La crise est-elle planifiée?, se demandait Jean-Pierre Fortin dans son Rapport devant les quelque 150 délégués des TCA-Québec réunis à Montréal le 24 avril dernier. Si elle n’est pas planifiée, elle est au moins instrumentalisée. Le directeur québécois des Travailleurs canadiens de l’automobile, de l’aérospatiale et du transport ne peut que constater que les patrons utilisent la crise à leur profit.
Que ce soit à Paccar, le constructeur de camions, où les effectifs ont fondu de 1 200 à 425 salariés ou à la Pratt & Whitney qui élimine 1000 emplois dont 500 emplois syndiqués, les profits sont toujours au rendez-vous.
Au Canadien Pacifique, on élimine une soixantaine d’emplois à l’entretien mécanique. Chez Rio Tinto/Alcan, l’usine de Beauharnois est fermée prématurément envoyant 175 travailleurs sur le trottoir. À l’usine de Vaudreuil, c’est 60 postes éliminés.
Une entente secrète
Le cas de Rio Tinto-Alcan est particulièrement troublant. Les TCA ont mis la main sur une entente secrète signée entre le gouvernement Charest et la compagnie qui permet à cette dernière de fermer en toute impunité quatre usines au Québec, malgré un prêt mirobolant du gouvernement du Québec à la compagnie.
« Le gouvernement Charest a prêté 400 millions de dollars de nos taxes, remboursables dans 30 ans seulement et sans intérêt, tout en permettant l’élimination de 2 000 emplois dans quatre usines », de s’insurger Jean-Pierre Fortin.
Les syndiqués ont calculé qu’avec ces fermetures, Rio Tinto Alcan atteint l’autosuffisance en électricité. « Si une autre usine ferme, précise Jean-Pierre, ses installations hydro-électriques vont produire un surplus d’électricité que l’entente secrète l’autorise à vendre sur le marché. »
Les syndicats s’opposent avec vigueur à cette éventualité en rappelant que l’Alcan a échappé à la nationalisation en 1962 à la condition que sa production électrique serve à la transformation de l’alumine en aluminium.
Situation scandaleuse chez Air Canada
Autre sujet d’inquiétude palpable est la situation chez Air Canada où on évoque la possibilité que la compagnie ait de nouveau recours à la Loi sur les arrangements avec les créanciers. Le couteau sur la gorge, les syndiqués ont alors fait d’énormes sacrifices pour maintenir l’entreprise à flot.
Mais ils ont vu, depuis, les actionnaires de l’entreprise se partager deux milliards de dollars par suite de la vente des actifs les plus rentables et le P.d.g. s’attribuer une rémunération scandaleuse de 42 millions de dollars en 2007.
Angoisse chez les retraités
Mais la situation la plus angoissante, ce sont les représentants des 3000 retraités de GM de Ste-Thérèse qui l’exprimaient ce soir-là. Au même moment, Ken Lewenza bouclait à Toronto la négociation avec Chysler. Tout le monde était conscient que l’entente signée allait avoir des conséquences sur les négociations avec GM.
Profond soulagement, le lendemain, quand on a appris que, s’ils avaient dû céder plusieurs bénéfices marginaux, les TCA n’avaient pas reculé sur les salaires ni sur les pensions.
Des solutions
Les TCA ne se cantonnent pas dans une position défense face à la crise. Ils avancent des solutions. Ils constatent que les États-Unis appliquent le Buy America Act. Par exemple, l’entreprise Nova Bus va construire une nouvelle usine à Plattsburgh car la loi exige un contenu américain d’au moins 60 %. Mais, plus insultant encore, elle a obtenu le contrat pour la production de 130 autobus urbains pour les Jeux de Vancouver qui seront construits… aux États-Unis!
