On achève bien les abattoirs

2009/05/12 | Par Camille Beaulieu

Rouyn-Noranda- Un cadeau de Grec que ces garanties gouvernementales supposées faciliter le financement de nouveaux projets? Dans Un Financement Fatal, le Témiscamien Raynald Ouellet raconte comment son bébé, le seul abattoir d’Abitibi-Témiscamingue sous inspection fédérale, est fermé depuis 2003 à cause de l’effet pervers des garanties gouvernementales.

Producteur laitier, bovin et porcin pendant une vingtaine d’années puis gestionnaire d’abattoir depuis 2001, Raynald Ouellet décortique en 113 pages dopées d’adrénaline comment une caisse populaire rurale a « tiré sans raison la plogue » de son entreprise et comment il a injecté depuis un demi million de dollars devant la Cour du Québec et la Cour d’appel. En vain. Un seul espoir lui reste encore aujourd’hui, la Cour suprême.

La Caisse populaire Centre est du Témiscamingue a rappelé un prêt de 2 M$ en avril 2003, explique Ouellet, alors que sa société Viandes Abitémis inc. affichait un solde positif de 200 000$. Après huit mois de rodage l’abattoir de Fugèreville allait passer de 400 à 1000 porcs par semaine.

Ce prêt était totalement cautionné par la Financière agricole du Québec (FADQ) et Investissement Québec. Sa compagnie jouissait en outre de l’appui de la Société de développement du Témiscamingue (SDT) et d’investissements privés atteignant 2,3 M$.
Bref, dénonce-t-il, lorsque la Caisse a mis la clé sous la porte au prétexte d’un emprunt de 2 M$ l’entreprise de Ouellet valait plus de huit millions de dollars.

L’auteur étaye ces prétentions de maints échanges épistolaires et données comptables dans les 16 annexes à son ouvrage.

Ouellet n’est pas seul à avoir perdu des plumes dans l’affaire. Son établissement abattait surtout des porcs mais aussi des bovins, ovins et viandes exotiques Unique abattoir sous inspection fédérale, il était seul à pouvoir fournir les épiceries.

L’abattoir de Fugèreville représentait à ce titre une pièce essentielle de la production animale dans cette région. Depuis les producteurs de boeufs, principale production d’Abitibi-Témiscamingue, font abattre leurs bêtes jusque dans l’Outaouais ou la région de Chicago.

La caisse rurale gérée par la ville

Sa mésaventure, prétend encore l’auteur, souligne une faille du système gouvernemental de garantie de prêts. Un prêteur, qui n’y perd rien, constate-t-il, se retire plus vite du jeu en situation critique. D’autant que des règles non écrites aux contrats livrent littéralement d’après lui les emprunteurs québécois, les promoteurs agricoles au premier chef, à la merci d’institutions financières aux pouvoirs démesurés puisqu’elles n’héritent d’aucune obligation en contrepartie de l’engagement gouvernemental d’éponger les pertes.

La caisse pop rurale avec laquelle M Ouellet faisait affaires depuis plus de vingt ans avait pris, explique-t-il « l’habitude d’exiger, dans le domaine agricole, que Québec garantisse la très forte majorité des prêts consentis à ses membres en capital de développement »

« Méfiez vous d’un prêteur qui ne prend aucun risque ! » D’autant, a-t-il constaté, qu’en matière de prêts la caisse est gérée depuis Montréal, par la Direction du redressement et Recouvrement de la Fédération des Caisses Desjardins.

La Cour supérieure

La Cour supérieure du Québec a débouté M Ouellet le 17 avril 2007, sans même s’intéresser, reproche-t-il aujourd’hui, aux motifs du rappel du prêt ni à l’absence d’analyse du seuil de rentabilité de l’entreprise par l’expert comptable du prêteur.

Le tribunal, affirme Ouellet, reconnaît même au prêteur le pouvoir de refuser le remboursement par l’emprunteur. Le magistrat passerait aussi sous silence l’encaissement par la caisse de placements qui ne servaient pas de garantie, le refus d’accès au compte de l’entreprise, l’omission de percevoir les comptes clients. Ce jugement sera par la suite confirmé en appel.

La Caisse populaire Desjardins refuse de commenter l’ouvrage de M Ouellet. Elle suggère par contre de consulter la décision de la Cour d’appel du Québec du 30 janvier 2009 (document disponible ici).

Le tribunal y confirme que la Caisse populaire, jusqu’alors accommodante, se devait de protéger ses créances parce que l’entreprise avait connu des difficultés financières au cours des années précédentes sans atteindre le seuil de rentabilité.

Ni la caisse ni le tribunal, déplore Ouellet, n’ont analysé la situation financière réelle de son établissement. « On n’évalue pas la rentabilité d’une entreprise en période de rodage. »

M Ouellet a construit son abattoir en 2001. La caisse a rappelé son prêt en 2003. Or, « il est reconnu que pour rendre un abattoir comme le mien à son stade opérationnel cela demande jusqu’à cinq ans. » Bref, conclut-il, finance et justice, se sont mutuellement gratté le dos à ses dépends.

« L’abattoir avait besoin de temps », reconnaît Guy Trépanier, directeur général de la Société de développement du Témiscamingue (SDT) qui a perdu un demi-million dans l’affaire. « L’industrie porcine souffrait malheureusement de nervosité pour cause de moratoire et de marchés fluctuants à l’époque. »

L’abattoir de Fugèreville au Témiscamingue est aujourd’hui encore fermé. Deux promoteurs s’y sont succédé. Le second, Guy Robert, semblait avoir de raisonnables chances de réussite et jouissait de l’appui unanime des producteurs régionaux. Las ! L’établissement a été la proie des flammes dans la nuit du 26 au 27 janvier dernier. Il s’agissait du quatrième incendie (une maison, une porcherie, une maternité puis l’abattoir) affectant les ex-propriétés de M Ouellet depuis 2003.

OUELLET, Raynald (2009). Un financement fatal, sans ville d’éditions, Viandes de l’Ouest inc., 156 pages.
Pour références supplémentaires voir : www.unfinancementfatal.com