La crise du secteur automobile est en lien direct avec la crise financière. Les constructeurs dépendent du crédit pour produire et concevoir leurs véhicules et les consommateurs les achètent ou les louent à crédit. En 2008, les ventes de voitures ont reculé de 18% aux États-Unis et on en a produit 7% de moins partout sur la planète, selon l’Organisation internationale des constructeurs automobiles. La situation continue à se détériorer cette année.
Les trois géants américains que sont Ford, General Motors et Chrysler sont particulièrement touchés et même menacés de faillite. On pointe du doigt les salaires élevés des syndiqués pour expliquer la situation, alors que leurs difficultés particulières s’expliquent plutôt par les choix déconnectés et complaisants pris par leurs dirigeants au cours des dernières années.
Avant la crise, les prix à la pompe ne cessaient d’augmenter et les analystes annonçaient unanimement la fin de l’ère du pétrole dans quelques décennies. Plutôt qu’adopter le virage vert et miser sur le développement de petites voitures économes, les trois géants ont préféré continuer à imposer leur choix de se spécialiser dans des véhicules de plus en plus gros et énergivores.
Le Monde Diplomatique de février dernier rappelle que les véhicules utilitaires sport et les 4 X 4 ont constitué 60% des ventes des trois géants en 2006. Chez Chrysler, ce ratio était de 90%! La récession a ralentit l’engouement pour les gros véhicules. Ford, GM et Chrysler en paient le prix, comme nous d’ailleurs.
Les conséquences de leur faillite seraient terribles pour l’économie américaine et canadienne. Par exemple, au Canada, le secteur automobile représente 12% du produit intérieur brut. GM emploie 15 000 travailleurs, Chrysler 9 800 et Ford 9 300. Le président des Travailleurs canadiens de l’automobile, Ken Lewenza, affirme que la faillite des trois géants pourrait engendrer une perte totalisant de près de 600 000 emplois au Canada, presqu’exclusivement en Ontario.
Lewenza se base sur une étude du Centre for Spatial Economics. Publié en décembre dernier, le document analyse l’impact de la fin des activités de Ford, GM et Chrysler au Canada. En plus des 34 100 emplois directs, l’étude évalue qu’il y aurait réduction de 72 000 emplois dans le secteur de la fabrication des pièces d’auto et de 52 400 chez les concessionnaires. À cause de l’effet multiplicateur de l’économie, il se perdrait 300 000 emplois la première année dans diverses sphères d’activités et près de 600 000 après cinq ans.
Il est désolant de constater qu’autant d’emplois dépendent de décideurs qui ont fait preuve d’incompétence. Pour sauver l’économie, le gouvernement Harper annonce un programme d’aide à GM et Chrysler, comme le fait Washington. Fidèle idéologue, Harper profite de la situation et rend l’aide gouvernementale conditionnelle à une diminution des conditions de travail des syndiqués et de celles des retraités.
Plusieurs médias ont faussement affirmé que ces travailleurs gagnent 75 $ l’heure. En fait, comme le rappelle l’économiste des TCA, Jim Stanford, le salaire horaire débute à 24 $ pour plafonner à 34 $. Ceux qui ont des emplois spécialisés plafonnent à 40 $ l’heure. Les bénéfices marginaux sont évalués à 8 ou 9 $, mais on arrive à 75$ en additionnant n’importe quoi.
Par exemple, on impute aux travailleurs actuels le manque à gagner du fonds de pension des retraités. Le président des TCA rappelle de toute façon que la main-d’œuvre ne compte que pour 7% du coût des véhicules et que les salaires plus élevés sont largement compensés par le fait que la productivité des usines syndiquées dépasse celle des usines non-syndiqués, où les salaires sont plus faibles.
À cause des développements technologiques, moins de travailleurs produisent plus de voiture. Le résultat de cette situation est que, au Canada, GM a aujourd’hui deux retraités pour un travailleur. Ce ratio est de 1,4 chez Ford et Chrysler. Ceci constitue un problème pour les trois géants puisqu’ils n’ont pas suffisamment capitalisé les fonds de pension. Ils en assument aujourd’hui le coût, de même que celui de l’assurance-santé des retraités.
Jim Stanford impute cette erreur à la direction des entreprises et rappelle que leurs activités au Canada ont connu des bénéfices à chaque année entre 1972 et 2007, sauf pour 2002. En incluant la perte de 2002, le total de ces bénéfices s’élève à 68 milliards $. Si ces entreprises doivent aujourd’hui payer ces charges, c’est qu’elles ont choisi dans le passé de les repousser, délaissant toute vision de long terme pour maximiser les profits à court terme.
C’est justement le problème avec les grandes entreprises. Lorsqu’elles gèrent mal les risques ou sont négligentes, c’est toute l’économie qui écope, à commencer par leurs employés et retraités. C’est pourquoi l’État doit mieux les encadrer. Par exemple, avant la crise, le gouvernement français avait déjà acheté des parts de Renault pour protéger l’intérêt général lors des prises de décisions.
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