Feu le Conseil de presse du Québec ?

2009/05/04 | Par Robin Philpot


Robin Philpot est l'auteur de Derrière l’État Desmarais : Power (Les Intouchables 2008).

Le Conseil de presse du Québec vit-il ses dernier jours? Deux faits récents nous obligent à poser cette question. Et si la réponse est Oui et que le Conseil est mourant, une autre question incontournable se pose : reste-t-il au Québec un recours aux citoyens qui se sentent lésés par les grands médias d’information?

Surtout, s’ils croient également à la liberté d’expression, ce qui milite contre un procès en diffamation, ou encore s’ils n’ont pas les moyens d’affronter une meute d’avocats aguerris et grassement payés par ces mêmes médias?

Le premier fait, dont il a été amplement question dans les médias, fut le retrait du Conseil de presse de l’Association québécoise des télédiffuseurs et radiodiffuseurs (AQTR) en décembre 2008. L’AQTR regroupe rien de moins que TVA, TQS, Astral, Corus, RDS et Radio-Nord.

Il s’agit là d’un énorme morceau pour ce « tribunal d’honneur » dont le mandat consiste à « promouvoir le respect des plus hautes normes éthiques en matière de droits et responsabilités de la presse » et qui pouvait jusque-là prétendre que son action « s’étend à tous les médias d’information distribués ou diffusés au Québec ».

Le second fait, moins connu en raison de la concentration des médias, c’est la désinvolture du quotidien La Presse et du réseau GESCA à l’égard des décisions du Conseil de presse les concernant.

Et puisque La Presse/GESCA collabore étroitement avec Radio-Canada en vertu d’ententes qui datent de novembre 2001, cette désinvolture prend l’allure d’une contagion. Rappelons que, selon Règlement No 3, à l’article 8.2 du Conseil de presse « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises membres s’engagent pour leur part à respecter cette obligation. » La Presse comme tous les journaux de GESCA sont membres du Conseil de presse.

L’exemple de cette désinvolture concerne l’auteur de ces lignes. Le 5 mars 2009, le Conseil a retenu ma plainte contre le journaliste André Noël et le quotidien La Presse au sujet d’un article publié le 28 mars 2008 à la veille d’un conférence intitulée Les médias et le Rwanda : la difficile recherche de la vérité.

La décision, qui fait 7 pages, se termine comme suit : « Pour l'ensemble de ces raisons, le Conseil de presse retient la plainte de M. Robin Philpot contre le journaliste André Noël et le quotidien La Presse principalement aux motifs de manquements à l’équilibre et d'atteinte à la dignité de la personne. » www.conseildepresse.qc.ca. Le Conseil a rendu public la décision par voie de communiqué de presse le 1er avril 2009.

De tous les médias québécois, à notre connaissance, seul le journal Le Devoir a fait état de cette décision. Pas un mot dans La Presse, ni sur Cyberpresse, ni dans aucun journal de GESCA!

Et pourtant, un tribunal d’honneur composé de journalistes et de représentants des médias a conclu que le plus important quotidien québécois, qui fait partie d’un réseau de quotidiens qui regroupe 70 % des quotidiens francophones du Québec, avait manqué à l’équilibre et, surtout, avait porté « atteinte à la dignité de la personne » du plaignant. Ce n’est pas rien! Dans d’autres circonstances, une telle décision aurait peut-être mérité un dédommagement financier d’envergure!

Mais pour quelqu’un qui croit fermement à la liberté de presse, un tribunal d’honneur, où des pairs jugent les pairs sans autre menace que mauvaise note donnée par ses pairs, représente une bien meilleure façon de se faire respecter et de veiller au respect des plus hautes normes en matière de liberté de presse et de droits et responsabilités de la presse.

À LA condition, toutefois, que la décision soit largement diffusée par les médias! Sinon, la décision du Conseil de presse n’existe à peu près pas et n’a aucune valeur!

Il est utile de rappeler que le Conseil de presse, à l’instar la Fédération professionnelle des journalistes du Québec fondée en 1969, a été créé en 1973 dans la foulée de la tentative de l’homme d’affaires Paul Desmarais et de Power Corporation de mettre la main sur un ensemble de médias québécois importants après avoir pris le contrôle de La Presse en 1967.

La création du Conseil de presse faisait suite à une Commission parlementaire spéciale de l’Assemblée nationale du Québec créée en 1969 pour se pencher sur cette concentration des médias d’information ainsi que d’un comité spécial du Sénat canadien qui avait emboîté le pas à l’Assemblée nationale.

Alors que Paul Desmarais et Power Corporation pouvaient se targuer d’avoir été, par un effet pervers, à l’origine du Conseil de presse, seront-ils, par leur désinvolture ses fossoyeurs en 2009?