Nouvelles du Saguenay : le citoyen musicien : 1, Jean Tremblay : 0

2009/05/27 | Par Pierre Demers

Si jamais le maire perpétuel de Ville Saguenay, Jean Tremblay, perd des plumes (ou inspire un candidat de l’opposition coriace) aux élections municipales de novembre 2009, ce sera à cause de la culture, son talon d’Achille.

Ce maire-là n ‘hésite pas trente secondes à investir les fonds publics dans des projets touristiques et économiques douteux comme un quai d’escale pour les bateaux de croisières au coût de 40millions $ .

Mais, quand vient le temps de dépenser ces mêmes fonds dans la construction d’une salle de spectacle, une bibliothèque, une maison de la culture, il se cache derrière le citoyen d’abord (La majorité silencieuse qui le fait élire depuis 12 ans) pour limiter les dépenses et jouer l’élu responsable.

Il attend la prochaine campagne électorale, à savoir celle-ci, pour promettre tous ses projets culturels qu’il remet depuis une décennie. Soudain, la culture le rattrape, lui qui n’y connaît rien en la matière confiant tout ce domaine à un vendeur de tickets pour shows rock et comiques, à ses heures tenancier privé de bars et restaurant, Robert Hakim, directeur général du Théâtre du Saguenay, le promoteur derrière la rénovation de l’Auditorium Dufour au coût de 10,4 millions$ .

Une mobilisation inattendue

La semaine dernière, il s’est passé quelque chose d’extraordinaire au Saguenay. Quelque chose qui s’apparente à un exercice de démocratie municipale qui a déstabilisé le régime du maire Tremblay.

Deux étudiants du Conservatoire de musique de Chicoutimi, Éric Dufour et Marie Gilbert-Thévard ont réussi à convaincre plus de 2249 personnes (Pas tous des musiciens) de venir signer joyeusement le registre municipal obligeant le maire à mener un référendum sur un projet de règlement d’emprunt de 3,7 millions $ pour rénover l’Auditorium Dufour du cégep.

Le maire était certain que le groupe d’opposition à la rénovation de la vieille salle au lieu d’en construire une neuve au même prix n’arriverait jamais à faire sortir le vote, comme on dit. Le hic c’est qu’ils l’ont fait malgré la stratégie du maire de biffer les cartes.

Un seul bureau de signature des registres était ouvert à l’hôtel de ville de Chicoutimi. Les citoyens d’abord des autres villes de Saguenay qui voulaient s’exprimer sur le sujet devaient se déplacer par leurs propres moyens comme ils auraient pu le faire lors d’une autre consultation tenue à la Baie lors du projet d’emprunt pour construire le quai des bateaux de croisières.

Le maire a de la suite dans les idées. Quand il consulte ses citoyens, il ne veut pas trop les déranger. Il ne veut surtout pas qu’ils répondent.

Le citoyen d’abord musicien

Pourtant, le montage financier de la rénovation de l’Auditorium Dufour était enfin terminé avec l’annonce en catastrophe, le 15 mai, de la subvention de 4,2 millions $ du gouvernement québécois faite par le ministre délégué aux Ressources naturelles et à la Faune, Serge Simard, ancien conseiller de Saguenay que le maire avait fait descendre à la course de Québec pour calmer le jeu et clore le bec des opposants.

La ministre Saint-Pierre des Affaires culturelles brillait par son absence étant partie vérifier les comptes de dépenses de ses fonctionnaires au Festival de Cannes.

À ce moment-là, le maire était plutôt confiant en ses chances de voir le citoyen d’abord musicien reprendre ses cours et le laisser agir à sa guise comme d’habitude. «La démocratie, ça commence par des élections et il y en aura bientôt. Ce n’est pas un petit groupe qui va mener tout le monde. »(Le Quotidien, 16 mai 2009).

Ce qui veut dire dans la bouche du maire que la démocratie s’arrête une fois que les élus sont élus. Qu’il décide tout et que les opposants n’ont pas à se rebiffer entre deux élections. Le pouvoir de la rue… Racine vient de lui asséner sa première petite défaite électorale.

Une guerre de chiffres

Comment le maire a-t-il réagi à cette mobilisation populaire contre le projet de financer la rénovation de l’Auditorium Dufour le forçant à faire un référendum pour emprunter 3,7 millions $ ?Très mal, sans trop le montrer.

Comme à l’habitude, il a convoqué une conférence de presse dans le bureau du conseil le lendemain entouré de ses conseillers muets et sidérés et de son conseiller privé, Ghislain Harvey (Président de Promotion Saguenay) qui lui, dissimulait son embarras derrière une épaisse couche de bronzage. On entendait voler le Saint-Esprit dans la salle avant le début de la confession du maire.

Le maire s’est battu la coulpe en avouant avoir été surpris par le nombre de citoyens d’abord musiciens qui étaient venus signer contre le règlement d’emprunt. Il a fait une profession de foi en la démocratie (sic) et n’a cessé d’affirmer que c’est le citoyen d’abord qui mène à la ville et non Jean Tremblay, encore moins ses élus derrière lui, muets et dociles comme des carpes.

Son conseiller privé, Ghislain Harvey, semblait confus de ne pas avoir prévu de plan B à la mobilisation des étudiants du Conservatoire de musique.

