Le Premier Mai est une occasion privilégiée pour le mouvement syndical de faire le point sur ses luttes passées et ses perspectives d’avenir. Une réflexion d’autant plus essentielle qu’il s’apprête à faire face à la plus grave crise économique depuis la Grande Dépression des années 1930.
Dans L’expérience syndicale au Québec (1), Jacques Rouillard constate que « le pouvoir d’achat des salariés n’a pas augmenté depuis plus d’un quart de siècle, du jamais vu dans l’histoire du Canada et du Québec pendant tout le XXe siècle », bien qu’au cours de cette période « le produit intérieur brut en dollars constants ainsi que la productivité du travail se sont accrus régulièrement presque chaque année. »
L’historien ajoute que « les gouvernements ont eu tendance à assouplir ou à ne pas améliorer les lois qui régissent le marché du travail afin d’assurer plus de ‘‘flexibilité’’ aux employeurs » et il en est résulté « une augmentation des emplois précaires, de très faibles hausses du salaire minimum – moindres que la croissance de l’indice des prix – et des normes de travail qui stagnent ».
Contrairement aux États-Unis et – dans une moindre mesure au Canada – le taux de syndicalisation au Québec est demeuré relativement important au Québec, mais il est quand même passé de 42,6% en 1991 à 35,8% en 2007, soutient Jacques Rouillard. Aux États-Unis, il a chuté de 33% qu’il était dans les années 1950 à 12% en 2006.
Au Québec, comme ailleurs dans le monde, le mouvement syndical a été placé sur la défensive depuis le début des années 1980 avec l’émergence du discours néolibéral et l’adoption de lois anti-syndicales. Cela s’est traduit par une chute marquée de combativité.
« De 1986 à 2006, rapporte Couillard, le nombre annuel moyen de conflits de travail au Québec a diminué de 46 % par rapport aux années 1970 (de 289 à 155). Quant aux jours de travail perdus à cause de ces conflits, ils ont fondu encore bien davantage : au cours des vingt dernières années, on enregistre annuellement, en moyenne, trois fois moins de jours perdus par rapport aux années 1970 (de 2 487 000 à 773 000). La chute est encore plus significative quand on sait que le volume de la main-d'œuvre salariée s’est accru au cours des vingt-six dernières années. »
Dans L’Amérique que nous voulons (2), Paul Krugman décrit comment s’est mis en place aux États-Unis la constellation d’instituts de recherche et de médias – grassement subventionnés par les fondations patronales – qui, à partir du milieu des années 1970, a fait basculer à droite l’opinion publique américaine et mené à l’élection de Ronald Reagan.
Au Canada anglais, Lawrence Martin est revenu à plusieurs reprises dans ses chroniques publiées dans le Globe and Mail sur le virage à droite de la presse anglophone du Canada depuis la création du National Post par Conrad Black en 1998 et l’expansion de la chaîne de médias Canwest, propriété de la famille Asper de Winnipeg. Cela a permis l’élection de Stephen Harper.
Au Québec, à la concentration exceptionnelle des médias entre les mains de deux conglomérats familiaux, Quebecor de la famille Péladeau et Gesca, propriété de Power Corporation de la famille Desmarais, s’est ajouté la convergence entre chaînes de télévision et journaux, LCN-TVA et Journal de Montréal et de Québec d’une part et Radio-Canada-Gesca d’autre part. Cela nous a donné un troisième mandat pour Jean Charest.
Analysant les causes de la faiblesse de l’appui populaire aux revendications syndicales, Jacques Rouillard relève que « dans le traitement des conflits, les journalistes insistent plus sur les conséquences d’une grève sur le public que sur les enjeux qui l’ont provoquée ». Il ajoute que « la distorsion la plus importante vient probablement du fait que l’on s’adresse aux auditeurs en tant que contribuables, citoyens et consommateurs, mais rarement en tant que travailleurs. Les médias contribuent alors à affaiblir le sens du ‘‘nous’’ collectif propre à la classe des travailleurs. »
L’omniprésence des médias, particulièrement de la télévision, mine l’importance des organisations syndicales comme relais politique. Au cours des années 1950 et 1960, les syndicats en tant qu’organisations de masse les plus importantes de la société étaient des passages obligés pour les partis politiques s’ils voulaient rejoindre les électeurs. Mais, cette médiation est devenue beaucoup moins importante, à partir du moment où les partis politiques pouvaient rejoindre directement aux électeurs par l’intermédiaire de la télévision.
