La ville de Québec n’en finit plus de nous étonner. Après les célébrations de l’été dernier pour souligner le 400e anniversaire de sa fondation, détourné de leur sens historique, après que des artistes originaires de cette ville décident de faire carrière en anglais, voici maintenant ses citoyens qui s’enflamment pour la tenue d’un événement de sport extrême, au nom très peu patrimonial de Red Bull Crashed Ice ainsi nommé par le commanditaire, une entreprise de boisson énergisante aux valeurs nutritives qui ne font pas l’unanimité.
Son maire, Régis Labeaume, emporté par l’enthousiasme de ses commettants a même lancé un mot d’ordre à la population d’acheter cette boisson en quantité pour envoyer un message clair d’appui à la compagnie contre les citoyens du Vieux-Québec qui menacent d’entreprendre des poursuites judiciaires pour mettre fin à cet événement. Vingt-quatre heures plus tard, le même personnage enjoignait les jeunes soldats du 22e régiment d’aller courageusement combattre les barbares en Afghanistan. Qu’est-ce qui ne va pas à Québec?
Québec, c’est la capitale nationale du Québec, évidemment. Tous les écoliers savent cela. Mais dans les documents émanant du gouvernement fédéral, lorsqu’on parle de la « capitale nationale », on parle plutôt d’Ottawa. Et lorsqu’on utilise l’expression « la Vieille Capitale », on parle de la ville de Québec, bien sûr, mais bien malgré nous, on laisse ainsi sous-entendre qu’il y a une nouvelle capitale nationale. Ottawa of course.
Si on recherche sur Internet une liste de capitales du monde, Québec n’y est pas. Qui plus est, au début de l’année, certains se sont étonnés de voir apparaître à Québec certaines affiches où l’expression « capitale nationale » était remplacée par l’expression « votre capitale » sans autre qualificatif. Les responsables gouvernementaux ont expliqué que c’est parce qu’il n’y avait pas assez de place sur l’affiche…
Les gens de Québec ne le disent pas ouvertement, mais semblent se douter de quelque chose. Instinctivement, ils savent que leur capitale n’est pas aussi considérée qu’elle devrait l’être. D’où leur engouement pour le premier Red Bull Crash Ice venu qui leur promet de diffuser des images de leur ville sur des milliers d’écrans de téléviseurs de la planète. Et combien de projets sont ainsi présentés avec l’objectif explicite de faire reconnaître la ville de Québec internationalement? Misère!
Une ville pas si petite
Souvent, on avance que si Québec n’est pas plus reconnu, c’est parce que ce n’est pas une grande ville. Selon le dernier recensement de Statistique Canada, Québec avait 715,000 habitants. Voilà l’explication, penserez-vous.
Pas si vite. Vous avez déjà entendu parler d’Oslo en Norvège, d’Helsinky en Finlande ou de Copenhague au Danemark? Bien sûr, direz-vous, ce sont des grandes villes d’Europe. Désolé, mais elles sont toutes plus petites que Québec. Leur population officielle est de 520,000 habitants pour la première, 560,000 pour la deuxième et 500,000 pour la dernière.
Mieux, la ville de Washington est plus petite que Québec. La population du District fédéral de Columbia, à l’intérieur duquel se trouve la capitale des États-Unis d’Amérique a officiellement une population de 600,000 habitants. Alors? Si elles sont connues, ne serait-ce pas plutôt parce qu'elles sont des capitales nationales de pays souverains?
À l’occasion du 400e anniversaire de fondation de la ville de Québec, l’Assemblée nationale a confié à un collectif d’historiens la tâche de rédiger un ouvrage d’envergure sur l’histoire de la ville. Dans l’introduction, ils précisent dès le départ qu’il existe plusieurs types de capitales, des capitales naturelles et historiques, comme Paris, Londres, Rome ou Athènes, alors que d’autres, sont des capitales inventées, comme Washington, Brasilia et Ottawa. Québec, écrivent-ils, fait partie de la première catégorie.
Quel est l’avantage pour une ville d’avoir le titre de capitale nationale? « Par sa volonté ou par nécessité politique, l’État favorise le développement des infrastructures, des assises économiques et des établissements du lieu qui incarne son gouvernement. Dans les capitales modernes, de création récente, on fonde et on soutient des bibliothèques, des centres d’archives, des maisons littéraires, des musées, des théâtres et des universités; en plus des grandes institutions politiques, on attire des entreprises, on bâtit des routes et des voies d’accès, tout cela pour donner un sens à la capitale et l’enraciner dans la culture, l’économie et l’histoire nationales. »
Bref, une capitale nationale n’entraîne pas le même type de développement que celui d’une métropole. Washington n’est pas New York, Ottawa n’est pas Toronto et Québec n’est pas Montréal. La véritable ville compétitrice de Québec c’est plutôt Ottawa parce que toutes deux, sont sur la même patinoire, celle du politique.
Une identité incertaine
Le collectif d’auteurs de Québec : quatre siècles d’une capitale écrivent : « La Révolution tranquille a résolument transformé Québec capitale provinciale en capitale nationale. La « vieille » capitale s’est affranchie d’un passé victorien stérile et elle a osé enfin affirmer pleinement son rôle, portée par l’élan des réformes soutenue par Montréal et le dynamisme des grandes régions du Québec. » Plus loin ils ajoutent : « En modernisant l’État, en bâtissant une cité administrative du XXe siècle autour du vénérable hôtel du Parlement, en proclamant que le français était sa langue officielle, en faisant de son Assemblée législative une Assemblée nationale, en dotant son premier ministre d’un appartement de fonction, le Québec tout entier a marqué dans sa capitale un profond changement historique, dont le précédent virage remontait à l’Union de 1840. » Plus loin, ils poursuivent, « Tout en hésitant entre l’avenir d’une capitale souveraine ou celui d’une capitale provinciale, Québec, a été le laboratoire de la révolution de l’État québécois. »
Mais alors, si Québec est le siège du pouvoir de l’État québécois, l’avenir politique du Québec aurait-il un effet sur le développement de la capitale nationale? Les auteurs ne répondent pas directement à cette question. Énigmatiques, ils concluent ainsi : « Vaisseau d’espérances, Québec répond ainsi à l’appel incessant du fleuve, fait de brumes et de clartés, de marées et de débâcles, faisant cap au large, l’âme ouverte sur d’autres matins du monde. » Ouf! Heureusement, qu’on a la poésie pour répondre aux questions difficiles, mais malheureusement, il semble bien, dans ce cas-ci, que la poésie ne réussit pas à apaiser la blessure des citoyens de Québec.
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