Danny Williams exproprie AbitibiBowater

2008/12/17 | Par Pierre Dubuc

Coup de tonnerre dans le secteur des ressources naturelles. Le premier ministre Dany Williams de Terre-Neuve exproprie les installations d’AbitibiBowater en réponse à la décision de la compagnie de fermer son usine de Grand-Falls-Windsor. Une approche radicale qui réjouit les syndicalistes québécois qui ont vu, récemment, le ministre responsable du Développement économique Raymond Bachand accepter piteusement la fermeture de l’usine de Donnacona d’AbitibiBowater et la mise à pied de 250 ouvriers.

Le geste de Dany Williams a fait la manchette des journaux du Canada anglais, alors que la presse québécoise l’a quasiment passé sous silence. Récapitulons les faits. À peine quatre jours après l’envoi d’un courriel enjoignant à la compagnie de « rendre sur le champ leurs droits sur toutes leurs ressources dans la province », le premier ministre Williams déposait un projet de loi expropriant les droits de coupe de bois et d’utilisation des ressources hydro-électriques de l’usine de papier de Grand-Falls-Windsor.

L’Assemblée législative de la province, l’opposition inclus, s’est levée d’un bloc pour ovationner le premier ministre. Dany Williams a justifié son geste en disant qu’AbitibiBowater « avait renié l’esprit de l’entente de 1905 qui cédait ces droits à l’ancêtre de la papetière en échange de sa contribution au développement économique au profit des habitants de la province ».

Le premier ministre terre-neuvien a ajouté que le cabinet avait le droit de fixer unilatéralement le montant des compensations accordées à la compagnie. « Le cabinet a le pouvoir de dire : Voici la formule que nous avons retenue; voilà votre compensation; voilà votre chèque ».

La décision d’AbitibiBowater de fermer ses installations au mois de mars prochain a été annoncée après le double rejet du plan de restructuration par le syndicat des travailleurs. Le plan prévoyait le recours à la sous-traitance qui aurait signifié l’élimination de plusieurs centaines d’emplois.

Les représentants syndicaux applaudissent à leur tour – tout comme l’ensemble de la population – le geste du gouvernement et croient que cela va ramener la direction d’AbitibiBowater à la table des négociations dans de meilleures dispositions à leur égard.

Ça nous change de nos politiciens à quatre pattes

Les syndicalistes québécois trouvent réjouissante la décision de Dany Williams. « C’est tout un message qui est envoyé, de déclarer Jean-Marc Crevier, le représentant du Conseil régional de la FTQ au Saguenay Lac St-Jean. Ça nous change de nos politiciens à quatre pattes. J’espère qu’il y en a qui vont prendre exemple sur Dany Williams. »

Tout le monde a en mémoire l’attitude lamentable de Raymond Bachand, le ministre responsable du Développement économique du Québec, lors de la fermeture de l’usine de Donnacona d’AbitibiBowater au début du mois de décembre. Le ministre Bachand avait alors admis que le gouvernement avait sacrifié la relance de l’usine de Donnacona en échange de la promesse de la compagnie de maintenir ses activités aux usines de Dolbeau et de Grand-Mère.

Le ministre Claude Béchard avait renchéri : « Malheureusement, Abitibi nous a dit clairement : ‘‘Donnacona, ça va fermer. Il y a maximum 5% de chances qu’on la laisse ouverte’’. On a réussi à en sauver deux, on a fait notre job. »

Par ce geste, le gouvernement autorisait AbitibiBowater à se désengager de son obligation d’exploiter de façon continue l’usine de Donnacona jusqu’en 2011. Cette obligation avait été contractée en 1998 en échange d’un investissement de 36 millions de dollars dans l’usine pour sa modernisation par la Société de développement industriel du Québec. Depuis 1998, les 250 travailleurs de l’usine avaient accepté un gel de salaires de trois ans et la suppression de 56 postes.

La CSN, qui représente les travailleurs de Donnacona, a jugé l’entente illégale et a déposé une requête devant la Cour supérieure réclamant pour les travailleurs 43 millions à AbitibiBowater, Investissement Québec et le procureur général du Québec.

Mettre le poing sur la table

Michel Routhier, travailleur d’AbitibiBowater et président du Conseil régional (FTQ) du Haut du Lac (Chibougamau/Chapais) souligne que le grand problème avec l’industrie papetière est qu’elle n’investit pas pour moderniser ses installations. « Elles disent avoir des problèmes aujourd’hui. Mais elles n’ont effectué aucun réinvestissement quand elles faisaient des 300 ou 400 millions de profit par trimestre. Tout allait aux actionnaires. À Dolbeau, il y a une machine à papier encore en activité qui a 100 ans. Les derniers investissements dans l’industrie papetière remontent aux années 1980. »

Le syndicaliste Jean-Marc Crevier rappelle que le Québec n’a pas toujours eu une attitude aussi servile. « Lucien Bouchard, alors député de Jonquière et premier ministre du Québec, avait mis le poing sur la table, nous dit-il, lorsque la papetière de Kénogami avait menacé de fermer ses portes. Lucien Bouchard leur avait dit : ‘‘On va vous enlever vos droits hydro-électriques’’. Cela avait porté fruit. L’année suivante, la compagnie modernisait ses installations. »

Dans le contexte actuel de crise économique, les entreprises ne se gêneront pas pour exiger des concessions des travailleurs et des gouvernements. Le geste du premier ministre Danny Williams ne sera sans doute pas imiter spontanément par les autres premiers ministres. Mais il envoie le message que les travailleuses et les travailleurs peuvent exiger de leur gouvernement autre chose que leur habituelle résignation.