelle pourrait être l’alternative à ce modèle qui exclut l’organisation qui a obtenu l’adhésion de près de deux fois plus de travailleurs que sa plus proche rivale (le Conseil provincial avec 26% d’adhésions) ? Richard Goyette n’a pas de proposition précise à soumettre pour l’instant, mais il évoque la possibilité d’un cartel où tout le monde serait à la table de négociation. « Dans les négociations du secteur public, tout le monde est à la table, malgré la possibilité d’allégeances syndicales différentes. Pourquoi pas dans la construction? »
Est-ce que cela priverait les travailleurs du choix de leur organisation syndicale? « Non, répond-il. Le choix se ferait selon d’autres critères, comme la qualité des services que chaque organisation offre à ses membres ».
Quand le bâtiment va, tout va !
L’enjeu est de taille pour les travailleurs et leurs organisations car tous prévoient des temps difficiles pour les 140 000 salariés du secteur, le deuxième en importance au Québec, dont l’activité représente 11% du PIB.
Déjà, le chômage est structurellement associé à l’industrie de la construction, étant donné son mode d’opération. Les chantiers ouvrent, les chantiers ferment. Leur durée de vie ne dépasse pas en moyenne deux mois et demi. Entre deux chantiers, il arrive souvent que les travailleurs se retrouvent sur l’assurance-emploi. « On nous condamne à chômer pour avoir une main d’œuvre disponible quand on en a besoin», constate Richard Goyette qui ne comprend pas comment, dans ces conditions, certains peuvent accuser les travailleurs de fainéantise ou d’être des profiteurs.
Le système actuel prévoit la constitution de bassins de main d’œuvre régionaux pour que la priorité dans l’embauche soit donné aux travailleurs de la région. « Nous favorisons également l’approvisionnement des entrepreneurs en biens et services pour la construction et hors construction dans la région », ne manque pas de souligner le directeur de la FTQ-Construction en insistant sur le fait que le développement économique régional est un objectif de son organisme.
Soucieux de la sauvegarde des intérêts régionaux, Richard Goyette l’est tout autant de ceux du Québec dans l’ensemble canadien et international. Au mois de mars dernier, quand le premier ministre Charest a rendu public ses projets de « nouvel espace économique » avec la France et l’Europe, mais également dans le grand tout canadien, Richard Goyette est intervenu pour souligner que l’industrie de la construction était directement touchée par ces projet. D’une part, par le biais d’une entente France-Québec sur la reconnaissance des compétences des travailleurs qualifiés. Ensuite, par la mise en œuvre complète de l’Accord sur le commerce intérieur (ACI) quant à la mobilité de la main-d’œuvre à travers tout le Canada.
Richard Goyette, alors directeur-adjoint, a averti le gouvernement Charest que « de telles ententes ne peuvent se réaliser sans la concertation et la participation active des différents acteurs de l’industrie de la construction du Québec»
Pénurie ou manque de rétention de la main d’oeuvre
Les médias parlent souvent d’une pénurie de main d’œuvre dans le domaine de la construction. Richard Goyette aborde le sujet sous un autre angle. « Je parlerais plutôt du manque de capacité de rétention des travailleurs », précise-t-il en pointant du doigt toute la question de la santé et de la sécurité au travail.
« ‘‘De la façon dont on travaille, ça ne ressemble pas à ce que j’ai appris à l’école’’, nous disent plusieurs jeunes pour justifier leur choix de quitter la construction pour un autre secteur d’activité », signale-t-il.
« Il y a dix ans, avec 4% de la main d’œuvre, l’industrie comptait 18% des décès. Aujourd’hui, avec 5% de la main d’œuvre, c’est 25% des décès! », s’indigne celui qui, après des études en droit et son admission Barreau du Québec, a enseigné à l’Université de Montréal la santé et la sécurité du travail de 1982 à 1996 et qui préside depuis plusieurs années le comité de santé-sécurité de la FTQ.
Prenant la craie, il se dirige vers le tableau et nous explique en détails les grands et généreux principes de la Loi sur la santé et la sécurité au travail et … leur non application sur la plupart des chantiers du Québec! « Les dispositions de la loi sont appliquées sur seulement 13% de l’ensemble des secteurs d’activité au Québec et 3% des chantiers. Sur les chantiers, il n’y a pas d’identification des problèmes, pas de comité santé-sécurité, pas de représentant à la prévention. Et les amendes sont ridicules. Le maximum est fixé à 20 000 $, alors que c’est un million de dollars dans d’autres provinces. »
« Pourtant, ce serait faisable, ajoute-t-il. On l’a fait dans les mines et le nombre d’accidents a chuté. Mais, dans la construction, on pense à court terme, on pousse les gens dans le dos en pensant économiser, alors que toutes les études démontrent que ces mauvaises méthodes de travail haussent les coûts de production. »
Le travailleur de la construction est aussi un citoyen
Richard Goyette, qui vient d’une famille d’ouvriers de la construction, a commencé sur les chantiers comme manœuvre à l’âge de 18 ans. À 23 ans, il était élu sur l’exécutif provincial et se voyait charger des dossiers sociaux : assurance-emploi, santé et sécurité au travail, retraite.
Aujourd’hui, plus de 35 ans plus tard, il leur accorde toujours la plus grande importance. « Le travailleurs de la construction a droit, affirme-t-il, à un emploi qui s’exerce dans la dignité et le respect de sa santé et sa sécurité autant sur le plan physique que psychologique. Cet emploi doit lui procurer un revenu décent et lui permettre de se réaliser dans sa vie professionnelle et personnelle. »
Il poursuit : « La société dans laquelle il évolue doit lui permettre de bénéficier de services de qualité en matière d’éducation et de formation, de santé et de sécurité du revenu. Et ces services doivent avoir un caractère public. »
Ces grands principes, ils sont inscrits dans la mission de la FTQ-Construction. Cela explique pourquoi le syndicat s’est engagé à fond dans la campagne contre la privatisation des soins de santé.
Richard Goyette est aussi fier de nous souligner que « la FTQ-Construction participera à la construction des cinq patinoires extérieures que la Fondation du Canadien de Montréal pour l’enfance offrira à différents quartiers de Montréal » et qu’elle s’est associée depuis longtemps à la Maison Victor-Gadbois qui offre gratuitement des soins palliatifs spécialisés à des gens atteints du cancer en phase terminale et au Groupe GYM pour soutenir le Club des petits déjeuners du Québec.
Richard Goyette veut changer l’image des travailleurs de la construction. « On nous présente souvent comme des gens dangereux. Mais j’ai envie de dire aux gens : le travailleur de la construction, c’est celui que vous côtoyer dans votre école, votre hôpital, votre quartier. »
Changer le régime de négociation pour mettre fin aux luttes fratricides. Changer l’image des gars de la construction. Et, pourrions-nous ajouter, changer aussi l’image de la FTQ-Construction. C’est le programme que s’est donné Richard Goyette, son nouveau directeur.
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