Le directeur des TCA qualifie Stephen Harper d’anti-canadien. « Il a accordé des contrats totalisant plus de 17 milliards de dollars pour renouveler notre flotte d’avions militaires à des entreprises américaines sans aucune exigence d’un minimum de contenu canadien. »
« Il a commandé, de poursuivre Jean-Pierre Fortin, plus de 1 300 camions militaires d’une valeur de 274 millions à Navistar au Texas qui a pourtant une usine en Ontario. Il acheté 30 autobus pour le transport des militaires. C’est l’entreprise allemande Setra qui a obtenu le contrat, sans exigence de contenu canadien, alors que Prévost-Car à Ste-Claire était sur les rangs. »
« Le gouvernement s’apprête à commander des avions de recherche/sauvetage pour une valeur de 3 milliards de dollars que Bombardier pourrait très bien fabriquer. Mais le gouvernement Harper s’apprête à donner le contrat à une entreprise italienne. »
Faire de la politique : l’exemple de la section locale 510
Pour appuyer leurs revendications, les TCA font des représentations auprès des partis politiques et s’impliquent directement dans l’action politique. L’ancien directeur québécois des TCA, Luc Desnoyers, aujourd’hui député du Bloc Québécois, était d’ailleurs présent à cette instance.
D’autres, comme Serge Dupont, le président de la section locale 510 représentant les syndiqués de la Pratt & Whitney, multiplient les actions sur le terrain. Nous l’avons rencontré à ce sujet dans ses bureaux de Longueuil.
« Nous avons fait du porte-à-porte lors de la dernière campagne fédérale et nous avons aussi mis beaucoup d’efforts pour l’élection québécoise. Il nous fallait battre l’adéquiste dans le comté de Marguerite d’Youville et faire élire Monique Richard. Nous avons réussi. Monique a gagné avec le taux de participation le plus élevé au Québec. »
« Nous n’avons pas peur de prendre des alignements politiques et on en fait la promotion sur les lieux de travail », de nous expliquer le dynamique Serge Dupont.
« Au cours des trois dernières semaines, nous avons rencontré quatre politiciens pour leur signifier que nous voulons des amendements à l’assurance-emploi. Il faut élargir les critères d’admissibilité, payer les semaines de carence et mettre en place un programme de formation. »
Cette question tient particulièrement à cœur au syndicat de la Pratt & Whitney dont 500 des membres viennent de perdre leur emploi. Le syndicat a peu limiter les dégâts avec 177 départs à la retraite dans des conditions avantageuses.
Serge Dupont ne se laisse pas abattre. Il pense que des travailleurs pourront être embauchés à la nouvelle usine que la compagnie construit actuellement à Mirabel pour produire, entre autres, les moteurs de la Cseries de Bombardier. « J’ai su qu’il y avait 50 commandes fermes pour la Cseries. Il semble que la crise va forcer les compagnies aériennes à s’équiper d’avions moins gros, moins énergivores et plus économiques. De plus, 70 % de flotte d’hélicoptères est âgé. »
Les travailleurs de l’usine de Mirabel - qui doit ouvrir au printemps 2010 - feront partie de la même unité syndicale. « La compagnie reconnaît la compétence de nos travailleurs, déclare avec une fierté non dissimulée le président du local 510. Avec la même représentation syndicale, les travailleurs pourront être transférés d’une usine à l’autre. »
Serge Dupont ne partage pas le pessimisme que l’on retrouve dans certains milieux syndicaux. « Je pense que les gens vont se réveiller. Quand tout va bien, les gens roulent en surtemps et dorment sur la switch. »
Chose certaine, on ne peut pas dire que Serge Dupont « dort sur la switch ». Il multiplie les représentations auprès des députés québécois. « Il faut que le gouvernement incite Hydro-Québec à acheter des camions Paccar, construits au Québec, plutôt que des International, construits à l’étranger. Paccar construit 25 camions par jour, ils peuvent en construire 75. Même chose pour les autobus. Prévost en construit un par jour. Elle est en mesure d’en construire 5. »
Pour le Premier Mai, la section locale 510 s’est fait un ardent promoteur de la tenue d’un rassemblement inter-syndical en Montérégie. Une première. Les autres syndicats viennent apporter leur soutien aux ouvriers de la Pratt & Whitney qui ont perdu leur emploi. « Le Syndicat de l’enseignement de Champlain a compris que ça les touche. Les enfants dont les parents ont perdu leur emploi, c’est dans leurs classes qu’ils vont se retrouver. Pour notre part, nous irons leur donner un coup de main lors des négociations du secteur public », de conclure Serge Dupont.
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