Que va faire le maire pour la suite des choses ? Encore une fois, il a fait semblant de prendre acte du point de vue des opposants et de vouloir faire agir la démocratie municipale. Mais, en magistrat ratoureux, il propose une sortie de secours qui va inévitablement provoquer une guerre de chiffres entre les tenants d’une salle de spectacle rénovée comme celle de l’Auditorium Dufour et ceux qui voulaient depuis cinq ans une nouvelle salle répondant aux normes acoustiques.

Une nouvelle salle écartée qui renaît

Ce qu’il faut savoir c’est qu’en 2005, un groupe d’utilisateurs avaient proposé la construction d’une nouvelle salle à Chicoutimi comme en trouve dans bien des autres villes au Québec.

Mais le maire, lors d’une séance expéditive du conseil municipal, avait écarté le projet pour une raison financière, la seule qui lui tient à cœur et le motive vraiment dans sa fonction. La nouvelle salle aurait coûté environ 10 millions$.

Le maire lui préférait la rénovation de l’Auditorium Dufour, la salle du cégep de Chicoutimi dirigé par la DG Ginette Sirois, une amie intime du maire, ancienne présidente de la Chambre de commerce de la ville.

À l’époque, la rénovation de cette salle devait coûter 3 millions$. Mais depuis, les coûts ont grimpé et ils atteignent celui de la nouvelle salle qu’on voulait construire dans le Vieux Port pour dynamiser le centre-ville, soit 10 millions$.

Or donc, les tenants d’une nouvelle salle ont ressorti leurs chiffres, le fiscaliste et mélomane André Salesse en tête (Que le maire a conspué en le traitant de «propriétaire de Mercedes ») pour promouvoir la construction d’une nouvelle salle qui pourrait satisfaire tous les publics, autant ceux des spectacles populaires que ceux des concerts de musique classique. Et bien sûr les étudiants du Conservatoire de musique.

Le maire en bon démocrate subit va consulter ses citoyens d’abord. Pas avec un référendum sur le projet d’emprunt de 3,7 millions$. Ça coûterait trop cher, 900,000 $. Il opte plutôt pour une consultation de 300 000$ (Il est vraiment cheap quand c’est le temps de dépenser pour l’essentiel, soit la démocratie) qu’il veut rapide sur deux colonnes de chiffres préparées par le plus grand spécialiste de la construction des salles de concert au Québec qu’il entend trouver dans les plus brefs délais.

Les citoyens d’abord vont devoir se prononcer sur les deux projets et leurs coûts de construction incluant évidemment les frais annuels d’opération. «Et si la population veut une salle de concert, elle devra payer pour ». Mais le maire jure que c’est elle qui va décider… et payer évidemment.

Tout est suspendu

Avant que le maire trouve son grand spécialiste qui va lui dire la vérité et lui sortir les vrais chiffres sur les coûts de construction d’une nouvelle salle, tout est suspendu. Les rénovations de l’Auditorium Dufour qui devaient s’amorcer dans une semaine sont suspendues sine die.

Le directeur général du théâtre du Saguenay, Robert Hakim, hurle aux loups et à la catastrophe. Son bon maire l’a laissé tomber parce qu’il ne pouvait se permettre de passer outre cette mobilisation populaire de dernière heure en pleine période de pré campagne électorale en comblant le 3,7 millions$ avec les économies de la ville.

Le maire avait le choix entre sauver sa prochaine élection ou son programmateur de shows comiques de service. Il n’a pas hésité longtemps avant de faire son choix. Hakim (Et la directrice du cégep) crie sur tous les toits à la catastrophe, «les gens ont signé pour un projet sans comprendre toute la portée de leur geste. Ils ont signé pour un rêve sans en mesurer toutes les conséquences. Il nous a fallu des années d’effort pour trouver l’argent. Tout vient d’être démoli en un mois à peine. Ailleurs les autres diffuseurs sont stupéfaits. »(Le Quotidien, 23 mai 2009).

Les gens semblent avoir aussi signé autant pour un projet de nouvelle salle que contre la manière de faire du maire qui néglige constamment le point de vue de ses opposants. Il vient d’en trouver des nouveaux dans le champ culturel qui l’ont déboulonné suffisamment pour essayer pour le moment de sauver sa peau. Celle des autres et de Robert Hakim passent en deuxième dans ce cas-là. Il vient d’en faire la preuve.

Sans les shows payants d’Hakim, la ville va mieux se porter pendant un certain temps… et il pourra toujours tout rapatrier ses spectacles dans son Cabaret urbain sur le point de déclarer faillite.

La culture, un enjeu électoral ?

Sa consultation n’est pas faite. Il faut d’abord que le maire trouve le grand spécialiste qui va lui monter le budget réaliste pour la construction d’une nouvelle salle conforme à sa propre vision des choses. Et, en conférence de presse le 22 mai, il ne croyait pas une minute que cette salle coûterait 10 millions$. Il va tout faire pour faire grimper son prix.

Ensuite, le citoyen d’abord (Musicien et pas) va devoir choisir entre la rénovation d’une salle à 10 millions$ et la construction d’une nouvelle salle à…40 millions$. Devinez ce que le citoyen d’abord va choisir ?

Tout est entre les mains de ce fameux expert choisi évidemment par le maire… à moins que ses nouveaux opposants le confrontent une fois de plus. Mais le maire veut agir vite, il ne veut pas que la salle (Et la culture) devienne l’enjeu de la prochaine campagne électorale. Il a des projets plus sérieux, plus majeurs comme son train à la Baie. Il y a des limites à prendre au sérieux la culture. C’est vraiment son vrai talon d’Achille. Bon concert monsieur le maire.