Cependant, il ressort de l’expérience historique du syndicalisme nord-américain, comme le souligne à bon droit Jacques Rouillard, que « l’appui de l’État représente une composante essentielle à son progrès, notamment parmi les travailleurs qui ont un faible rapport de force dans l’entreprise ».
Il en résulte, enchaîne-t-il, que « tout autant qu’une prise de conscience des salariés eux-mêmes, le soutien du législateur est indispensable à la pénétration du syndicalisme dans les nouveaux secteurs d’emploi du secteur tertiaire où, en général, les salaires sont plus faibles et les conditions de travail laissent à désirer. »
Comment les syndicats peuvent-ils aujourd’hui rétablir leur pertinence sociale, leur influence sur les partis politiques et sur les gouvernements?
Une bonne partie de la réponse tourne autour de leur capacité et de leur habileté future à intervenir sur le terrain médiatique. La crise actuelle des médias traditionnels et l’émergence des nouvelles technologies leur offrent cette possibilité s’ils savent s’en servir.
La campagne électorale de Barack Obama peut servir d’exemple et d’inspiration. Une utilisation judicieuse de blogues et d’instruments comme Facebook et Twitter a permis de mobiliser les jeunes générations et les électeurs qui boudaient les urnes pour construire un mouvement de masse qui a contribué à l’élection d’Obama à la Maison Blanche. L’empire médiatique de la droite a été mis en échec.
L’utilisation des nouveaux médias par l’équipe Obama a confirmé la thèse selon laquelle la solution à une situation bloquée par la concentration des médias passe par l’apparition et l’utilisation de nouveaux médias. Franklin Roosevelt a réussi à faire adopter son New Deal contre une presse hostile avec ses « causeries au coin du feu » à la radio, un nouveau média à l’époque. À la fin des années 1950, De Gaulle a imposé sa solution à la question algérienne par ses interventions à la télévision d’État. Au Québec, la Révolution tranquille a aussi été en bonne partie le produit de ce nouveau média qu’était la télévision. Son acteur le plus important, René Lévesque, était un produit du petit écran.
L’approfondissement de la crise peut être profitable à une résurgence à moyen terme du mouvement syndical. Les éléments les plus éclairés de la classe dirigeante savent qu’il n’y aura pas de sortie de crise véritable sans la reconstitution de la classe moyenne et du mouvement syndical qui a permis au départ son émergence.
Dans son édition du 5 avril 2009, le New York Times déplorait la passivité du mouvement syndical américain face à la crise. Le journaliste rappelait qu’il n’y a eu l’an dernier que 159 arrêts de travail aux États-Unis comparé à 1 352 en 1981. Rien de comparable à l’activité syndicale en France où les travailleurs séquestrent les patrons, notait-on en soulignant que plus d’un million de travailleuses et de travailleurs sont descendus dans les rues dernièrement contre les mesures de crise.
L’éditorial de la même édition du NY Times, consacré au chômage, pressait l’administration Obama d’aller de l’avant avec « ses promesses initiales en faveur du mouvement ouvrier ».
« Des objectifs comme des syndicats plus puissants ne changeront pas la vie économique des ouvriers en une nuit, mais aller dans cette direction, en commençant dès maintenant, contribuera à raviver l’espoir qui semblait vaciller cette semaine », écrivait l’éditorialiste du NY Times, un journal qui n’a pourtant pas la réputation d’être pro-syndical.
L’éditorialiste aurait pu rappeler pour appuyer ses propos le préambule de la loi Wagner adoptée en 1935 par le Congrès américain dans le cadre du New Deal pour favoriser la syndicalisation. Il mentionne explicitement que « l’inégalité du rapport des forces entre gros employeurs et employés individuels tend à aggraver les récessions en diminuant les salaires et le pouvoir d’achat des salariés. »
Évidemment, des forces puissantes aux États-Unis, au Canada et dans tous les pays s’opposent férocement et vont continuer de vouloir faire échec à toute solution progressiste à la crise. On les voit dans l’entourage d’Obama. Ils sont au pouvoir dans les cabinets Harper et Charest.
Le mouvement ouvrier n’obtiendra rien sans lutte. Et cette lutte ne peut s’organiser efficacement sans une utilisation intelligente et massive des nouveaux médias de communication.
(1) Jacques Rouillard, L’expérience syndicale au Québec, ses rapports avec l’État, la nation et l’opinion publique, VLB éditeur, 2008.
(2) Paul Krugman, L’Amérique que nous voulons, Flammarion, 2007.
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